Logement - Squat

Quand la Ciguë protège nos agresseurs

Il y a plein de choses à dire de la ciguë, des choses bien et d’autres moins. On peut parler de son monopole dans les colocs pour personnes précaires, de sa définition élitiste de la précarité puisqu’elle demande le statut étudiant, de son rôle dans la transition des squats et prêts à l’usage vers des baux précaires, et de plein d’autres choses encore.

On peut aussi parler des colocations où une personne, souvent un homme cis, souvent hétéro, souvent blanc, oppresse et agresse les autres colocatair.ice.xs. Combien d’histoires avez voux entendu à ce sujet ? Combien d’ami.e.xs sont venu.e.xs se confier, pleurer, décompresser parfois même se réfugier auprès de voux à cause d’une situation/personne correspondant à la description ci-dessus ?

Genève |

Parmi ces histoires, dans combien la ciguë est-elle intervenue ? Dans combien encore le mec-cis-agresseur a fini par partir ?

Dans combien de ces histoires la personne oppressée, agressée a-t-elle finalement dû partir ? A-t-elle des séquelles psychologiques ? Physiques ? Pour combien de temps ?

J’ai trop entendu d’histoires de ce genre, je l’ai moi même vécu jusqu’à il y a quelques semaines, avant de fuir pour une autre colocation. Alors aujourd’hui j’écris mon histoire, ce n’est qu’un vécu personnel, mais j’espère qu’elle offrira un espace pour que les personnes qui sont dans le même cas se sentent moins seul.e.xs, trouvent elleux aussi que leur colère est légitime et qu’on ose enfin dire à la ciguë que ça suffit ! Qu’en n’agissant pas et en protégeant nos agresseurs, elle devient elle même agresseur. Qu’il faut qu’elle prenne ses responsabilités. Qu’on va aller chercher chaque agresseur, dans chaque logement, et qu’on va le foutre lui et ses affaires à la porte.

Pour le contexte, j’écris depuis la position d’une personne transfem/nb, racisée, pauvre et vivant en suisse avec un permis de séjour pour études (avec une nationalité Française). Que je vivais dans une cabane de jardin et que financièrement et administrativement il a été difficile pour moi de partir de la colocation dont il est question (en plus de l’aspect émotionnel).

Il y a un an et demi, je me rends à une attribution pour une chambre dans une villa de la ciguë. Tout se passe bien et je m’entends très bien avec tout le monde, à l’exception de ce Steven [1], il ne dit pas bonjour, il commence à me poser des questions pièges sur mes opinions politiques, me demande si je suis de gauche, si je suis féministe. À la même attribution, il demande à une Femme Noire parisienne ce qu’elle « pense des dictateurs africains ». Quelque temps plus tard, après avoir emménagé, deux chiens agressifs au passé traumatique vivent avec noux. Je confronte Steven sur ses paroles racistes vis à vis de la personne qui était venue à l’attribution, il me dit que « de toute façon elle n’aurait pas pu venir à la maison car ses chiens n’aiment pas les Noirs ». Voilà qui pose le décor après seulement une semaine de vie avec lui.

Peu après, nous avions décidé à une réunion qu’il fallait fabriquer une étagère de rangement. Après plusieurs jours, comme personne ne le faisait, je m’y suis mise, 1h après avoir fini, lorsque je reviens dans la pièce, je constate que Steven vient de finir de défaire mon travail pour construire une « meilleure » étagère à la place.

Il y aurait beaucoup d’autres événements à raconter, mais je vais m’en tenir à une courte énumération.

Voilà 1 an et demi que nous recevons à chaque attribution plus de 200 emails, puis que nous avons de la peine à trouver des personnes voulant emménager après avoir fait la rencontre de Steven (Bravo à celleux qui ont choisi de ne pas vivre avec lui !), ou que les personnes qui viennent partent au bout de quelques semaines.
Voilà un an et demi que je n’ai invité personne à la maison à cause de Steven qui met mal à l’aise tout le monde et de ses chiens qui mordent les invité.e.xs, un an et demi de violence psychologique, de conflit, plus d’un an de mégenrage et ménommage conscient et volontaire. Un an et demi que nous avons essayé de lui parler de lui donner de l’espace pour s’exprimer, que nous avons donné tant d’énergie pour comprendre ses besoins, que nous avons compatis avec sa situation financière difficile et son statut d’étranger.

