La fête finira
Publié le 3 juin sur infoaut, traduit par renverse.co et ses amiEs
Sacko Soumayla, un Malien de 29 ans, est mort abattu, fusillé, la nuit dernière dans la campagne de San Calogero, entre Rosarno et Calimera, dans le Vibo Valentia. Quelqu’un a tiré depuis une longue distance. Deux autres hommes, Madiheri Drame, 30 ans, et Madoufoune Fofana, 27 ans, ont été blessés. Ils étaient à l’entrée de l’ancienne fournaise, une usine désaffectée, à la recherche de vieilles tôles et d’autres matériaux utiles à la construction d’un abri de fortune où ils pouvaient se reposer après le travail dans les champs.
Sacko était l’un des nombreux.ses ouvrier.e.s agricoles qui se cassent le dos à la campagne pour quelques euros, pour collecter les oranges que nous retrouvons à des prix si élevés dans les supermarchés. Il était actif dans les luttes ouvrières, là, dans ces campagnes, dans la plaine de Gioia Tauro. Une mort qui ne fait pas la une des journaux. Pourquoi ? Parce que c’est une exécution. Une mort non ordonnée par cette société mais appartenant à son ordre normal de société raciste, où les relations de classe sont aussi des relations de ségrégation raciale et où la vie de celleux comme Sacko, tout comme leur travail, vaut moins.
Normalité. Il y a celleux qui sont surpris.es, regrettent, puis oublient. Il y a celleux qui la connaissent et qui serrent toujours leurs poings, de rage. Encore une fois. C’est révoltant. C’est la même histoire qu’à Macerata ; que celle d’Idy Diene à Florence ; que celle du jeune sénégalais battu à coup de barre de fer parce qu’il ne pouvait payer le loyer il y a une semaine à Castelfranco di Sotto près de Pise ; ou que celle du jeune roumain renversé par un train il y a seulement deux jours alors qu’il se rendait aux champs entre Acerra et San Felice a Cancello. Puis il y a la mer, où illes coulent : 35 morts au large de la Tunisie. Mais personne ne regarde jamais au-delà de l’horizon.
C’est la poutre dans l’oeil de celleux qui cherchent la brindille dans l’oeil de celleux qui souffrent dans ce pays : les noir.e.s et les étranger.e.s meurent parce qu’illes sont noir.e.s et étranger.e.s. La menace d’une vie ingrate et sans pitié touche certaines parties du prolétariat blanc et indigène, mais actuellement ce sont les noir.e.s qui meurent. La politique marque bien la ligne de démarcation : “illes peuvent mourir, vous pas.” Les fusils et les pistolets ne laissent aucun doute. “Regardez où et comment illes meurent, ces noir.e.s,” pour comprendre comment illes se démarquent de nous : “illes meurent au travail, dans les champs, dans les derniers lieux oubliés de Dieu”, c’est-à-dire derrière nos maisons et dans nos rues. Si personne ne peut jamais regarder au-delà de l’horizon, c’est parce que la vie courbe l’échine.
Le politicien Salvini continue d’attaquer. Il promet la guerre : "les beaux jours sont finis". Petit homme. Il ajoute seulement l’infamie à un fait déjà présent : la guerre contre les travailleurs.ses migrant.e.s est déjà là. Il l’a utilisé, il l’a transformé en rancœur pour en faire sa rente politique, pour en faire une croisade dans les institutions. Il couvre ce sentiment d’impunité qui permet de tuer un homme pour apaiser une petite vengeance contre la misère de ce monde ou simplement pour faire de la cruauté le mot d’ordre.
Mais il n’y a pas d’ennemis invincibles, capables de faire tomber la nuit à tout moment, comme si l’interrupteur s’était éteint. Cellui que celà angoisse est exempt du match de la mort, iel ne connaît pas la menace quotidienne. Salvini change peu ou si on veut ça changerait beaucoup comme prétexte pour se rebeller contre la règle des tireurs dans un monde de cibles. Ils ont tué l’un d’entre nous. Celleux qui sentent cette odeur de mort savent qu’il n’y a pas de raccourci : il ne suffit pas d’un système plus juste, il faut sortir pour ne pas laisser passer entre nous cette ligne de démarcation entre des histoires de vie sans espoir et des histoires sans espoir de vie, pour compter et ne pas être tué. Il suffit de devenir des cibles mobiles, la fête finira...
À Sacko.
