Indépendantisme - impérialisme - colonialisme

Staline antisémite et prosioniste

Comment le stalinisme a contribué à l’émergence du génocide israélien

Román Munguía Huato, Opinión, 27 mai 2025

article paru en espagnol https://rebelion.org/stalin-antisemita-y-prosionista/

L’habitude à la mode d’assimiler Staline à Lénine est honteuse. En termes de personnalité, Staline n’est même pas comparable à Mussolini ou à Hitler. Ces deux chefs victorieux de la réaction italienne et allemande, malgré la pauvreté de leur idéologie fasciste, ont fait preuve d’initiative, de capacité à réveiller les masses et à innover. On ne peut pas en dire autant de Staline. Il est issu de l’appareil, il est inconcevable sans lui. Il ne peut approcher les masses qu’à travers l’appareil... Staline a pu s’élever au-dessus du parti lorsque la détérioration des conditions sociales à l’époque de la NEP [Nouvelle Politique Économique de l’URSS de 1921 à 1929, ndlr] a permis à la bureaucratie de s’élever au-dessus de la société.

Léon Trotski. Les crimes de Staline (1937)

"Dans quelle catégorie classer le défunt, selon vous, citoyen ?
Kostia haussa les épaules et demanda avec colère :
Existe-t-il une catégorie de crimes collectifs ?

Victor Serge. L’affaire Tulayev

À la mémoire d’Esteban Volkov Bronstein (Sieva) 1926-2023,
qui a su préserver l’héritage révolutionnaire de son grand-père.

La création de l’État d’Israël, le 14 mai 1948, a bénéficié du plein soutien politique et militaire de l’URSS stalinienne. Soixante-dix-sept ans, presque huit décennies après cette infamie historique, un génocide est commis contre la population palestinienne dans la bande de Gaza. D’un certain point de vue historique, Staline est l’un des responsables de l’un des plus grands crimes contre l’humanité aujourd’hui. En outre, la bureaucratie stalinienne est également responsable de l’effondrement de l’URSS en décembre 1991. Trotski, dans son livre La révolution trahie (1936), a prédit l’effondrement de la terreur totalitaire soviétique. Staline avait envoyé de nombreux gangsters dans le monde, l’un d’eux était Vittorio Vidali (alias Enea Sormenti, Comandante Carlos, etc.), un autre était Pavel Sudoplatov (stratège de l’assassinat de Trotski et des crimes pendant la guerre civile espagnole), mais aujourd’hui, s’il fallait en désigner un seul, ce serait certainement Benjamin Netanyahu ; bien que Netanyahu soit un mercenaire très puissant au service de Donald Trump. Au lieu du GPU [police politique de l’URSS de 1922 à 1934, ndlr], ce serait le Mossad.

Israël est une création politique artificielle et illégitime d’un nationalisme judéo-sioniste extrême fondé sur le colonialisme de nettoyage ethnique, le colonialisme de peuplement et la terre brûlée pour l’appropriation des terres d’autrui avec une hyperviolence militaire suprémaciste raciste théocratique génocidaire. À ce jour, on estime, depuis le 7 octobre 2023, le nombre de morts à environ 70’000 personnes, principalement des enfants, des femmes et des personnes âgées.

À l’instar de la politique nazie d’expansion territoriale avec la pratique du Lebensraum (espace vital), les Israéliens s’approprient les terres palestiniennes tout en expulsant la population autochtone dans des bantoustans ghettoïsés, des territoires ségrégués pour la population palestinienne et en la privant de ses droits politiques. Gaza est en fait la plus grande prison à ciel ouvert du monde. Le 5 mai, le cabinet de sécurité israélien a approuvé un plan d’expansion des opérations militaires à Gaza, qui comprend la “conquête” du territoire palestinien et le déplacement de la population. Il s’agit d’une “conquête” très facile, car les Israéliens ne sont confrontés à aucune armée ennemie. La ville de Gaza est pratiquement détruite. En 2021, sa population était estimée à 650’000 habitants, ce qui en faisait la ville la plus peuplée de Palestine. Aujourd’hui, elle est totalement en ruines, comme de nombreuses villes européennes ou japonaises pendant la Seconde Guerre mondiale.

