Écologie - Antiindustriel OGM Rhizome

Rhizome n°6 enfin dans les bacs

Rhizome ; un journal anarchiste pour diffuser la résistance contre le génie génétique et son monde. Le numéro 6 n’est pour l’instant disponible uniquement en français.
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Suisse |

Edito - Le champ du contrôle continue de s’étendre

L’équipe de recherche de Beat Keller, de l’université de Zurich, déjà responsable du développement du blé génétiquement modifié (GM) pour résister à l’oïdium, a obtenu en juin 2019 l’autorisation de office fédéral de l’environnement (OFEV) pour faire des essais en plein champ d’orge génétiquement modifiée dans le champ ultra-sécurisé de Zurich-Reckenholz, le « Protected Site ». Selon l’Alliance suisse pour une agriculture sans génie génétique (StopOGM), la demande ne comportait même pas la méthode de réalisation des expériences qui est censée être obligatoire, ce qui montre une fois de plus que ni l’OFEV, ni l’EFSA au niveau européen, n’ont pour fonction de protéger la population, mais de faciliter le travail de l’état dans son entreprise d’industrialisation du monde.

Sur le site d’Agroscope, l’organisation de recherche publique qui héberge les essais, on nous rejoue la farce de la « recherche fondamentale » : cet essai ne servirait qu’à « comprendre le comportement » de cette chimère génétique… Or qui peut croire qu’il ne s’agisse pas de cultiver cette orge de brasserie censée être résistante aux maladies fongiques ? L’agriculturesuisse ne cultive que peu d’orge de ce type, et comme pour le blé GM développé par la même équipe de recherche, les maladies visées et le type de culture choisies correspondent à des méthodes agronomiques pratiquées dans d’autres pays à une échelle industrielle. Autrement dit, le but pourrait bien être que la Suisse puisse exporter de la technologie et gagner sur l’exploitation des droits de licence sur les brevets.

Protected Site 6 : Anarchists 0

Si les essais de maïs GM dont la demande a été déposée au même moment par la même équipe de recherche sont aussi autorisés, et évidemment ils le seront, ça fera six variétés GM autorisées pour des essais en six ans d’existence du Protected Site. Et ces essais ont pu jusqu’ici se dérouler sans qu’aucune opposition directe ne les empêche. Nous n’avons eu connaissance d’aucun sabotage sur le site.

Début 2018, Beat Keller dressait dans un communiqué un bilan satisfaisant (pour lui) de quatre ans d’essais de blé GM résistant à l’oïdium sur le Protected Site. Comme il avait obtenu en 2014 une autorisation pour cinq ans d’essais, il a ensuite déposé une demande pour la poursuite de ses essais de blé, qu’il a évidemment obtenue en mars 2019.

Pour rappel, les rôles du Protected Site sont à la fois d’offrir un refuge à la recherche agrobiotechnologique suisse et européenne contre les sabotages des indispensables essais en plein champ [1], permettant de donner quelques chances aux chercheureuses du secteur dans la compétition internationale ; et de contribuer à l’acceptation des OGM au niveau national. Si ce dernier rôle est apparemment inefficace, peut-être parce qu’un site militarisé n’est pas idéal en termes de communication, il faut savoir que le gouvernement suisse refuse de considérer que les nouvelles techniques de modification génétique produisent des OGM, alors que lors de la consultation préalable des parties intéressées le responsable du Protected Site a offert de pouvoir tester des plantes issues de ces technologies, si le gouvernement venait à estimer cela nécessaire à la construction d’un consensus. Quant à l’affaiblissement du rapport de forces, il semble qu’à part en France et en Italie dans une certaine mesure, le mouvement d’action directe anti-OGM est au point mort. Il faut bien reconnaître que la quasi-totalité de l’opposition est portée par des organisations strictement légalistes, ce qui n’empêche que la pression des possibles sabotages reste présente et maintient des coûts de sécurité élevés.

L’essentiel de cette offensive technoscientifique qu’est la conquête de la génétique des êtres vivants se passe dans des laboratoires relativement difficiles d’accès. Tandis que les essais en plein champ, indispensables pour réaliser l’insertion des produits de laboratoire dans la réalité ouverte et complexe des champs cultivés et de leur environnement, ont longtemps été identifiés comme un point vulnérable, en même temps qu’un moment crucial.

Face à la surenchère de sécurité, c’est-à-dire à la militarisation des essais, les opposant·e·s déterminé·e·s à recourir à l’action directe se trouvent confronté·e·s au choix de surenchérir au niveau tactique et/ou prendre davantage de risques lors d’une attaque directe des essais – ce qui reste possible, ne serait-ce que pour détruire l’aura d’invincibilité du site ; ou alors de changer de cibles afin de perturber autrement le développement en cours, ce qui a été fait en Suisse pendant les trois premières années d’existence du Protected Site mais de manière très dispersée. Précisons que nous n’avons pas affaire à une entreprise qui pourrait faire faillite si on lui cause suffisamment de pertes ou si on pousse ses partenaires financiers à se désengager (comme par exemple lors de la campagne SHAC contre la vivisection), mais à l’état et son budget voté par le parlement.

