Écologie - Antiindustriel

[Etats-Unis] Dans le Dakota, les Sioux s’organisent contre la fracturation hydraulique

Nous avons demandé à Robert Hurley, traducteur américain de Michel Foucault, Gilles Deleuze, Georges Bataille ou Pierre Clastres, de nous raconter la lutte en cours dans le Dakota qui oppose les amérindiens à la construction d’un oléoduc souterrain sur leurs terres.

Etats-Unis |

On assiste, depuis avril dernier, à une résistance farouche des Sioux contre ce qu’ils ont baptisé le Serpent Noir : le Dakota Access Pipeline, un projet d’oléoduc souterrain dont le chantier traverse le Dakota du Nord et le Dakota du Sud. Sauf altération des plans, le serpent devrait ensuite couper à travers l’Iowa, pour achever sa course dans le sous-sol de l’Illinois – afin de transporter le pétrole brut extrait de la formation de Bakken (dans le nord-ouest du Dakota du Nord). Beaucoup de pétrole brut, qui circulerait dans un tuyau de 75cm de diamètre. Quand on prend le temps d’y réfléchir, on est vite frappé par l’échelle vertigineuse du projet. À commencer par l’échelle matérielle.

Prenez les images satellites du gisement de Bakken. Sur ces photos, prises de nuit, on distingue une masse de points de lumière, que l’oeil aurait tendance à prendre pour une ville. En réalité, il s’agit de centaines de flammes ; chaque point est un foyer, là où le gaz naturel s’échappe dans l’atmosphère, faute de meilleure destination. Ce sont les puits de pétrole. Ceux-ci fonctionnent grâce à la technologie du forage dirigé et de la fracturation hydraulique, mieux connue sous le nom de « fracking ». En bref, mais on s’en contentera, ce que l’on cherche à « fracturer », c’est la formation rocheuse qui sécrète le pétrole. Pour ce faire, on injecte de l’eau à haute pression, boostée par un cocktail de produits chimiques, dont certains sont cancérigènes. À moins d’être chimiste, ce n’est jamais qu’une liste de noms : du xylène, du toluène (que l’on trouve également dans la dynamite), mais encore du formol, du kérosène, du benzène, … À Bakken, on prévoit d’extraire 7,4 milliards de barils de cette façon.

Je parlais d’échelle, alors pour situer, je vais citer le journal d’hier : un tremblement de terre d’une magnitude de 5,0 a ravagé la petite ville de Cushing, dans l’Oklahoma. L’Oklahoma n’est pas une zone sismique. Il existe une possibilité non-négligeable que ledit séisme ait été causé par une large quantité d’eau issue de fracturations hydrauliques réinjectée dans des réservoirs souterrains (ceci n’est pas une théorie du complot). Il est sans doute utile de mentionner que l’on trouve à Cushing l’une des plus grandes infrastructures de stockage pétrolier du pays (et peut-être du monde). Ou encore qu’Obama s’est rendu à Cushing en 2012 afin d’assurer aux citoyens qu’il était ultra-investi dans le développement pétrolier des États-Unis, puisqu’il est évident que « nous » devons réduire « notre » dépendance aux importations d’énergie – et oui, oui, bien sûr, on construira plus d’éoliennes et de panneaux solaires et tout ça. Pour en revenir au Dakota Access Pipeline, et au mouvement NoDAPL qui s’y oppose, Obama a déclaré qu’il envisageait une réévaluation de la trajectoire proposée, et qu’« on attendrait de voir comment la situation évolue au cours des semaines à venir ». Le choix de mots est intéressant, dans la mesure où, au cours des semaines suivantes, les « protecteurs de l’eau » (et non « manifestants ») ont été aspergés de gaz lacrymogènes, attaqués par des chiens de police, gazés, visés et touchés par des balles en caoutchouc, arrêtés par dizaines, fouillés au corps, numérotés au marqueur noir sur les avant-bras, et détenus comme des animaux dans des chenils grillagés. La police militarisée a déployé un arsenal prodigieux : véhicules de transport de troupes, canons à son, tasers, fusils automatiques, … comme s’ils s’apprêtaient à affronter l’autre ennemi, celui d’Afghanistan, d’Irak ou de Syrie. Apparemment, quand Obama dit qu’il préfère « voir comment la situation évolue », il veut dire que ça va saigner.