Autour du 14 mai 1948, des massacres comme celui de Deir Yassin, un village palestinien près de Jérusalem, ont été commis. Le 9 avril 1948, à la veille de la guerre israélo-arabe de 1948-1949, le village a été détruit par les forces paramilitaires sionistes qui semaient la terreur dans les colonies arabo-palestiniennes. Ce 14 mai est une date funeste pour la nation palestinienne que les sionistes célèbrent comme le jour de l’indépendance, bien qu’il n’y ait pas eu d’indépendance car les Palestiniens n’ont jamais été soumis par une nation étrangère, sauf si l’on considère le retrait des troupes britanniques établies en Palestine par mandat de la Société des Nations en 1922 ; le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande avait administré ces territoires de facto - une sorte de protectorat - depuis 1917 avec la chute de l’Empire ottoman qui dominait la région du Levant méridional. Avant la Première Guerre mondiale, le dernier sultan de Constantinople et de l’Empire ottoman, Mehmed VI, avait ouvert la Palestine à la colonisation sioniste, mais c’est la Grande-Bretagne et la France qui ont créé en 1919-1920 des États arabes de nature féodale et bourgeoise aux frontières artificielles.

David Ben Gourion, Premier ministre, proclame le 14 mai, au son de l’hymne national sioniste, la Hatikva, et sous le portrait de Theodor Herzl, “l’indépendance d’Israël”. Ben Gourion est déterminé à réaliser ce qu’il considère comme “le droit naturel du peuple juif à être maître de son destin, avec toutes les autres nations, dans un État souverain qui lui soit propre”, selon les termes de la déclaration. Mais être “maître de son propre destin” impliquait la propriété des terres d’autrui et la négation de la Palestine en tant que nation. Une négation qui signifie son extermination en tant que peuple.

Bien que l’URSS stalinienne ait pleinement soutenu la création du nouvel État, le gouvernement israélien est rapidement devenu un gendarme militaire de l’impérialisme américain au Moyen-Orient. Depuis la fin des années 1940, Israël est devenu un projet colonial au service de l’impérialisme américain. Israël est une conséquence directe de la Seconde Guerre mondiale : d’une part, l’Holocauste (Auschwitz) ; l’antisémitisme extrême comme forme d’extermination par la violence nazie : la solution finale, le meurtre de masse des Juifs, le génocide comme justification pour fournir une terre sûre aux Juifs d’Europe et d’URSS ; d’autre part, et surtout, comme moyen de coloniser une région pour les intérêts impérialistes américains, britanniques et français en tant que bastion politico-militaire ; une région stratégique pour la domination des grandes puissances capitalistes. Depuis le début du 20e siècle, le Moyen-Orient est devenu la région la plus conflictuelle du monde en raison de la présence américaine. “Les États-Unis ont réussi à consolider leur hégémonie sur la région et son pétrole. Cependant, ils n’ont pu y parvenir qu’en attisant les antagonismes entre les États et les peuples, ce qui a conduit à une série de guerres...”. [1]

Cette zone géopolitique en litige après la Seconde Guerre mondiale n’échappe pas aux intérêts de la bureaucratie soviétique, ce qui l’a conduit à intervenir en faveur de la formation de l’État sioniste.

Le 15 mai 1948, après le massacre de Deir Yassin, la Nakba (catastrophe ou désastre pour les Palestiniens) sera la conséquence immédiate de la création de l’État sioniste. La Nakba est l’expulsion et la fuite de 750’000 Palestiniens, le dépeuplement et la destruction de plus de 500 villages palestiniens par les Forces de défense israéliennes (FDI), formées le 26 mai 1948, mais qui avaient déjà mené des attaques sans merci avec des organisations terroristes telles que la Haganah, l’Irgoun et le Lehi. Cette force militaire, au lieu d’opérer comme une armée défensive, est le principal instrument de l’hyperviolence du colonialisme sioniste - un nationalisme expansif d’ultra-droite avec des traits fascistes - et du génocide palestinien. La Nakba, c’est aussi la négation du droit au retour des Palestiniens sur leurs terres ancestrales - une question soutenue par l’URSS à l’ONU - et c’est le début du nettoyage ethnique. En gardant les proportions à l’esprit, la Shoah (Holocauste) et la Nakba ont de nombreuses similitudes (génocides) ; l’une d’entre elles est la politique d’extermination de la population considérée comme indésirable ou ennemie. Il n’y a pas besoin de chambres à gaz ou de fours crématoires pour assassiner des dizaines de milliers d’enfants, de femmes, de personnes âgées, de médecins, d’étudiants, de journalistes et de poètes. Il faut des troupes d’occupation, des missiles et un blocus criminel de la nourriture et des médicaments ; la famine décime les habitants de Gaza. C’est un état de siège permanent sous des formes terroristes sous le prétexte de la menace du Hamas. Le terrorisme d’État israélien est une partie organique du terrorisme d’État plus large historiquement représenté par les États-Unis.

Peut-on être prosioniste et antisémite ?

