1) C’est quoi le comité scientifique ? Qui est dedans ?
Le comité scientifique est un comité qui a été (habilement) créé par le Rectorat le 6 mai, soit un jour avant l’occupation en solidarité au peuple palestinien et contre le génocide en cours à Gaza (ci-après : occup de la CEP [1]). En effet, il a été créé en réponse aux différentes mobilisations étudiantes en soutien à la Palestine en Suisse et ailleurs. Le comité avait comme mandat de répondre à la question “est-ce que les universités peuvent se positionner dans le débat public et notamment sur des thématiques ou des sujets clivants pour leur communauté ?”. Le comité devait par ailleurs se positionner concernant le potentiel arrêt de collaboration avec certaines universités, dans le cas où elles ne respectent pas certains principese [2]. Notamment si elles enfreignent le droit international ou sont complices avec des crimes contre l’humanité ou des génocides. Le rapport ne répond pas à ces questions.
Une chose est à noter, toutes les personnes siégeant maintenant dans ce comité ont été cooptées par son président, Frédéric Esposito. Ce choix a été uniquement en raison de relations interpersonnelles. L’UNIGE ne s’est ici absolument pas cachée d’un déni total de démocratie.
Le 8 mai 2024, soit au lendemain du début de l’occup de la CEP, ce dernier a proposé à des membres de la CEP de rejoindre le comité. Le but était (supposément) de donner aux étudiant.e.x.s mobilisé.e.x.s pour la Palestine une voix dans les travaux du comité [3]. Néanmoins, ces dernier.ère.x.s ont été exclu.e.x.s du comité scientifique après que la CEP ait décidé de continuer à dormir à UniMail. La CEP avait décidé de continuer à dormir dans l’uni pour maintenir un rapport de force avec cette dernière – en réponse, elle a jeté la CEP hors de toute discussion avec l’institution. Non seulement les étudiant.e.x.s ne pouvaient plus discuter avec le comité scientifique, mais on leur refusait toute autre discussion avec l’institution – avec comme excuse que les discussions pertinentes avaient lieu au sein du comité. Dès lors, la CEP n’avait plus de canal de discussion directe avec l’uni. Finalement, la contestation étudiante s’est éteinte en une plainte pénale de la rectrice. La police est arrivée et a délogé les étudiant.e.x.s le 14 mai 2024.
L’exclusion de la CEP a marqué la fin de toute contestation au sein du comité scientifique. Même au sein de cet organe ne servant qu’à légitimer les actions de l’UNIGE, la contestation et le débat sont étouffés. De plus, dans la version finale du rapport on voit qu’une majorité des membres du comité scientifique qui sont à l’UNIGE sont en désaccord avec les conclusions. Néanmoins, leurs opinions sont considérées comme minoritaire et la voix de personnes externes à l’UNIGE [4] est plus écoutée. Vive la démocratie.
Finalement, le rapport écrit par la CEP sur la question des collaborations avec le unis israéliennes, n’est pas cité du tout [5]. Vive la démocratie.
Pour plus d’informations concernant le comité scientifique et son implication dans l’occup de la CEP, voir notre texte “Unige complice, rien ne change” [6].
2) Que dit le rapport ?
Pour vous éviter la lecture de 35 pages vraiment pas du tout du tout intéressantes, on vous propose ici un résumé de ce que dit le comité scientifique.
Le rapport commence par une introduction puis continue avec les recommandations du comité scientifique. Ces recommandations sont centrales dans la prise de position du comité scientifique, nous les détaillerons donc plus dans la partie 3 de ce texte.
Après plusieurs paragraphes de justifications hasardeuses (voire éclatées au sol) – notamment sur comment l’université a été créée au Moyen-Âge et sur un texte fumeux des années soixantes, le tout sans mention de l’évolution que les universités ont vécues depuis mai 68 – nous arrivons à la partie centrale du rapport.
