Féminismes - Luttes Queer

Qu’est-ce qu’un féminicide ? Réflexions et pistes d’action

Offensive contre les féminicides - Agir collectivement contre la violence patriarcale

Qu’est-ce qu’un féminicide ?

Par féminicide, on entend un meurtre lié au genre de la personne tuée. Cela inclut toutes les personnes perçues comme étant de genre féminin : elles ont été tuées parce qu’elles étaient considérées comme des femmes, peu importe si elles se percevaient ou se désignaient elles-mêmes comme telles. Dans ce sens, un féminicide peut également concerner une personne trans, agenre ou non-binaire. On utilise le mot féminicide pour distinguer cette forme de violence, qui a des caractéristiques et un contexte spécifiques, des autres meurtres. Les féminicides reposent sur des idées patriarcales selon lesquelles les hommes cis [1] ont le droit de posséder et de contrôler les corps féminins et féminisés (vus ou représentés comme féminins). Cela s’exprime de différentes manières : dans le droit matrimonial et de succession, par l’exploitation économique, le contrôle social ou financier, la limitation de la liberté de mouvement ou la violence physique et psychique - pour ne citer que quelques exemples. Dans le cas d’un féminicide, l’auteur exerce ce droit de possession de la manière la plus extrême possible - il prend une vie, supprime une existence.

Les féminicides sont la pointe de l’iceberg de la violence patriarcale. Ils sont précédés par toute une série d’actes de violence que la société banalise et qui rendent possible la violence mortelle. L’humour sexiste, la domination masculine dans le langage ou la dévalorisation quotidienne des femmes et des personnes queer en font partie. C’est pourquoi on ne parle pas seulement des féminicides, mais aussi de la violence patriarcale en général.

Les féminicides sont la pointe de l’iceberg de la violence patriarcale. Ils sont précédés par toute une série d'actes de violence que la société banalise et qui rendent possible la violence mortelle

Pourquoi on s’oppose à des expressions telles que “homicide conjugal” ou “drame familial”

La violence patriarcale et les féminicides ont lieu le plus souvent dans le contexte domestique et familial ainsi que dans les cercles de connaissances. C’est pourquoi ils sont souvent traités comme une affaire privée ou familiale. Cela a pour conséquence que les féminicides sont invisibilisés, minimisés ou présentés comme des actes isolés, ce qui masque le contexte structurel : les représentations qui rendent la violence patriarcale possible. Mais le fait que l’auteur et la personne assassinée se connaissent n’est pas une condition préalable. C’est le cas des féminicides de travailleuses du sexe par exemple.

Pour attirer l’attention sur le fait que derrière ces meurtre de femmes ou de personnes perçues comme féminines se cache tout un système et que tous ces actes sont liés, l’anthropologue Marcela Lagarde a introduit dans les années 1990 le terme de féminicide. La syllabe “ni” souligne qu’il ne s’agit jamais de cas isolés, mais d’un crime de masse. Elle insiste sur la responsabilité des Etats : “Si l’Etat, par sa dimension patriarcale et par son attachement à la préservation de cet ordre, est une partie structurelle du problème, le féminicide est un crime d’Etat”.

Pourquoi on ne peut pas compter sur la police, la justice et l’État pour lutter contre les féminicides

La police est le bras armé de l’État. Tout comme l’État, elle est le produit de la manière dont notre société est organisée : nos structures sociales reposent sur le fait que tout le monde n’a pas le même pouvoir et que certaines personnes exercent (ou peuvent exercer) un pouvoir sur d’autres. La police sert à préserver cet ordre capitaliste, patriarcal et raciste. Si elle s’y opposait, elle finirait par se détruire elle-même. Elle protège donc toujours les puissants et est une institution profondément patriarcale.

Cela se manifeste également dans le traitement de la violence patriarcale. Souvent, la police inverse les rôles auteur-victime et rend les personnes concernées responsables de la violence subie au lieu de désigner l’action des auteurs comme cause de la violence. Elle protège ainsi les auteurs de violence (qui ont souvent plus de pouvoir social que les personnes qui subissent la violence) au lieu de veiller à la sécurité des personnes victimes de violence. La police ne protège pas les personnes queer, les personnes victimes de racisme, les travailleur-euses du sexe, les personnes sans-abri ni les autres personnes stigmatisées (c’est-à-dire les personnes qui se trouvent en bas de la hiérarchie de notre société), mais exerce souvent la violence et la répression à leur encontre.