Oui, c’est possible, Staline l’a incarné. Cette antinomie est une apparente confusion idéologico-politique, mais l’histoire des faits réels met en lumière une série de tours et de détours délirants staliniens immergés dans un processus conflictuel qui, jusqu’à ce jour, a des conséquences terribles et dramatiques pour l’un des protagonistes souffrants, le peuple palestinien. Staline était antisémite en général, mais, contradictoirement, il était surtout du côté du judaïsme sioniste-terroriste.

De notre point de vue, il est impossible d’expliquer le processus de construction de l’État juif-sioniste à partir de mai 1948 sans l’intervention décisive de l’État soviétique dirigé par Iossif Vissarionovitch Djougachvili (Staline).

Le génocide n’a pas commencé le 7 octobre 2023, il remonte à plusieurs décennies, c’est le plus long génocide de l’histoire moderne. Le début de l’histoire des atrocités criminelles commises par les sionistes-israéliens contre les Palestiniens est presque parallèle à celui de l’Holocauste du peuple juif. Depuis les premières décennies du siècle dernier, les migrations constantes des Juifs européens vers la Palestine ont été accompagnées de violences colonialistes, en particulier depuis les années 1930.

La chronologie de l’Holocauste peut être datée du 1er septembre 1939 au 2 septembre 1945. On peut considérer que la persécution systématique des Juifs perpétrée par le fascisme allemand a commencé dès 1933. Le 1er septembre 1939 est la date de l’invasion de la Pologne par les troupes nazies et, surtout, le 28 septembre de la même année, l’alliance entre les gouvernements allemand et soviétique a été établie avec l’amendement secret au pacte Molotov-Ribbentrop pour le partage de la Pologne. Les staliniens ont toujours accusé et accusent encore Trotski d’activités antisoviétiques, d’être un agent de l’impérialisme américain et d’avoir collaboré avec le nazisme, une calomnie infâme ; mais la vérité est que Staline était à bien des égards allié à Hitler et, plus tard, aux États-Unis et à la Grande-Bretagne. L’accession d’Hitler au pouvoir en 1933 découle également du slogan stalinien selon lequel la social-démocratie allemande est un social-fascisme - une thèse défendue par l’Internationale communiste (Komintern) entre 1928 et 1935, selon laquelle la social-démocratie est équivalente au fascisme puisque tous deux s’opposent à la révolution communiste. Le premier antisoviétique à mener un processus contre-révolutionnaire a été, paradoxalement, Staline lui-même en tant que fossoyeur de la révolution (Trotski dixit).

L’antisémitisme dans l’URSS stalinienne

“Ivan le Terrible les accuse d’empoisonner les âmes et leur interdit l’accès à la Sainte Russie. Ils n’ont pas eu plus de chance quelques siècles plus tard : Joseph Staline a non seulement fermé les frontières aux vagues de Juifs qui frappaient à la porte de l’URSS, mais il a livré certains d’entre eux - entre 1939 et 1941 - à la Gestapo. Aujourd’hui, à Moscou, les néo-staliniens manifestent aux côtés des nostalgiques du tsarisme ; cette alliance n’est pas contre nature : le stalinisme a hérité, entre autres, son antisémitisme du tsar, et non de la révolution d’octobre” explique Pierre Broué. [2]

L’antisémitisme dans la Russie tsariste était profondément enraciné, peut-être même plus qu’en Europe occidentale. Ce rejet des Juifs sous le tsarisme était vieux de plusieurs siècles. Soumis à l’enfermement, à des lois discriminatoires et victimes de pogroms (lynchages massifs et destruction de leurs biens). Avec le triomphe de la révolution d’octobre, des siècles d’antisémitisme tsariste ont été liquidés. Il a été légalement interdit par le gouvernement soviétique révolutionnaire, bien qu’il ait persisté comme un héritage dans de nombreux secteurs populaires avec des préjugés et un chauvinisme ethnique, y compris au sein du bolchevisme avec les secteurs les plus politiquement arriérés et dans des conflits personnels tels que la rivalité entre Staline et Trotski.

Le processus révolutionnaire a aboli les lois contre les Juifs en tant que peuple hors la loi. De nombreux dirigeants bolcheviks avaient des origines juives, y compris Lénine lui-même. Les terribles procès de Moscou (1936-1938) menés par Staline ont eu pour victimes de nombreux Juifs accusés à tort de conspirer contre le gouvernement soviétique. Les purges staliniennes, en réalité des assassinats, des fusillades ou des emprisonnements au goulag, ont également eu pour victimes des Juifs révolutionnaires bolcheviques. Des millions de personnes ont été assassinées, un génocide. Pierre Broué porte un regard extraordinaire sur ces atrocités et sur la résistance : Communistes contre Staline. Massacre d’une génération. [3]

Pour être “en phase” avec les aspirations sionistes, Staline crée en 1928 la terre promise en alliance avec l’Oblast autonome juif, la région autonome juive du Birobidjan dans l’Extrême-Orient soviétique : un “Sion soviétique” ; mais le projet est interrompu au milieu des années 1930 lors de la première campagne de purge stalinienne. Trotski a déclaré que tout cela n’était qu’une farce bureaucratique.

