Anticapitalisme

Bogota, récit du concert historique pour le lancement du parti des FARC

Le 1er septembre 2017, les Farc (Forces Armées Révolutionnaires Colombiennes) ont organisé une journée de concerts sur la Plaza Bolivar au centre-ville de Bogotà. C’est un événement historique marquant la fin d’un congrès de quatre jours ayant abouti sur le lancement officiel du parti des Farc dans la politique institutionnelle. La soirée a notamment été marquée par un discours du leader Farc “Timochenko” et du concert de Toto la Momposina. Nous y sommes alléEs avec des amiEs ColombienNes et FrancaisEs. Cet article relate le contexte de cette journée et comment nous l’avons vécue.

Colombie |

LES ACCORDS EN BREF

Le 24 novembre 2016, un traité de paix, plus connu selon le terme des accords de La Havane, a été signé entre le gouvernement colombien de Santos et les Farc, après 52 longues années de conflit armé. Ce pacte a été mis en place malgré le refus par le peuple lors dur référendum voté le 2 octobre de la même année. L’accord comprend cinq points principaux, dont le désarmement de la guérilla, la permettant ainsi d’entrer sur le terrain de la politique institutionnelle légale.

LES FARC ENTRENT EN POLITIQUE

Du 27 août au 1er septembre, au centre de Bogotá, a eu lieu le Congrès national des Farc auquel 1200 ex-guérilleroas et déléguéEs ont pris part (Article en français du Temps, journal Suisse Romand). Fait historique et unique, nous avons ainsi pu découvrir le changement de nom du groupe, ou plutôt le changement de la signification de l’acronyme FARC, car celui-ci a été maintenu. Le parti s’appelle désormais Fuerza Alternativa Revolucionaria del Común. Ceci bien sûr ne fait pas l’unanimité (Article en espagnol del Pais, journal de droite) car l’histoire de ce nom est tachée de sang. Bien sur, l’histoire de l’Etat colombien l’est aussi et personne ne parle de changer le nom du pays pour autant. Tout doit évidemment être recontextualisé. Le logo quant à lui est représenté par une rose rouge, avec en son centre, une étoile de la même couleur dont le design semble avoir été revu afin de ne pas paraître excessivement soviétique. En tant qu’EuropéenNEs, la rose nous fait bien évidemment rire, tant ce symbole a été sali par la politique des partis socialistes. Mais on est pas en Europe et les ColombienNEs avec qui j’en ai parlé semblaient apprécier cette image.

Peut-être est-ce chercher la petite bête que de se demander d’où viennent les milliers de roses distribuées lors du concert, mais si on écrit des textes, c’est aussi parce qu’on aime se poser des questions. En effet, la région de Cundinamarca (Bogotà) est le deuxième exportateur de roses au monde. Les conditions des travailleureuses sont terribles. Les exploitations appartiennent évidemment à de grands propriétaires terriens et celleux qui s’occupent des plantes n’ont rien. Illes travaillent sous serres et utilisent de grandes quantités d’engrais et de pesticides. De plus, nombre d’entre elleux développent des maladies au niveau des articulations des doigts à cause de l’utilisation des sécateurs. Et les assurances santé en Colombie, c’est pas pour les pauvres. On ferme la parenthèse.

INTERDICTION DE l’EVENEMENT

Revenons-en au concert. Il faut savoir que la mairie, de droite, avait tout d’abord interdit l’événement, prétextant que les prisonniers Farc présents au congrès devraient immédiatement rejoindre leurs geôles après les discussions. Mais finalement, deux jours avant l’événement, la commune est revenue sur sa décision, certainement grâce à la pression des réseaux sociaux et des milliers de personnes qui avaient prévu d’y participer. La logistique de la sécurité a ainsi été théoriquement déléguée aux Farc, déresponsabilisant ainsi les autorités en cas “d’accident”.

ON Y VA !

Pourquoi on a voulu y aller ? Et bien pour plusieurs raisons. D’abord, parce qu’on est jeunes et qu’on aime bien les concerts, le bruit et la foule. Puis Toto la Momposina, c’est une légende chez nous aussi, alors on évite de rater l’opportunité de la voir en concert en Colombie. On s’est pointéEs par devoir de soutien, pour les ColombienNEs, pour les Farc et pour les changements à venir.

On y est allé parce que malgré notre pessimisme, on croit à la Paix.

Aussi, dans le coin de notre tête, la peur d’être pris dans un attentat était bien là. On a vaguement évoqué le truc, mais bon, Toto vaut bien une petite prise de risque.

