La conscience allumée, blanc néon, sur le désastre socio-politique actuel, il est parfois difficile de trouver où peut s’incarner l’effectivité, quelles stratégies font sens, inicient des rails dissidents, dévient la tendance, déforment la catastrophe ? Nous parlerons, par honnêteté, de peu : de détours minimes, d’angles mangés, de traits tirés. Cependant nous parlerons quand même, car nous n’avons pas besoin d’entendre l’insurrection à la porte frappant pour discuter d’effectivité, il serait bien pire de l’attendre pour oser questionner nos moyens sur leurs effets que d’accepter que dans la conjoncture actuelle, le chaos est grandissant et que nous n’avons pour l’instant qu’appris à faire des pansements.
Effectivité donc, qui provoque des effets directs, tangibles. Puissance politique. Il y a un plan sur lequel elle ne pourra nous être totalement enlevée ; parce que les souffrances commises par le système sont partout démesurées, il y a victimexs auprès desquellexs il y a des guerres à mener dans chaque quartier, à chaque frontière, dans chaque élevage, dans chaque foyer hétéronormé, etc. Et bien que ce choix, celui de réduire les souffrances de n’importe quellex sensiblex, fait sens par nature, nous savons toustexs qu’il s’empuissance s’il s’inscrit dans un contexte de dénonciation ou de revendication, dans une culture résistante scandée comme une invitation à l’émancipation. Ainsi, déjà aux prémisses de ce raisonnement, surgit dans la contre-société une double effectivité, celle des protections directes qu’elle permet et celle des protections futures qui s’en inspireront.
La ZAD de la Colline était un nid fécond de culture de la résistance.
Encrons-nous dans le concret : nous avons toustexs été témoinxs en Suisse pendant cinq mois et demi, de l’émergence et du développement de ce que j’appelle une contre-société. Après bien d’autres, la ZAD de la Colline était un nid fécond de culture de la résistance. En revendiquant par les corps la nécessité absolue de s’approprier des terres en proie à la destruction immédiate sans chercher aucun aval dans la loi ou la culture dominante, en accueillant des personnexs ditexs invalidexs, ditexs neuroatypiques, ditexs inadaptéexs dans des rapports s’essayant nouveaux, en créant des organes de gestion et de care internes permettant une autonomie par rapport aux institutions étatiques, en formant collectivement chacunexs dans d’autres manières de faire société ... La liste ne demande qu’à s’éterniser mais l’énumération complète des brèches que portent en elles les contre-sociétés est une tâche qui par sa grandeur en devient vaine.
Ainsi donc, disions-nous, les contre-sociétés et les cultures en émergent sont possibilités d’émancipation et sont destinées à le devenir de plus en plus, parallèlement à leur radicalisation. Et puis, surtout, elles sont le meilleur héritage envisageable pour les enfantexs d’aujourd’hui qui auront besoin de paysages de pensées les plus larges possibles pour réagir aux catastrophes actuelles, aux prochaines. Elles sont une possibilité de léguer un semblant de toile d’entraide, de prise en compte des interdépendances, de conscience de notre fusion avec ce qu’on appelle dédaigneusement notre environnement ... autrement dit, les contre-cultures ou cultures résistantes sont, en ce sens, une préparation au désastre que l’on ne peut ni ignorer, ni éviter. A préciser ici encore, comme le dit Pigniocchi à propos des ZADs dans un article récent paru sur Reporterre que ces contre-sociétés, terres autonomes et ainsi soustraites à l’hégémonie étatique, sont aussi rares que nécessaires pour éviter justement que le système dominant englobe l’ensemble, y fasse régner ses règles et ses valeurs et ne se retrouve jamais inquiété de perdre du terrain et des citoyennexs en voyant émerger des zones dites de non-droit, des zones d’autres droits.
Dans les contre-sociétés je vois l'effectivité à triple.
C’est parce que dans les contre-sociétés je vois l’effectivité à triple que je revendique la nécessité de les regarder au kaléidoscope, augmentant en nombre, nouvelles dans chaque miroitement, doublement multiples. La question est maintenant de savoir dans quels terreaux elles sont à même de se nicher et de s’enraciner ? En listant les différentes formes de contre-sociétés existantes (quartiers libres, ZADs, squats, communautés subversives ... ) les dénominateurs communs sont rapidement lisibles : lieu de vie partagé - communauté - refus de la majorité des valeurs dominantes - refus du pouvoir en place - rapports de différentes natures avec la société dominante, extérieure. De ces composantes imbriquées découle le statut illégal de la plupart de ces jardins de cultures résistantes car, en effet, refuser le système et les valeurs qu’il porte en lui invite à prendre les lieux plutôt qu’à les acheter, louer, ou que sais-je encore qui satisferait la déification globale de la propriété privée. Et évidemment, les statuts des personnexs y vivant tout comme les projets qui y grandissent ne cherchent que rarement à s’inscrire dans un cadre légal... Ce refus du droit étatique en temps que dogme limitant est évidemment intéressant à plusieurs niveaux, ne serait-ce que parce qu’il donne du contenu critique, émancipateur et résilient aux contre-cultures, cependant son caractère excluant ne doit en aucun cas être oublié. Inutile d’expliciter le traitement inégal des individuexs face à la loi en fonction de leur classe, leur race, leur genre, leur dite-validité, leur/s orientation/s sexuelle/s, leur passé militant, leur statut dans le pays en question, etc. inutile aussi de réinventer le discours foucaldien qui démontre que les illégalisme populaires sont plus réprimandés que leurs semblables bourgeois. Ainsi, le choix de s’inscrire dans l’illégalité est un choix de privilégiéexs. De ce constat découle la nécessité de multiplier les biais permettant aux contre-sociétés de s’inscrire dans une légalité relative.