En outre, il s’avère également que de nombreuses personnes tuées par féminicide en Suisse ont cherché de l’aide auprès de la police au cours de la période précédant leur assassinat - pourtant, les féminicides n’ont pas été empêchés. On ne peut donc pas s’appuyer sur la police pour lutter contre les féminicides, mais on doit mettre en place des formes solidaires, communautaires et alternatives de filets de sécurité pour nous protéger et nous défendre.

Les institutions patriarcales ne nous protègent pas - il faut une autodéfense queerféministe pour lutter contre la violence patriarcale.

...les féminicides reposent sur la revendication du droit de disposer des corps féminins ou perçus comme féminins. Chaque féminicide renforce symboliquement le pouvoir cis-masculin en exhibant qu’il s’étend jusqu'à la possibilité de décider de la vie et de la mort de celles qui sont soumises à ce pouvoir.

Pourquoi il est important de nommer les féminicides en tant que tels

Le mouvement contre les féminicides trouve son origine en Amérique latine. En 2015, le mouvement a pris de l’ampleur lorsque plus de 250 000 personnes se sont rassemblées à Buenos Aires pour la première manifestation de « Ni Una Menos » (Pas Unex de Plus). A partir de là, un mouvement (queer)féministe transnational s’est développé pour lutter contre les féminicides et la violence patriarcale. Quand on utilise le mot féminicide ici en Suisse, on fait également référence au fait que cette violence est globale - et que partout dans le monde, on se bat contre elle.

Comme on l’a vu plus haut, les féminicides reposent sur la revendication du droit de disposer des corps féminins ou perçus comme féminins. Chaque féminicide renforce symboliquement le pouvoir cis-masculin en exhibant qu’il s’étend jusqu’à la possibilité de décider de la vie et de la mort de celles qui sont soumises à ce pouvoir. Le système patriarcal normalise les féminicides et tente d’affaiblir la résistance. Nommer les féminicides et souligner leur caractère structurel rend visible ce contrôle sur les corps féminins qui est socialement accepté. Chaque fois qu’on appelle un féminicide par son nom, chaque fois qu’on s’oppose au meurtre de nos sœurs et de nos adelphes [2], on refuse d’accepter ce pouvoir et on montre qu’il est possible de s’opposer à la violence de ce système.

Lorsqu’on désigne les féminicides en tant que tels, l’objectif principal est de mettre fin à la violence patriarcale et d’empêcher d’autres assassinats - d’où le slogan "Ni Una Menos". Il s’agit d’attirer l’attention sur la systématique qui se cache derrière ces meurtres et de lutter ensemble contre le système patriarcal. Les féminicides sont en soi hautement politiques - et il faut le dire haut et fort. En même temps, on n’oublie pas que derrière chaque féminicide, il y a une personne qui avait une histoire de vie, il y a un entourage endeuillé. On veut se souvenir des nos soeurs et nos adelphes assassinées et porter leurs voix.

On doit reconnaître les structures patriarcales et la violence en tant que telles et les nommer afin de pouvoir les combattre.

Luttons ensemble contre la violence patriarcale et pour un monde sans domination !

Notre force et notre capacité de résistance résident dans la construction d’une sororité et d’une adelphité démocratique de base, inclusive et tolérante et d’une solidarité queerféministe.

Ensemble, on fera tomber le patriarcat !

P.S.

Site internet du Réseau contre les féminicides : www.contre-les-feminicides.ch

Nous contacter : niunamenos@immerda.ch

Notes

[1les hommes cis ou cisgenre sont des hommes dont l’identité de genre correspond a celle qu’on leur a assigné à la naissance

[2terme ancien qui désigne des enfants nés de mêmes parents qui est repris par le mouvement queerféministe pour inclure les hommes trans, les personnes non-binaires et agenres

DANS LA MÊME THÉMATIQUE

À L'ACTUALITÉ

Publiez !

Comment publier sur Renversé?

Renversé est ouvert à la publication. La proposition d'article se fait à travers l’interface privée du site. Si vous rencontrez le moindre problème ou que vous avez des questions, n’hésitez pas à nous le faire savoir
par e-mail: contact@renverse.co