On débarque vers 14h. On est évidemment fouillés à l’entrée par les flics. Rien de spécial, l’ambiance n’est pas particulièrement pesante. Il n’y a d’ailleurs pas beaucoup d’ambiance mais bon, c’est le début. Peu après notre arrivée, arrive sur scène la Banda Bassotti, groupe de ska italien se produit pour la première fois en Colombie. Je ne connais leurs sons que des camion-sonos des manifs de UNIA en Suisse. Ils débarquent sur scène avec une banderole et un fond sonore qui ressemble fort à l’hymne nationale russe. Sur leur affiche, des logos soviétiques d’un autre temps. On remonte dans le passé. Perplexe sur le contenu de leurs messages qu’heureusement je ne comprends pas, j’écoute le concert attentivement et je finis tout de même ravi par leur version de Bella Ciao, chant obligatoire pour tout groupe italien rebelle qui se respecte.

S’ensuit de la musique populaire dont le nom de style m’échappe. Nous aussi on s’échappe parce ca sonne faux dans nos oreilles, question de goût. Et il fait soif sur cette place où la vente d’alcool est prohibée. On s’évade dans les ruelles dans la Candelaria, quartier historique du centre de Bogota. On se pose une heure pour une petite cannette dans un bar, puis on y retourne gentiment. Peu après notre retour, c’est Ana Tijoux, une chanteuse chilienne, qui balance la sauce. Elle met tout le monde d’accord. C’est de la tuerie. On enchaine avec deux rappeurs du Cauca, qui posent deux sons, puis un duo entre Black Esteban, un rappeur ex-guerillero et un guitariste. Ils nous ont composé une chanson chargée d’émotions, intitulée « la fin de la guerra ». Du joli.

Puis, les caméras se posent sur un invité, que tout le monde attendait sauf moi je crois. En effet, Timochenko, le leader des Farc, est bien là en chair et en os. On se croirait à Canne, les caméras suivent son long trajet jusqu’à la scène, et rediffusent ce parcours sur les écrans géants de la Place Bolivar, le tout en musique. Et le voilà qui apparaît devant nous. On en a la chair de poule. C’est bizarre, historique, inquiétant et excitant.

LE DISCOURS DE TIMOCHENKO

Il prend ainsi la parole (video du discours) en commençant par annoncer la fondation du nouveau parti. Que après plus de 50 ans de lutte armée, illes ont signé les accords de La Havane et ont ainsi déposé les armes afin de rentrer dans la politique légale. Il souhaite un pays où la violence disparaitrait entièrement de la scène politique et dans lequel personne n’aurait plus jamais à prendre les armes afin de défendre sa vie.

Il annonce que les Farc ont déjà bien entamé leur part du travail en ce qui concerne les accords, c’est-à-dire qu’illes ont posé toutes les armes, qu’ils ont entamé le processus consistant à rendre tous leurs biens et qu’ils sont désormais en phase de rentrer en politique légale. Il annonce aussi que le gouvernement a aussi montré preuve de bonne volonté de son côté. Nous on y croit moyen mais bon ça fait partie du jeu éléctoral de pas trop balancer sur son adversaire.

Il mentionne que la haine dans ce pays a notamment été exacerbée par le biais médiatique. En effet, si depuis 50 ans on dépeint les Farc comme des démons sanguinaires, c’est qu’une campagne de haine est encore en cours, menée par les médias étatiques et capitalistes.

Timochenko prend l’exemple de la Norvège, comme pays où tous les citoyens paient leurs impôts et jouissent ainsi d’un niveau de vie plus élevé. En Colombie, les entreprises avec les plus grands capitaux paient des impôts dérisoires. Et chaque matin, on se lève avec un nouveau scandale de corruption, impliquant politiciens et fonctionnaires. Le peuple a ainsi perdu toute foi en les institutions. Aussi, il faut un pays où les protestations ne soient pas toutes réprimées par la poigne de l’ESMAD (police anti-émeute colombienne, bien connue pour son extrême violence).

Il parle d’un pays où les 50 millions d’hectares cultivables seraient gérés de manière prospère, solidaire et équitable, par les communautés paysannes, indigènes et afros. Dans le nouveau pays qu’il propose, les femmes auraient les mêmes droits que les hommes et la diversité de genre serait respectée sans stigmatisation. Que plus personne ne dormirait dans la rue.