L’antisémitisme stalinien atteint de nouveaux sommets après 1948 avec la campagne contre le “cosmopolite sans racines” (euphémisme pour juif) au cours de laquelle des milliers d’intellectuels et d’artistes juifs sont assassinés ou emprisonnés. À partir de 1952, la paranoïa politique de Staline a fabriqué le complot dit des “blouses blanches”, une fausse conspiration de médecins juifs contre des fonctionnaires et un attentat contre Staline lui-même. Le secrétaire de Staline, Boris Bazhanov, a déclaré que Staline avait de fortes pulsions antisémites avant et après la mort de Lénine. Bien entendu, Staline a pris soin de ne pas assimiler publiquement son antisémitisme à celui d’Hitler, et il a utilisé le terme antisionisme comme bon lui semblait ; mais son “antisionisme” ne l’a jamais empêché de soutenir efficacement le projet sioniste en Palestine.

Il est donc clair qu’il existait un pragmatisme dépourvu de principes politiques cohérents, au profit des fluctuations d’un pouvoir bureaucratique délirant. Il existait une pathologie mentale des élites bureaucratiques (Lavrenti Beria, entre autres) qui méritait d’être étudiée comme l’a fait Erich Fromm. Pour ce psychanalyste social, Staline souffrait de paranoïa et de sadisme. L’un des traits qui caractérisent Staline, selon Fromm, est la manipulation de l’esprit des gens avant d’ordonner leur liquidation. Dans son livre La passion de détruire : Anatomie de la destructivité humaine, Fromm affirme que Staline est l’un des exemples les plus remarquables de sadisme mental et physique. “Sous Staline, les méthodes de torture employées par le NKVD dépassaient en raffinement et en cruauté tout ce que la police tsariste avait pu inventer. Parfois, il donnait lui-même des ordres sur le type de torture à appliquer à un prisonnier”.

L’antisémitisme stalinien était sélectif. Les Juifs n’étaient pas visés par l’extermination en tant qu’ethnie religieuse et culturelle, mais à certains moments, pour exalter le patriotisme soviétique, ils étaient accusés d’avoir des “liens avec l’impérialisme”. Il y a eu des pogroms comme la “Nuit des poètes assassinés” (août 1952), lorsque treize écrivains, poètes, artistes, musiciens et acteurs yiddish les plus en vue de l’Union soviétique ont été secrètement exécutés sur ordre de Joseph Staline dans les sous-sols de la prison de la Loubianka à Moscou. Ces artistes avaient été membres du Comité juif antifasciste pendant la Seconde Guerre mondiale, avec l’autorisation de Staline. Ils étaient accusés de “nationalisme bourgeois” et de conspiration en vue de créer un État juif indépendant en Crimée, base américaine pour l’invasion de l’URSS. [4]

Lorsque Staline a conclu un pacte avec le nazisme en 1939, il a cessé de tolérer les Juifs et a commencé à les expulser, certains d’entre eux étant des membres éminents du Kremlin. Avant sa mort, le 5 mars 1953, il planifiait la déportation de tous les Juifs du Kazakhstan. En février de la même année, Moscou rompt ses relations diplomatiques avec Tel-Aviv. Staline n’était pas ouvertement antisémite, mais en privé, il tenait des propos antijuifs ; nombre de ses pulsions antisémites découlaient de son antagonisme avec Trotski. L’antisémitisme de Staline était, selon la formule de Ferdinand Kronawetter, le socialisme des imbéciles.

Si Staline a lu Friedrich Engels, il l’a définitivement effacé de sa mémoire. Engels a répondu à ceux qui lui demandaient si la social-démocratie devait intégrer l’antisémitisme dans sa critique de la société de classes : “L’antisémitisme falsifie complètement la réalité. Il ne connaît même pas les Juifs qu’il vilipende. Sinon il saurait qu’en Angleterre et en Amérique, grâce aux antisémites d’Europe de l’Est, et en Turquie grâce à l’Inquisition espagnole, il y a des milliers et des milliers de prolétaires juifs et que ces travailleurs juifs sont en réalité les plus exploités et les plus misérables de tous. En Angleterre, nous avons eu trois grèves de travailleurs juifs au cours des trois derniers mois, et maintenant on nous demande d’embrasser l’antisémitisme comme une forme de lutte contre le capital !”

