Répression - Enfermement

Le stade comme laboratoire de la répression

Depuis 2010, un concordat inter-cantonal impose des mesures répressives toujours plus sévères à ceux qui fréquentent les stades activement. Et dans certains cantons, ces mesures de contraintes ont tendance à s’élargir à toutes les manifestations. Une évolution inquiétante.

Suisse |

En 2007, le parlement suisse a approuvé la modification de la loi fédérale sur les mesures de sécurité intérieure (LMSI), notamment en ce qui concerne les violences commises à l’occasion de manifestations sportives. Ces modifications, limitées dans le temps, ont été, dans un premier temps, présentées comme nécessaires pour pouvoir compléter le plan de sécurité en vue des championnats européens de football organisés en Suisse. Le Conseil fédéral soutenait que ces mesures étaient indispensables pour pouvoir contrer et protéger les honnêtes citoyens de hordes de hooligans tout autant attendus qu’inexistants.

Malheureusement pour ceux qui attendaient anxieusement un quelconque incident pour justifier ces mesures liberticides, rien n’est survenu au cours de ce championnat européen, qui s’est déroulé dans le calme absolu. Mais la machine médiatique avait largement contribué à construire cette figure du supporter dangereux, assoiffé d’affrontement, de tel sorte qu’il était déjà impossible de faire marche arrière. Ainsi, ces mesures ont été dans un second temps étendues aux mondiaux de hockey qui se déroulaient également en Suisse en 2010. Mais comme cet événement était, par définition, également limité dans le temps, la commission des directeurs et directrices du département de la justice et police (CDDGP) a alors décidé de rédiger un concordat inter cantonal.

Dans ce concordat, on retrouve les mêmes normes que celles adoptées pour les championnats européens de 2008 et les mondiaux de hockey de 2010, mais également de nouvelles mesures comme l’interdiction de périmètre, l’obligation de se présenter au poste de police à des horaires déterminés (pointage) et la détention préventive. Ces normes ont donc, au fil du temps, perdu leur caractère exceptionnel et provisoire pour entrer en vigueur de manière définitive le 1 janvier 2010. Il est intéressant de noter que, statistiquement, l’adoption du concordat s’est traduite par une augmentation des cas de violence dans et autour des stades, et l’explosion du nombre de personnes enregistrées dans la banque de donnée nationale HOOGAN (base de donnée partagée au niveau européen via Europol, et qui fiche les personnes ayant commis des actes de violence dans le cadre de manifestations sportives [1]).

Si, d’un prime abord, ces chiffres pourraient donner raison au souteneur du concordat, en réalité l’explication rationnelle est tout autre : en augmentant les actes punissables, les autorités ont tout simplement érigées en infractions des comportements (cf. article 2 du concordat) qui ne l’étaient pas auparavant, d’où l’augmentation du nombre de cas ! Autrement dit, ils fabriquent eux-mêmes la délinquance contre laquelle ils veulent lutter, faisant ainsi gonfler les statistiques ce qui leur permet par là même de justifier les mesures employées. D’ailleurs la CDGGP en a profité pour proposer une intensification ultérieure des mesures déjà adoptées.

Le phénomène est d’autant plus préoccupant que les mesures prises au regard des manifestations sportives touchent désormais dans certains cantons la vie en dehors du stade. Ainsi au Tessin, les mesures du concordat sont, depuis 2013, applicables à toute les manifestations et autres événements, qu’ils soient sportifs ou non (fêtes populaires, carnaval, manifestations politiques). En quelques années les mesures sont passées d’un stade de mesures particulières, provisoires et ciblées, à des mesures permanentes qui touchent l’ensemble de la population. Ce phénomène d’élargissement de mesures répressives spécifiquement destinées à une catégorie particulière d’individus à l’ensemble de la population a déjà été constaté au cours de la récente histoire politico-judiciaire. La prise d’ADN par exemple était, il y a encore 10 ans, un outil présenté comme efficace pour lutter contre la criminalité sexuelle. Aujourd’hui elle n’est plus exceptionnelle mais systématique, quelques soit le délit commis.

Depuis quelques années le mouvement ultras suisse subit de plein fouet l’augmentation des mesures répressives et l’arbitrarité malsaine avec laquelle elles sont appliquées. L’Association Suisse de Football (ASF) est totalement partisane de ces nouvelles dispositions répressives et s’est taillée un règlement sur mesure dont la légalité pourrait être remise en cause. On pense notamment ici à l’effet suspensif du recours qui n’y est pas reconnu, bafouant par là même le principe, fondamental en droit, de la présomption d’innocence. Dans ces moments où nous sommes tous présumés coupable, le mouvement ultras se doit de soutenir les trop nombreuses victimes de la répression aveugle qu’elle compte dans ses rangs. Ses actions régulières, avant, pendant et après les matchs vont dans cette direction mais semblent être mal perçues par un public qui s’apparente de nos jours d’avantage à un regroupement de consommateurs (les footix [2]) qu’a un réel rassemblement populaire. Mais peut-être que le jour où ces même gens seront interdits de fête de vendanges ou de Lake parade, ils comprendront ce que l’on veut dénoncer et protesterons avec nous contre ces normes liberticides qui hantent nos vies…

Notes

[1Il est intéressant de noter que les mesures érigent l’utilisation d’engins pyrotechniques (fumigènes, torches marines, etc…) en infraction violente. Peu importe qu’ils soient utilisés dans une perspective purement décorative ou jeté sur un cordon de policier. Peu importe que l’on en utilise sur le chemin du stade ou à l’intérieur de celui-ci : L’utilisation de ces engins est automatiquement considérée comme un acte de violence dans le cadre d’une manifestation sportive ! Au-delà du fichage sur une base de donnée européenne, cela se traduit généralement par la prononciation d’une interdiction de stade de 2 ans (prolongeable facilement) et une inculpation pénale pour infraction à la loi sur les explosifs.

[2Footix fait référence à la mascotte de la coupe du monde de football qui a eu lieu en France en 1998. Elle symbolise, en français, la propension consumériste du football moderne.

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