À la suite des recommandations, le rapport définit plusieurs notions. Il définit :
- la liberté d’expression à l’université : comme étant la possibilité de s’exprimer sur le sujet qui nous semble pertinent même si cela heurte/choque/inquiète une “fraction quelconque de la population”. Il faut néanmoins garantir la sérénité des membres de la communauté. (si vous trouvez ça paradoxal c’est parce que ça l’est) ;
- la liberté académique : comme visant à garantir à chacun.e.x des membres de la communauté la possibilité de faire ces activités sans pression indue externe ou interne à l’université ;
- la neutralité institutionnelle : comme étant un principe permettant à la fois de préserver les missions académiques de l’université tout en permettant une liberté d’expression large à ses membres ;
- la réserve institutionnelle : comme étant une alternative souhaitable à la neutralité institutionnelle. En effet, elle permet d’éviter (par un simple changement de nom) les arguments des opposant.e.x.s au terme “neutralité”.
Ces définitions nous montrent une chose : le comité scientifique ne cherche qu’à légitimer les politiques actuelles de l’UNIGE et assurer que l’UNIGE puisse continuer à survivre malgré une ambiance de panique morale [7]. En effet, la liberté d’expression est faite pour protéger la liberté des minorités et des opprimé.e.x.s de s’exprimer sans craindre la répression. Dans une uni où on ne peut pas dénoncer des conférences transphobes ou un état génocidaire sans avoir une plainte pénale au cul, il est incohérent et dangereux de dire que l’uni se doit d’être neutre pour protéger la liberté d’expression de chacun.e.x.
Cela revient alors toujours à la même chose, les dominants peuvent s’exprimer, pendant que les autres se font arrêter par la police ou subissent d’autres formes de répression. Autoriser les discours haineux et dangereux pour protéger un supposé vivre-ensemble [8] qui ne fait que mettre en péril les opinions minoritaires. Faire croire que la neutralité permet l’expression libre alors que celle-ci permet uniquement l’expression des dominants.
La neutralité n’existe pas. Traiter indifféremment les dominants et les opprimé.e.x.s est au mieux un désintérêt de l’émancipation des second.e.x.s, et au pire des excuses pour dissimuler un soutien au premier. Si on pousse la logique de l’objectivité jusqu’au bout, alors devrait-on accorder autant d’importance à la voix des colons qu’à celle des colonisé.e.x.s ? Il y a quelques années, dans un exercice d’un cours sur le genre et l’histoire à l’UNIGE, c’est exactement ce qui était demandé : se mettre dans la peau d’un pro-esclavagiste et d’une personne esclavagisée.
On vous laissera analyser vous-même les passages les plus cringe qui témoignent de l’ambiance de boomer qui devait régner lors de la rédaction de ce rapport. On prendra pour exemple le fait que nous vivions supposément dans une époque de polarisation à cause de TikTok ou le fait que l’uni devrait être un brave space et non un safe space [9].
À la fin du rapport se trouvent plusieurs petites parties sur les sujets suivants : la suspension des accords de collaboration et la place du service à la cité à l’UNIGE. Ici le comité scientifique justifie ses recommandations via des écrans de fumée de rhétorique.
3) Les recommandations du comité scientifique
Le comité scientifique donne plusieurs recommandations à l’UNIGE. Elles sont mentionnées au début du rapport et rappelées dans sa conclusion. Pour faciliter la compréhension du texte, on les a regroupés en deux parties : celles inutiles et celles dangereuses.
a) Les recommandations inutiles
Dans cette première partie, nous parlerons des conclusions suivantes :
- améliorer la diffusion et l’appropriation de la Charte ;
- harmoniser l’évaluation éthique des recherches ;
- arrêter d’utiliser la terminologie actuelle de l’université “partenariat stratégique” [10] pour éviter toute confusion ou récupération politique.
Ce que propose en somme le comité scientifique c’est de garantir que les membres de la communauté lisent mieux la Charte d’éthique, que l’UNIGE ait un outil plus simple et transparent pour juger l’éthique d’un projet et de cacher l’existence matérielle des partenariats stratégiques pour éviter que l’on voit qu’ils ont effectivement un poids économique, politique, académique et symbolique.
