Article publié le 17 mai sur 360.ch, signé Antoine Gessling
C’est une victoire plutôt prévisible qui a été célébrée dans la nuit de samedi à dimanche : celle de l’Israélienne Netta Barzilai à l’Eurovision. Son titre, « Toy », avait tout pour lui dans une compétition somme toute assez plate : un hymne au mouvement #MeToo interprété par une artiste aux formes assumées dans un décor kawaï des plus tendances. Bien vu. Ce qui l’était moins, c’est que l’euphorique retour au pays du trophée – avec une fiesta sur la place Rabin de Tel-Aviv – a coïncidé avec la journée la plus meurtrière du conflit israélo-palestinien depuis 2014 : 58 tués sous les balles de l’armée israélienne lors de manifestations à la frontière de la bande de Gaza contre l’inauguration de l’ambassade américaine à Jérusalem.
Jérusalem, justement. Les autorités israéliennes n’ont guère attendu avant de confirmer que la ville au statut controversé accueillerait le concours l’an prochain, comme l’avait lancé Netta elle-même en recevant son trophée, selon la formule consacrée « Next Time in Jerusalem ! » « Ceux qui ne veulent pas Jérusalem dans l’Eurovision vont avoir l’Eurovision à Jérusalem », s’est félicité sur Twitter le Premier ministre Benjamin Netanyahu.
Le concours s’était déjà déroulé à Jérusalem en 1999, après une autre victoire marquante, celle de l’interprète trans Dana International. Mais Israël était alors encore en plein dans ce que l’on appelait alors le « processus de paix ». Un processus en ruines aujourd’hui, sous l’effet de presque deux décennies de pouvoir des nationalistes alliés à l’extrême droite religieuse.
Diversion
A certains égards, le processus de paix a cédé sa place à d’autres stratégies, comme celle du pinkwashing. Le procédé décrit l’exploitation d’une image gay-friendly d’Israël (et singulièrement de sa vitrine touristique, Tel-Aviv) comme diversion à la politique expansionniste en Cisjordanie occupée et aux violations des droits de l’homme. Le pinkwashing était manifestement à l’œuvre dans la candidature même de Netta, dont on a souligné sa popularité auprès des LGBT et le fait qu’elle avait fait ses débuts musicaux sous l’uniforme de Tsahal, modèle d’armée inclusive. Le clin d’œil au public gay de l’Eurovision aurait même été appuyé par des publicités apparues pendant le concours sur l’app Grindr, invitant les utilisateurs à voter pour la « vraie diva ».
Au premier rangs des eurofans, les LGBT seront-ils dupes de cette politisation ? On pourra sans doute en juger au cours des apparitions sur scène de Netta en Europe. La chanteuse montera sur celle de la Pride de Zurich, samedi 16 juin, comme l’ont annoncé fièrement les organisateurs de la manifestation lundi, alors que tous les journaux faisaient leur Une sur le bain de sang à Gaza. Sur Facebook, le post de la Zurich Pride a déclenché une cacophonie de félicitations et d’appels au boycott : « 50 morts et 2000 blessés à Gaza, a par exemple réagi un internaute sur Facebook. Est-ce à dire que la Pride de Zurich est devenue complètement hors-sujet ? »