Staline prosioniste

Il est bien connu que la plupart, sinon la totalité, des partis communistes du monde, depuis le règne de Staline en URSS, en particulier des années 1930 jusqu’à l’effondrement en 1991, étaient des courroies de transmission directes de Moscou. Ils obéissaient aveuglément aux ordres du Kremlin. Le Parti communiste italien (PCI) en est un exemple parmi d’autres. Si Staline était prosioniste, tous les partis ou presque l’étaient aussi. En première page du quotidien L’Unità du PCI du 21 mai 1948, on peut lire que les communistes italiens se rangent fermement du côté d’Israël dans la guerre contre les États arabes voisins et accusent la Grande-Bretagne impérialiste d’orchestrer l’invasion de la Palestine. Les accusations émanent du délégué ukrainien aux Nations unies (l’Ukraine faisait alors partie de l’URSS, mais disposait toujours de son propre siège à l’ONU). Palmiro Togliatti, secrétaire général du parti communiste italien de 1927 à sa mort en 1964, était l’un des dirigeants préférés de Staline de son vivant. De son côté, L’Humanité, le journal du Parti communiste français (PCF), loue à la fois “le Komsomol de l’Union soviétique, le Vietminh du Vietnam et les combattants de la Hagana”.

Lénine - lors du deuxième congrès de l’Internationale communiste en 1920, dans les Thèses sur la question nationale et coloniale - l’a clairement affirmé : “Comme exemple flagrant des tromperies pratiquées sur la classe ouvrière dans les pays soumis par les efforts conjugués de l’impérialisme des Alliés et de la bourgeoisie de telle ou telle nation, nous pouvons citer l’affaire des sionistes en Palestine, où sous prétexte de créer un État juif, où les Juifs sont une minorité insignifiante, le sionisme a livré la population indigène des travailleurs arabes à l’exploitation de l’Angleterre.”

Staline, 28 ans plus tard, a absolument contredit les thèses léninistes. C’était une trahison flagrante du léninisme. Il s’est vanté d’être un disciple grandiloquent de Lénine, mais uniquement dans une rhétorique propagandiste. Sur la question palestinienne, Staline n’a même pas tenu compte de son propre ouvrage, Le marxisme et la question nationale, publié en 1913. En fait, le texte est essentiellement l’œuvre de Lénine. L’article sera approuvé par plusieurs bolcheviks de l’époque, dont Lénine lui-même. Cependant, même sur une question théorique et politique aussi fondamentale pour le marxisme que le problème des nationalités, Staline lui-même rejetait ses “propres” idées. Le droit à l’autodétermination nationale du peuple palestinien a été totalement annulé par la politique stalinienne.

Staline, parrain d’Israël

En 1941, l’ambassadeur soviétique à Londres, Ivan Maïski, est le premier à contacter un dirigeant sioniste : “Dans les années 1920, nous ne pouvions considérer le sionisme que comme une agence de l’impérialisme, écrit-il. Si la Russie soviétique veut s’intéresser à l’avenir du Moyen-Orient, il est évident que les Juifs avancés et progressistes de Palestine représentent pour nous une plus grande promesse que les Arabes arriérés contrôlés par des cliques féodales”. Dominique Vidal précise : “Les premiers contacts soviétiques avec le mouvement sioniste remontent à 1941, alors que l’URSS était encore alliée de l’Allemagne nazie (le pacte germano-soviétique a été signé le 28.09.1939). L’invasion nazie de l’URSS a eu lieu en juin 1941). Le président de l’Organisation sioniste mondiale, Haïm Weizmann, rencontre l’ambassadeur soviétique à Londres, Ivan Maïski. La discussion se poursuit avec Ben Gourion, président de l’Agence juive.” [5]

Comme le note Vidal à juste titre, le soutien politique “a commencé avec le discours de Gromyko à l’Assemblée générale des Nations unies le 14 mai 1947, qui a contribué à la décision de partition”. Le jeune vice-ministre soviétique des affaires étrangères commence par saluer les “malheurs et les souffrances extraordinaires” du peuple juif. “L’expérience du passé, et notamment de la Seconde Guerre mondiale, poursuit-il, a prouvé qu’aucun des pays d’Europe occidentale n’a été en mesure d’apporter au peuple juif l’aide nécessaire à la défense de ses droits, ni même à la protection de son existence. Il conclut :”Ceci explique l’aspiration des Juifs à la création d’un Etat pour eux-mêmes“. En conséquence, il annonce que l’URSS est favorable à”la création d’un Etat unifié judéo-arabe“. Mais, ajoute-t-il,”s’il apparaît que les relations entre les Juifs et les Arabes de Palestine sont si tendues qu’il est impossible d’assurer une coexistence pacifique“entre eux, alors Moscou soutiendra la”partition de la Palestine en deux États, un État juif et un État arabe".