Depuis 1 an et demi, petit à petit tout le monde s’est enfermé de plus en plus dans sa chambre car il occupe constamment tous les espaces communs avec sa froideur, sa méchanceté et sa violence. Le froid dans la cabane de jardin m’obligeait à rester une bonne partie de la journée dans les espaces communs et d’être confrontéex à lui.
J’en ai assez que nous les meufs* devions fournir tant d’énergie pour l’écouter, pour offrir le soutien émotionnel dont chacun.e.x de nous a besoin après n’importe quel contact avec lui. J’en ai plus qu’assez de voir la santé mentale de mes colocxs se dégrader comme la mienne au fil des mois, assez de voir tout le monde partir et de partir moi même alors qu’il aurait dû le faire depuis le début.
J’ai envie de vomir et de hurler en voyant que le seul outil que la ciguë a été en mesure de nous proposer, après de nombreux appels à l’aide de ma part, ait été une médiation. Je suis partie, une autre coloc vient de partir, les deux dernier.ère.xs prévoient de le faire dès que possible…

Noux étions si choux, si plein d’amour, l’espace était plus que chouette, nous avions plein d’idées et d’énergie. Il a tout anéanti, à lui tout seul, il nous a fait vivre dans la peur, dans la colère, dans la soumission. Nous ne vivions plus en colocation mais chez lui, dans ses espaces, nous n’osions plus rien toucher, son nom était inscrit partout dans la maison sur chacun de ses biens matériels, sur les espaces du jardin qu’il avait décrétés siens.

Steven, je doute que tu lise cette lettre ouverte, mais si ton but était d’asseoir ta domination cis masculine sur toutes les personnes queers et bienveillant.e.xs que nous étions, alors tu as réussi, maintenant j’ai des peurs qui me suivent pour longtemps je crois, et j’ai bien peur que ce soit pareil pour mes colox et amiex …

Salarié.e.xs, bénévoles, membres de la ciguë, si voux voulez que vos valeurs aient plus de sens qu’un peu d’encre sur du papier, alors voux devez agir. Voux devez prendre des mesures pour virer la personne impliquée, à chaque fois qu’une personne se plaint d’oppression ou d’agression. Voux devez cesser de remettre en question la paroles des personnes qui subissent les violences de ces mecs cis hétéros indélogeables.
Si voux ne faites rien alors voux ne valez pas mieux que Steven et tous les Steven qui sont bien au chaud et à l’abri dans tous vos logements, dans toute la ville, (dans toutes les villes). Voux participez à la précarisation des personnes queers, raciséexs, grossexs, pauvrexs, et de toutes les personnes non homme cis hétéro qui en subissent les violences.

Je suis en colère, j’enrage même… Cette fois, pas de langage administratif, pas de douceur, pas de bienveillance pour voux, car voux ne méritez pas tout ça. Vous boirez mes larmes et si ça ne voux suffit pas vous boufferez mes poings !

Mes tendres Adelphes, si voux lisez aussi cet écrit, que voux êtes dans une situation similaire, j’espère que ça voux aide ne serait-ce qu’un peu, voux n’êtes pas seul.e.xs, si la ciguë ne prend pas ses responsabilités, alors noux virerons noux même chacun des oppresseurs de nox logements. Noux sommes belleau.X, noux avons un droit au logement décent et à la sécurité, noux avons le droit d’être en colère, d’être violent.e.xs, de dire STOP et de faire appliquer ces droits par tous les moyens nécessaires. Je voux aime !

Merci à touxtes les personnes qui nous ont écouté.e.xs mes colox et moi noux plaindre de Steven à chaque café, chaque fête, chaque rencontre. Merci aux personnes qui noux ont permis d’aller dormir ailleurs des fois pour noux réfugier, pour souffler. Merci à celleux qui noux ont proposé d’autres logements.
Merci aux personnes qui m’ont aidé à rédiger les emails à la ciguë, cette fois je ne voux demande rien car ma colère est trop précieuse et le sentiment de culpabilité trop proche pour que je prenne le risque d’être freinéex dans cet élan.

Notes

[1Prénom d’emprunt

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