Il appelle ainsi à s’impliquer politiquement et à se battre contre l’abstentionnisme et finalement invite les gens à connaitre son parti pour la démocratie et un pays plus juste.

NOUS, CE QUON EN PENSE

Evidemment on avait les yeux tout mouillés à la fin du discours. Mais bon, on garde conscience de qui on a en face de nous. Non seulement un ex-chef de guerre communiste, mais désormais un politicien communiste. C’est-à-dire qu’en entrant dans le jeu de la politique légale, illes entrent aussi dans la guerre de la propagande et de la manipulation des masses. On est raviEs de l’intention, mais on attend la suite. On attend le programme pour les élections présidentielles en 2018. On espère un vrai changement mais le pessimisme est dans notre peau. Et c’est pas par principe anti-autoritaire ou anti-communiste, c’est parce que le processus de Paix qui nous a été vendu à La Havane, c’est leur Paix.

On espère un vrai changement mais le pessimisme est dans notre peau. Et c’est pas par principe anti-autoritaire ou anti-communiste, c’est parce que le processus de Paix qui nous a été vendu à La Havane, c’est leur Paix.

C’est même une Paix de droite, selon la journaliste de guerre Natalia Orozco, auteure du film « Le silence des Armes », interviewée par la RTS le 8 août de cette année (émission en francais). Nous espérons ainsi tout de même beaucoup du programme des Farc, seul contrepouvoir officiel ayant désormais accès au gouvernement. Mais surtout, les innombrables associations et groupes autogérés du pays vont profiter de cette ouverture démocratique afin de s’organiser par en bas. La tâche est énorme. Les ColombienNes l’ont bien comprisES et s’organisent à tous les niveaux. C’est plus qu’un devoir, c’est une nécessité, une forme d’autodéfense contre l’Etat, les capitalistes et les paramilitaires. Le peuple s’organise pour survivre dans cette période d’incertitude, avec en ligne de mire un projet de Paix durable, sans trop espérer des pseudo-restructurations étatiques actuelles.

LA SUITE DU CONCERT

Après ce moment fort et ces petites réflexions, le spectacle continue de plus belle. Sur la scène, débarque une horde de chefFEs indigènes de tout le pays, et même un chef de tribu d’Amérique du Nord. Un des leurs entame un discours sur l’importance des cultures ancestrales. Il explique qu’une prophétie est en train de se réaliser et insiste sur l’importance de lutter pour la culture indigène qui depuis 500 ans est en péril. Après quelques présentations, illes allument et fument le calumet de la Paix, objet mythique que je ne connaissais que de Lucky Luke et qui aujourd’hui revêt une symbolique réelle et capitale.

LE FINAL, PUIS AU LIT

Tout ce beau monde, carnaval de couleurs et de sourires, finit gentiment par quitter la scène. Puis commence le battement des percussions de la côte atlantique colombienne. Dans la pénombre, les musiciens frappent, puis une voix s’élève, celle de Toto la Momposina. Elle est vêtue d’une magnifique robe aux couleurs du pays, rouge, jaune et bleu. Elle relance avec vigueur l’énergie dans la foule. Elle danse, on suit et on se tait. Elle nous balance tous ses classiques. Puis elle prend la parole et nous déclare avec sagesse que la musique n’a pas de couleur politique. À méditer.

On arrive au bout de ce concert, on rentre, le cerveau tout embrouillé, de cette journée historique. On marche et on parle, dans la pénombre des rues de Bogota, ses vendeurs ambulants qui plient les stands, ses crackés qui titubent et ses taxis qui klaxonnent. La Paix est un long cheminement. On va essayer de pas se tromper de route.

Quelques liens :

Parti officiel des Farcs : http://www.farc-ep.co/

Organe de Presse des Farcs : http://pazfarc-ep.org/ncnoticias.html

Toutes les photos proviennent de cet article de la Semana : http://www.semana.com/nacion/galeria/lanzamiento-del-partido-politico-de-las-farc/538571

P.S.

Article tiré du blog d’agitation http://cafesinazucar.blackblogs.org, relatant d’éléments politiques d’un voyage en Colombie, ayant pour but d’informer et de proposer des perspectives de luttes et de soutien pour les extra-ColombieNes. En effet, une connaissance et un soutien international des luttes est nécessaire pour diverses raisons, dont la protection physique des personnes Colombiennes contre les attaques de la police lors de la présence d’internationaux ainsi que le renforcement de la cohésion des luttes entre le Nord et le Sud.

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