David Ben Gourion a compris l’importance de cette déclaration : “Une telle position est un cadeau inattendu pour nous... L’Union soviétique est maintenant la seule puissance qui soutient notre cause.” Le 29 novembre 1947, les Nations unies ont adopté la résolution 181 (également connue sous le nom de résolution de partage) qui diviserait l’ancien mandat palestinien de la Grande-Bretagne en deux États, l’un juif et l’autre arabe, en mai 1948, date à laquelle le mandat britannique devait prendre fin. La décision d’approuver la partition de la Palestine en deux entités a été déterminée par le vote de l’URSS et de ses satellites.

De plus, Gromyko insiste au Conseil de sécurité de l’ONU : “Le seul moyen de réduire l’effusion de sang est la création rapide et effective de deux États en Palestine” et jusqu’à la proclamation de l’indépendance d’Israël le 14 mai, l’URSS s’en tiendra à cette position. 77 ans plus tard, le bain de sang s’est monstrueusement aggravé et la résolution des deux États n’a jamais été appliquée. “Le Proche-Orient, avec ses énormes réserves de pétrole, était de loin le plus important enjeu pour tous les impérialismes de la seconde moitié du XXe siècle [...] Le XXe siècle a vu une fois de plus la transmutation de la richesse, cette fois-ci pétrolière, en sang”. [6] Bien entendu, Gromyko n’a jamais pris en considération la volonté de la population arabe-palestinienne elle-même, suivant l’exemple de Staline avec sa propre population en URSS.

Bien que les États-Unis aient soutenu la déclaration britannique Balfour de 1917, qui préconisait l’établissement d’un foyer national juif en Palestine, le président Franklin D. Roosevelt avait assuré aux Arabes en 1945 que les États-Unis n’interviendraient pas sans consulter à la fois les Juifs et les Arabes de la région, mais qu’ils devaient également traiter avec la Grande-Bretagne qui, bien qu’affaiblie en tant qu’empire, jouait toujours un rôle important dans la région pour protéger ses intérêts économiques et politiques et devait maintenir de bonnes relations avec les Arabes. Dès le retrait des troupes britanniques en mai 1948, les États-Unis sont devenus la première puissance à reconnaître de facto l’État d’Israël. Onze minutes après que Israël s’est déclaré nation “indépendante” le 14 mai 1948, le président Harry S. Truman l’a reconnu ipso facto ; il l’officialisera plus tard. Il a fallu trois jours à Staline pour le faire officiellement. Mais l’URSS est allée beaucoup plus loin que les États-Unis. Staline soutient Israël non seulement sur le plan diplomatique, mais aussi, et surtout, sur le plan militaire. Ce soutien avait déjà commencé en 1947.

Staline a armé le terrorisme sioniste jusqu’aux dents

Le sauvetage du soldat Ben Gourion. L’URSS a soutenu Israël en lui fournissant un matériel militaire considérable avant sa création en tant qu’État. À partir de mai 1947, le besoin d’armement est vital pour Israël. La Tchécoslovaquie, sous la pression de Moscou, devient le principal fournisseur d’armes de l’armée sioniste. Les premiers contrats d’armement sont conclus à Prague. Les Tchèques avaient commencé à fournir des armes aux troupes arabes, mais ils reçurent un contre-ordre de Moscou pour les envoyer aux forces juives de Palestine. Selon Dominique Vidal : “Il s’agissait de livraisons clandestines avant l’indépendance d’Israël ; par la suite, un pont aérien officiel vers Israël a été établi, basé à Zatec, avec plusieurs vols quotidiens. Au total, en un an, la Tchécoslovaquie a livré 60 millions de cartouches, 25’000 fusils Mauser, 10’000 baïonnettes, 5’000 mitrailleuses légères, 880 mitrailleuses lourdes, 250 pistolets, 22 chars, 1 million d’obus antichars, 84 avions de chasse et près de 10’000 bombes... Au total, en 1948, le montant des contrats avec Prague s’élevait à 22 millions de dollars de l’époque, qu’il faudrait multiplier par plus de mille en dollars d’aujourd’hui. Sans parler de l’entraînement au maniement des armes dispensé par des instructeurs tchèques, d’abord en Tchécoslovaquie, puis en Israël même.”