C'est à ce stade du raisonnement qu'entre en scène la classe bourgeoise alliée.
C’est à ce stade du raisonnement qu’entre en scène la classe bourgeoise alliée, ou plus exactement l’explicitaion d’un des rôles qu’elle est invitée à incarner, comme l’on fait les copainexs dans la lettre ouverte à nos parentexs petitexs-bourgeoisexs, et ce en élargissant l’adresse à toustexs les possesseureusexs de biens excédant leurs besoins. Toustexs, à l’interne du système, subissent la marchandisation globale, la contrainte à l’emploi, et se voient ainsi obligéexs de dédier une écrasante part de leur temps et de leur énergie au profit grandissant des riches. Cet enchainement largement critiquable en lui-même devient insoutenable face aux urgences climatiques et sociales actuelles. Le monde et son aménagement humain s’effondre, bascule, des secteurs entiers relatifs à notre survie subissent des dérèglements inquiétants, et là au milieu, chaque jour, continuent d’être exploité, de souffrir, de mourir des milliards d’êtrexs vivantexs. Autant dire que la priorité se situe plus que jamais dans l’attaque de causes destructrices, le soin de celleux qui dépérissent de leurs conséquences et la création de sociétés parallèles saines, bien loin d’une pseudo-nécessité de croissance infinie du capital. Alors, évidemment, pour que les militantexs puissent agir pleinement autour des enjeux vitaux qui s’imposent à nous, pour qu’iellexs mettent en place des contre-sociétés dans lesquelles nos enfantexs seront libres des contraintes marchandes actuellement hégémoniques, il faut les alléger de ces mêmes contraintes, assurer leur survie financière tant que la survie s’achètera. Je ne demande évidemment à personne de se soumettre deux fois plus à la contrainte à l’emploi, c’est bien pour cela d’ailleurs que je m’adresse ici à la classe bourgeoise plutôt qu’à une autre. Je mets simplement en lumière le rôle que devraient prendre les biens matériels accumulés par la bourgeoisie, même la petite, celle qui a des comptes en banque s’emplissant, celle qui a des propriétés sous-utilisées, celle qui a des logements excédant ses propres besoins d’habitation. (Ayant bien conscience que le vocabulaire et les arguments utilisés ne conviennent, par leur radicalité relative, qu’à une minorité de la classe bourgeoise, j’invite, particulièrement les lecteuricexs issuexs des classes supérieures, à convaincre leur milieu d’origine.)
Nous devons prioriser les intérêts communs les plus primordiaux.
On opposera à ces propositions de communalisation, et ce avec ferveur, la sacro-sainte idéologie propriétaire qui consiste à croire, premièrement que la propriété privée est un droit naturel primaire attaché à l’être humainex, “indépendamment de toute convention, de toute loi ou de tout accord politique” [1], secondement que les biens privés sont les fruits légitimes du travail de leax possesseureusex, et finalement qu’aucunex tierce partie n’a le droit d’interférer entre leax propriétaire et sa propriété. Nous pourrions alors faire les habituelles critiques de la propriété privée, démontrer que derrière chaque bien une part plus ou moins importante est ressource naturelle et ainsi questionner notre légitimiter à nous proclamer pleinex propriétairex, parler de l’obélisque de Louxor pour illustrer le travail fruit de la coopération des travailleureusexs, expliquer que la part rendue possible par le collectif, les générations actuelles et passées, le hasard, les opportunités, etc. sont inséparables du mérite individuel, sont son squelette, sa réalité profonde. Cependant, bien qu’il soit intéressant d’évider nos croyances individualistes en le décortiquant, ce travail ne fait pas face à l’argument premier qu’expose ce texte : nous devons, au vu de la situation actuelle, prioriser les intérêts communs les plus primordiaux, à savoir la survie de toustexs, à nos dogmes poussérieux. C’est le moment de sacrifier les idées constitutives du statu quo mortifère, de mille différentes manières, dont une encouragée ici : la mise à disposition de terres et logements.
Faire naître des réseaux de gratuité qui dissolvent la précarité.
Ainsi, très largement pour enrichir le commun d’expérimentations, le laisser se réentrainer à l’autogestion, lui permettre d’élaborer des solutions pour les enjeux actuels et futurs ... plus particulièrement pour faire naître des réseaux de gratuité qui dissolvent la précarité, aménager des logements pour les sans-papierxs, organiser la chute d’entreprises capitalistes, cultiver au sein d’un quartier autant la terre que les soutiens, ainsi, communalisons.
Et si, je l’espère, cet appel servira à mettre en lien plusieurs possesseureusexs et demandeureusexs, je profite de l’occasion pour transmettre les besoins concrets d’un collectif ami romand qui cherche un espace, logement et terres maraîchères pour s’établir et monter des projets politiques, sociaux et culturels. Si vous avez ou avez vent d’un terrain, d’une grange rénovable, d’une vieille ferme, ... vous pouvez leur écrire à l’adresse enrhizome@riseup.net, iellexs vous enverront leur dossier et c’est avec plaisir qu’iellexs échangeront autour d’une potentielle collaboration.