La situation est on ne peut plus difficile, car les recherches avancent non seulement dans le Protected Site mais aussi dans les laboratoires, non seulement sur la génétique mais aussi sur la robotique, les big data et les nanotechnologies [2], non seulement sur les plantes mais aussi sur les animaux (qu’ils soient considérés comme des ressources ou comme des nuisibles pour le système agro-industriel, qu’illes soient humain·e·s ou pas), pour être diffusées dans les champs et les forêts cultivées mais aussi dans les autres écosystèmes [3]… Comme disait le capitaine Haddock dans Rhizome n°3, « faut pas se leurrer Tintin, c’est seulement lorsqu’on aura renversé l’entier du système qu’on sera à l’abri des OGMs ».

Rage vivante

Pour autant, faut-il déserter ce terrain ? Rhizome et les autres initiatives récentes ont remis la question du génie génétique à l’agenda des milieux anarchistes de quelques pays, mais force est de constater que très peu de personnes se mobilisent sur ce thème. La force du capitalisme technoscientifique est aujourd’hui telle que nous sommes tou·te·s submergé·e·s. «  Nous sommes la rage vivante d’une planète mourante  » et nous le resterons.

Alors, nous nous rendons bien compte qu’il reste difficile, même entre nous, de nous mettre d’accord sur une ou des stratégies. À commencer par les définitions du mot stratégie, que ce soit « le déploiement des moyens qu’on conçoit afin de gagner une guerre ou d’atteindre les objectifs d’une campagne de lutte » ou « une intervention qui ne soit pas récupérable et n’abaisse pas la conflictualité », qui révèlent différentes manières de concevoir les luttes. L’attaque diffuse, par exemple, gardera toujours ses qualités d’imprévisibilité, d’accessibilité et de liberté, mais parallèlement quelques-un·e·s d’entre nous pensent qu’au vu des enjeux, cette approche ne saurait suffire et que nous devrions affronter la question de l’efficacité pour pouvoir peser sur le cours des choses. La question de l’élargissement du mouvement nous travaille aussi, avec des tensions autour du rapport aux mobilisations de masse. Lieux de rapports de pouvoir, situations trop facilement récupérables par certains agents de la domination ? L’occasion de créer un pont entre diverses tendances, de faciliter l’accès à des parcours d’action directe ? On peut constater qu’il n’y a pas eu, en Suisse ces dernières années, des situations où des gens auraient pu rejoindre la lutte anti-OGM radicale de manière facilitée – c’est-à-dire autrement qu’en lisant quelque chose puis en prenant de manière isolée l’initiative d’une action – et que ces situations ne sont pas apparues spontanément. Il y a eu des manifestations non-offensives et des actions clandestines ; il n’y a rien eu entre les deux comme par exemple des actions directes à risque modéré appelées publiquement. Réaffirmons-le : nous appelons à l’auto-organisation, n’attendons pas que la libération vienne de quiconque d’autre que nous-mêmes ! En même temps, ne devrait-on pas aussi accorder de l’importance à la rencontre dans la lutte, à la coordination et à la réflexion stratégique partagée, pour enfin menacer sérieusement la domination ? [4]

L’existence du Protected Site a provoqué un certain sursaut sur ce front « OGM » de la lutte globale, et il est clair que celles et ceux qui s’y sont engagé·e·s jusqu’ici ont tenté ce qu’illes ont pu, avec autant d’audace que d’erreurs. Mais malgré les limites de ce qui a été tenté, l’heure n’est pas au renoncement : des centaines d’espèces sont aujourd’hui attaquées par l’ingénierie génétique, et les brevets sont un instrument important de l’oppression néocoloniale. Il est faux de croire que les OGM sont déjà partout et qu’il est trop tard. Chaque jour dans le monde, de nouvelles attaques sont perpétrées et notre résistance est nécessaire à la fois pour empêcher de nouvelles nuisances irréversibles et pour renverser le rapport de forces face à la domination.

Si l’aventure de Rhizome continue, ses pages pourront servir à accueillir vos contributions écrites à la lutte, que ce soit pour explorer les perspectives ouvertes dans des textes comme celui-ci ou pour relater vos actions inspirantes.

P.S.

Le site de la revue : https://rhizom.noblogs.org/.

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Notes

[1Le Protected Site héberge aussi des essais de pommes de terre résistantes au mildiou de l’université de Wageningen (Pays-Bas) et de blé aux grains plus gros de l’institut IPK-Leibniz de Gatersleben (Allemagne). Sans oublier les pommiers « cisgéniques » d’Agroscope.

[2Rhizome n’a pas encore réussi à relater les résultats du programme national de recherche PNR64 sur les nanotechnologies dans l’agriculture qui est terminé depuis plusieurs années et n’a soulevé aucune opposition. Aucune opposition non plus pour l’inauguration de la ferme modèle d’agriculture robotisée ultra-connectée Swiss Future Farm en septembre2018.

[3La technologie du « forçage génétique » est notamment développée pour remplacer et anéantir des populations d’animaux sauvages ravageurs de cultures ou vecteurs de maladies, réalisant intentionnellement des contaminations qui n’étaient (officiellement) qu’accidentellesjusqu’ici.

[4Comme chaque éditorial, ce texte engage collectivement le collectif de rédaction de Rhizome, mais il suscite, ouvre, et nourrit toujours des débats au sein du groupe. Notamment, tout le monde n’a pas la même appréciation des
« actions directes à risque modéré appelées publiquement » que d’autres nomment « désobéissance civile », comme par exemple des occupations de champs. À noter que le degré de risque ne dépend pas que du type d’action mais aussi beaucoup du contexte et de la perception par l’état de la lutte comme étant menaçante ou non.

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