Crime raciste en Calabre : Tué par balle. Un syndicaliste assassiné en Italie
Article publié le 4 juin sur le site revolutionpermanente.fr
« La fête, c’est fini ! ». Les mots sont de Matteo Salvini, le nouveau ministre de l’Intérieur italien et homme fort du gouvernement. Selon lui, les migrants et les réfugiés sont trop bien accueillis, dans la péninsule. Devançant son discours de quelques heures, au cours de la nuit de samedi, des coups de fusil étaient tirés contre un groupe de jeunes travailleurs agricoles africains près de Rosarno, dans le Sud du pays. Bilan : un jeune syndicaliste de 29 ans tué et un autre ouvrier blessé à la jambe. Lundi, les travailleurs agricoles de la plaine de Gioia Tauro ont répondu par la grève et la mobilisation.
C’est la région dont provient une partie des fruits et légumes, parfois même estampillés « bio », que l’on retrouve sur nos tables : agrumes, kiwis, tomates, en particulier. Cultivés dans le Sud de l’Italie, notamment dans la région de Gioa Tauro, en Calabre, ils sont récoltés par des milliers de travailleurs agricoles, originaires d’Afrique Sub-saharienne, rétribués à la journée. La paie tourne autour de 20 à 25 euros, pour dix heures de travail. Ceux qui ne sont pas contents sont invités à aller se faire voir ailleurs et ne sont de toute façon pas réembauchés, le lendemain, par les « caporali », les contremaitres qui font office de garde-chiourme et de bureau d’embauche. Dans les plaines agricoles du Mezzogiorno, c’est l’esclavage qui a été rétabli. Et le patronat mafieux qui fait régner l’ordre.
Le nouveau gouvernement italien, issu de la coalition extrême droite-droite populiste entre la Ligue et le Mouvement Cinq Etoiles, a promis des gestes forts contre les migrants, les réfugiés, les sans-papiers. Une façon de désigner, à bon compte, des boucs-émissaires, en amplifiant un peu plus les mesures prises, ces dernières années par les gouvernements du Parti Démocrate. Certains ont ainsi devancé les déclarations de Matteo Salvini, chef de la Ligue, ministre de l’Intérieur et vice-Président du Conseil. A 20h30, samedi soir, parmi les champs d’agrumes et les oliviers, près de Rosarno, des coups de fusil ont été tirés en direction de trois jeunes Maliens à proximité d’une vieille fabrique abandonnée. Ils cherchaient à récupérer des plaques de tôle pour se faire un abri dans le camp de tentes et de baraquements de fortune de San Ferdinando où dorment, la nuit, jusqu’à 4000 ouvriers agricoles. Soumaila Sacko, touché à la tête, est mort.
Que les coups de feu aient été tirés par un agent de la mafia chargé de surveiller un bâtiment aux mains de la criminalité organisée où étaient entreposés des déchets illégaux et toxiques, ce que les trois jeunes ne pouvaient savoir, ou par l’un des « caporali » ou leurs hommes, chargés de faire régner la discipline dans les champs de la plaine agricole de Gioia Tauro, l’objectif était clair : tirer sur trois jeunes migrants africains. Le fait que Soumaila Sacko ait été un militant actif de l’Union Syndicale de Base (USB) laisse penser la plupart des observateurs de la situation dans la région que la seconde hypothèse est la plus probable. Les commanditaires du crime, en revanche, se trouvent au gouvernement : ce sont l’ensemble des ministres, de la Ligue comme du M5S, qui ont fait dans la surenchère raciste et xénophobe, au cours des dernières semaines. C’est en tout cas ce qu’ont scandé, en manifestation, à Vibo Valentia, les camarades de Soumaila, qui sont descendus dans la rue, lundi.
Lundi matin, en effet, aucun travailleur agricole n’était visible aux croisements des routes de la plaine agricole où sont embauchés dès l’aube les ouvriers. La grève appelée par l’USB a été totale. L’activité a également été paralysée dans la région de Foggia alors que des rassemblements ont eu lieu ailleurs en Italie, notamment à Turin, à Potenza et à Rome. Mardi et mercredi, ce sera au tour des travailleurs du secteur logistique, très en pointe dans les luttes et organisés par les syndicats de base, comme le SiCOBASet l’USB, de débrayer pour protester contre le racisme, le travail au noir, le patronat mafieux et la politique de Salvini-Di Maio, en vue de la grande mobilisation appelée pour le 16 juin contre le nouveau gouvernement. Soumaila Sacko, lui, dont la femme et la petite fille de 5 ans étaient restées au Mali, est le premier mort du cabinet italien qui a prêté serment samedi.