Inextricablement, on est tenté de faire remarquer qu’il existe déjà près de 3,9 millions de kilomètres d’oléoducs et de gazoducs pour alimenter notre Titanic du XXIe siècle. Le DAPL lui-même a des projets jumeaux – comme par exemple le gazoduc Trans-Pecos, qui transporterait près de 40 milliards de mètres-cube de gaz naturel de Fort Stockton, Texas, à Presidio, près de la frontière mexicaine, en passant par les terres quasi-sauvages du Big Bend. Il y a de bonnes raisons de s’opposer à ce projet-là également, et de fait, certains s’y opposent, par amour pour la terre en péril là-bas. Le méchant de l’histoire est une société nommée Energy Transfer Partners, basée au Texas, mais soutenue par des investisseurs du monde entier, dont Wells Fargo, Chase, ou encore le Crédit Suisse, ainsi que notre nouveau président (!) Donald Trump – dont ETP a sponsorisé la campagne électorale. Le PDG est un certain Kelcy Warren, un ancien ingénieur devenu milliardaire, apparemment amateur de musique folk. Il subventionne Cherokee Creek, un festival de folk texan, et se dit proche du chanteur Jackson Browne – qui l’a récemment renié, en expliquant qu’il n’était pas au courant des agissements de Warren, et que l’esprit de sa musique s’opposait aux valeurs de l’industrie pétrolière. D’autres musiciens, dont les Indigo Girls, ont suivi son exemple ; Jackson Browne, accompagné de Bonnie Raitt, a prévu un concert en solidarité avec Standing Rock lors du week-end de Thanksgiving.

Standing Rock, c’est le nom de la réserve des tribus Hunpapa Lakota et Yanktonai Dakota qui chevauche la frontière entre les Dakota du Nord et du Sud. C’est une réserve Sioux. Pine Ridge [1] en est une également, plus célèbre celle-là : c’est là, en 1973, que s’est déroulé le siège de Wounded Knee et l’échange de tirs entre militants de l’American Indian Movement et les troupes fédérales. C’est également l’une des régions les plus pauvres des États-Unis. On n’échappe pas au poids d’un tel contexte historique. Comme un ami l’a récemment résumé sur un réseau social : « Massacrés, transformés en lumpen-prolétaires, relégués dans des zones d’exclusion sociale, privés d’une langue maternelle, ridiculisés, drogués, victimes d’une épidémie de suicide parmi les adolescents, abattus chez eux comme des animaux nuisibles, en première ligne face à la police. » En effet, pris sous cet angle, qu’est-ce qu’une réserve, sinon une « zone d’exclusion sociale » ? On peut envisager la longue agonie des indigènes américains sous le joug de la colonisation en se tournant vers la Palestine, ou vers l’apartheid sud-africain. Mais il faut bien veiller, accordons-nous là-dessus, à ne pas effacer des êtres humains dans une identité de victimes qu’eux-mêmes se doivent de rejeter, sous peine de mourir d’affliction. Le système des réserves présente des avantages et des limites : des gouvernements tribaux démocratiques et indépendants, des hôpitaux, une vague couverture sociale, des écoles, des community colleges, et une « souveraineté limitée », comme on dit – à savoir, un droit de taxation, les casinos, une relation de gouvernement à gouvernement avec les représentants fédéraux, et même un accès aux Nations Unies. On demeure libre, bien entendu, de rester sceptique. On demeure libre, par exemple, de rappeler qu’en 1973, les combattants de Wounded Knee cherchaient à s’affranchir d’un gouvernement tribal corrompu, voire meurtrier. Quoiqu’il en soit, l’esprit guerrier des Sioux est toujours bien vivant. Souvenons-nous de la bataille de Little Bighorn, du massacre de Wounded Knee au 19e siècle [2], et de la seconde confrontation un siècle plus tard, lorsque nous considérons les événements de ces derniers mois à Standing Rock.

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P.S.

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