Ces recommandations ne sont pas réellement inutiles. En tant que membres de la communauté universitaire, elles ne risquent pas de changer notre quotidien. En tant qu’étudiant.e.x, on devra sûrement suivre un MOOC [11] sur la Charte d’éthique au début de nos études ou la réciter tous les matins la main sur le cœur. En tant que collaborateur.ice.x, on devra sûrement signer une feuille garantissant qu’on respecte la Charte lorsqu’on fait de la recherche [12]. Derrière ces modifications futiles se cache une seule utilité : protéger l’UNIGE. En effet, si une personne va à l’encontre de la Charte [13], l’UNIGE pourra se dédouaner en disant “oui mais on lui a fait signer la Charte”. Ainsi, l’UNIGE n’a plus à prendre ses responsabilités et individualise tout problème. Ainsi, si un.e.x chercheur.euse.x fait une étude en collaboration avec un État génocidaire, l’UNIGE n’aurait rien à se reprocher. Si un.e.x chercheur.euse.x se fait attaquer car il critique trop une entreprise ou un Etat, l’UNIGE ne le.a défend pas et répète juste en boucle qu’elle n’a rien fait de mal. Elle lui avait demandé de signer la Charte.
b) Les recommandations dangereuses
Dans cette seconde partie, nous parlerons des recommandations suivantes :
- le devoir de “réserve” institutionnelle de l’UNIGE. Cette “réserve” institutionnelle serait censée garantir la liberté d’expression et académique ;
- la préservation des accords de collaboration et des partenariats scientifiques ;
- la clarification de l’affection et de l’utilisation des locaux de l’Université.
Concernant la notion de “réserve” institutionnelle, nous avons déjà introduit notre avis plus haut [14]. En gros, le comité scientifique nous dit que si l’uni ne dit rien, les membres de l’uni pourraient dire plus. L’UNIGE ne pourrait pas prendre position sur plusieurs avis [15] et cela permettrait à ses membres de débattre et analyser tranquillement – tout en ne prenant pas position.
Or, il reviendrait à nier le travail de milliers de collaborateur.ice.x.s que dire que l’uni ne prend pas position. Faire une recherche sur la dangerosité de l’illégalité de l’avortement et sur le fait que ce dernier existe indépendamment de sa légalité, c’est prendre position. Faire une recherche sur les infractions du droit international de la Russie, c’est prendre position. Faire de la recherche, c’est prendre position. Le comité scientifique nous dit qu’en ne prenant pas position, on peut favoriser le débat et l’analyse. Mais le débat et l’analyse n’existent pas dans une réalité abstraite sans rapports de pouvoir et société, ils existent ici et maintenant. Quand on débat, on prend position. Dire le contraire est dangereux et empêche aux membres de la communauté universitaire de mener à bien leurs recherches et de se positionner dans un monde toujours plus réfractaire aux positions critiques (positions que l’uni se devrait de préserver).
En outre, cette pseudo-neutralité est un miroir de la fascisation et du conservatisme croissant que nous traversons ces dernières années en Europe et Amérique du Nord. En effet, en ne prenant pas position de façon indépendante sur des sujets d’actualité où l’université est supposée “experte” [16], elle se plie au discours hégémonique, soit celui des dominants. Dans un monde où les politiques se droitisent, où les parlementaires coupent les budgets de l’éducation [17] et augmentent ceux de l’armée [18], où les médias sont dans les mains de quelques milliardaires réactionnaires [19] et où l’extrême-droite est de plus en plus normalisée, les espaces de production de savoir critique doivent être préservés. En se positionnant comme chevaliers de la neutralité, le comité scientifique fait tout le contraire : il abandonne l’indépendance de l’uni au profit de politiques néolibérales, réactionnaires et anti-intellectualistes [20]. Par exemple, dire que l’UNIGE ne peut pas se positionner quant à la légalité de l’avortement, c’est ouvrir les portes aux attaques contre ce droit fondamental.
La position du comité scientifique peut donc se résumer à deux mots : lâche mais surtout dangereuse [21].
4) La suite
Maintenant, le rectorat va devoir prendre position sur le rapport du comité scientifique et ce après une “consultation” des membres de sa communauté. Cette consultation prendra plusieurs formes, notamment l’organisationun énième town hall [22] (soit une conférence avec un nom chelou) et une discussion à l’assemblée universitaire, organe pseudo-démocratique où siège 20 profs, 10 étudiant.e.x.s, 10 membres du CCER et 5 membres du personnel administratif et technique (PAT) [23].
De notre côté, nous continuons notre mobilisation pour les droits des étudiant.e.x.s. Restez à l’affût <3.
Desmond Tutu
« Rester neutre face à l’injustice, c’est choisir le camp de l’oppresseur. » Desmond Tutu