“Les armes tchèques ont sauvé le pays [...] Elles ont été l’aide la plus importante que nous ayons jamais reçue. Je doute fort que sans elles, nous aurions pu survivre aux premiers mois”, reconnaîtra David Ben Gourion 20 ans plus tard. Il est vrai que l’arrivée des armes a été cruciale en avril-mai 1948. Dans un premier temps, elles aident les forces juives à mettre en œuvre le plan Daleth, qui leur permettra de s’emparer de la plupart des grandes villes de Palestine. Dans un second temps, elles aideront le jeune Israël à affronter simultanément cinq contingents arabes (Égypte, Syrie, Irak, Transjordanie et Liban) dans une période où son armée n’est pas encore bien équipée. Si le rapport de force militaire [en faveur des forces juives] devient écrasant à partir de l’été 1948 (notamment grâce aux armes du camp communiste), la situation reste équilibrée durant les premières semaines. Il faut rappeler que les États-Unis ont décrété un embargo sur les armes à destination de la Palestine en décembre 1947".

De plus, des armes mais aussi une brigade de communistes juifs tchèques arriveront pour former et renforcer les héroïques “combattants de la Hagana”, comme le dira L’Humanité. [7]

L’URSS a ensuite soutenu en permanence l’État juif au sein de l’ONU jusqu’à son admission à l’ONU le 12 mai 1949. Il est vrai que, pour obtenir l’entrée de son pays dans la nouvelle organisation internationale, la délégation israélienne à la conférence de paix de Lausanne a dû signer avec les Arabes le protocole d’accord par lequel Israël reconnaît la résolution 181 du 29 novembre 1947, et donc le droit des Arabes palestiniens à un État, et la résolution 194, et donc le droit des réfugiés au retour de la guerre ou à une indemnisation. Pourtant, même sur la question des réfugiés, Moscou a défendu Israël : elle a voté contre la résolution 194 du 11 décembre 1948, qui soulevait le droit des réfugiés palestiniens au retour ou à la compensation. L’histoire tragique se poursuit avec l’intensification de la Nakba actuelle.

Le soutien migratoire de l’URSS à Israël

Comme le dit Michel Réal : “La bataille démographique était essentielle à la réussite du projet des dirigeants sionistes. La population juive de Palestine en 1946 étant de 600’000 personnes, soit un tiers du total, il fallait faire pencher la balance en leur faveur, et l’URSS y a contribué de manière décisive. Avant 1948, l’URSS soutient directement ou indirectement les opérations secrètes d’immigration organisées par l’Agence juive d’Israël, envoyant des Juifs d’Europe de l’Est, notamment de Roumanie et de Bulgarie (66% des Juifs arrivés en Palestine entre 1946 et 1948 en sont originaires)”. Beaucoup de ces immigrants ont rejoint les forces terroristes sionistes.

L’engagement démographique aussi, peut-être même plus fondamental que l’engagement militaire“, selon Vidal, bien que la prémisse soit discutable, puisque le soutien militaire était vital pour le sionisme ; Ben Gourion lui-même le reconnaît. Les dirigeants sionistes devaient modifier le rapport de force en leur faveur. L’URSS a apporté une contribution décisive : en 1946, elle a permis à plus de 150’000 Juifs polonais de partir pour les zones d’occupation américaine et britannique en Allemagne, où ils sont entrés dans des camps de personnes déplacées. Les habitants des camps nazis n’ont eu d’autre choix que de se rendre en Palestine. Les États-Unis ne veulent pas accueillir ces réfugiés dans leur pays et ne leur accordent pas de visas. Dans ces conditions, les camps de personnes déplacées sont devenus un vivier pour les organisations sionistes”.

Conclusions

Il existe plusieurs réponses hypothétiques à la question de savoir pourquoi Staline a soutenu le sionisme. L’une d’elles est qu’Israël pourrait devenir une nation socialiste et un allié stratégique de l’URSS. Si tel était le cas, il s’agirait d’une hypothèse totalement illusoire de la part de la bureaucratie soviétique. Pour la plupart des historiens, comme Laurent Rucker, il s’agit avant tout d’une volonté de jouer sur la contradiction entre les intérêts impérialistes de la Grande-Bretagne et ceux des États-Unis afin d’affaiblir la position de la première au Moyen-Orient ; de plus, les Soviétiques espéraient s’attirer la sympathie de la communauté juive américaine, ce qui ne s’est jamais produit. Le slogan stalinien du socialisme dans un seul pays - qui n’a rien à voir avec l’internationalisme prolétarien du marxisme révolutionnaire - a également été utilisé comme politique étrangère pour renforcer en interne les intérêts politiques et économiques de la caste bureaucratique privilégiée, ce qui impliquait de chercher à contrôler des régions stratégiques d’influence politique.

Staline a incarné la bureaucratisation absolue de l’État soviétique et son totalitarisme. Il n’a jamais été cohérent avec la politique socialiste et l’internationalisme prolétarien. La Palestine a été et reste un exemple tragique du désastre d’une politique sans principes révolutionnaires. Comme le souligne à juste titre Fred Weston : “Les partisans actuels de Staline préféreraient que nous enterrions et oubliions ces faits. Ils voudraient entretenir le mythe selon lequel eux, les staliniens, se sont toujours opposés au sionisme. D’autres ont essayé de trouver des justifications à la trahison par Staline des principes de base établis lors des quatre premiers congrès de l’Internationale communiste [...] En 1943, Staline avait dissous l’Internationale communiste, car elle ne lui était d’aucune utilité, ayant depuis longtemps abandonné la perspective de la révolution mondiale. C’était aussi un geste pour plaire à ses alliés occidentaux de l’époque, Churchill et Roosevelt, en pleine Seconde Guerre mondiale”. En fait, surtout depuis le socialisme dans un seul pays peu après la mort de Lénine, Staline n’a jamais eu de perspective révolutionnaire mondiale. En Palestine, il a toujours agi dans le dos des partis communistes arabes. Staline n’a pas été guidé par les intérêts de la classe ouvrière mondiale. Ses décisions n’étaient pas déterminées par une perspective révolutionnaire de renversement du système capitaliste“. [8] Tout cela était la conséquence d’un processus de dégénérescence bureaucratique de l’État ouvrier soviétique. Cela explique, selon Weston, l’alignement stalinien sur l’impérialisme américain comme sur les sionistes en 1947.

Dans la solidarité mondiale avec la lutte héroïque de la résistance palestinienne, il y a des jeunes issus d’organisations communistes à tendance stalinienne. Nous reconnaissons que leur solidarité est admirable et bienvenue, bien que nombre d’entre eux ignorent le rôle infâme de la trahison du peuple palestinien par Staline il y a 77 ans. D’autres, très peu nombreux, reconnaissent cette bassesse politique, mais tentent de la justifier ; qu’à cela ne tienne, il s’agit aujourd’hui de faire preuve d’un esprit uni de solidarité avec la cause palestinienne qui est un bastion contre l’impérialisme capitaliste.

Ce génocide est une manifestation brutale de la barbarie sociale dominante. Il s’agit d’une saignée historique semblable à l’Holocauste d’une profonde crise civilisationnelle d’un capitalisme sauvage. Nous donnons ici raison à l’essai lucide Gaza devant l’histoire, d’Enzo Traverso, qui dit dans son dernier chapitre Du fleuve à la mer : “... on sait bien que la guerre peut être arrêtée aux États-Unis, le pays d’où viennent les armes du génocide [...] Ce qui est en jeu aujourd’hui, ce n’est pas l’existence d’Israël, c’est la survie du peuple palestinien”. [9]

Aujourd’hui, l’avenir immédiat de la condition humaine est défini à Gaza. Le génocide doit être arrêté. Il faut revenir à la philosophie du Principe d’Espérance (Ernst Bloch dixit) et à la politique de l’Internationalisme Prolétarien.

Notes

[1Harman, Chris. L’autre histoire du monde. Une histoire des classes populaires de l’âge de pierre au nouveau millénaire. Ediciones Akal, Madrid, 2013.

[3Broué, Pierre. Les communistes contre Staline. Massacre d’une génération. Sepha Edición. Malaga, 2008.

[5Vidal, Dominique, Pourquoi l’URSS a-t-elle soutenu le jeune État d’Israël ? VientoSur, 18 juin 2019. https://vientosur.info/por-que-la-urss-apoyo-al-joven-estado-de-israel/

[6L’autre histoire du monde. Op. cit.

[7Dominique Vidal mentionne dans son article Laurent Rucker, dont le livre est fondamental : Staline, Israël et les Juifs, Presses Universitaires de France (PUF), Paris, 2001.
Il existe une bonne synthèse de ce livre par Françoise Thom : https://doi.org/10.4000/monderusse.4059
Citons également : “Stalin’s responsibility for the creation of Israel and its disastrous consequences”, par Fred Weston. 26 juillet 2024. https://marxist.com/la-responsabilidad-de-stalin-en-la-creacion-de-israel-y-sus-desastrosas-consecuencias.htm

[8”Quand l’Union soviétique parrainait Israël", par Michel Réal. Le Monde Diplomatique. septembre 2014.

[9Traverso, Enzo. Gaza devant l’histoire. Ediciones Akal, M-exico, 2024.

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