Répression - Enfermement

La guerre mexicaine contre la drogue : bain de sang pour un business juteux

Au Mexique, le narcotrafic et la guerre d’apparence que lui a déclaré le gouvernement national tuent des milliers de personnes par an, tout en profitant – entre autres – aux entreprises d’armement américaines. Initiée en 2008, la nouvelle stratégie répressive de lutte contre les cartels de la drogue, nommée “Initiative Merida”, a consisté principalement en une militarisation de la police fédérale. Cofinancée par les Etats-Unis d’Amérique à coup de milliards, elle n’a fait au contraire qu’augmenter le nombre de victimes. Plongé dans une spirale infernale, le pays est aujourd’hui classé troisième au monde en terme de civiles exterminés dans un conflit interne, après l’Irak et la Syrie. La journaliste canadienne Dawn Paley, auteure de l’ouvrage Drug War Capitalism (2014), sillonne le Mexique depuis sept ans pour témoigner de ce massacre. Rencontre.

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Actuellement, votre travail de terrain est focalisé sur les “disparitions forcées” dans la province de Coahuila. Décrivez-nous la situation dans cette région.

Dawn Paley : Limitrophe du Texas, Coahuila est une province désertique faite de villes industrielles, centrale dans l’acheminement de la drogue aux Etats-Unis. En juillet 2010, tous les médias se sont braqués sur la ville de Torreón, après que des individus – sensés être incarcérés mais libérés pour la nuit d’une prison de l’état voisin de Durango – ont massivement ouvert le feu dans un night club, tuant 17 personnes.

L’expression “disparition forcée” est utilisée pour parler des victimes du narcotrafic, emmenées subitement par des membres ou complices de cartels et dont les corps n’ont jamais été retrouvés. Au Mexique, des fosses communes remplies de corps non-identifiés – et souvent calcinés ou en morceaux – sont régulièrement découvertes. A Coahuila, alors que les chiffres officiels font état de près de six-cents disparus, les familles de victimes mobilisées en annoncent plus de trois-mille-cinq-cents. Le précédent gouverneur de cet Etat, Humberto Moreira, a par ailleurs été récemment détenu en Espagne pour corruption et collaboration avec un cartel nommé Los Zetas, avant d’être relâché en liberté provisionnelle. Au Mexique, il n’a jamais été inquiété.

Depuis 2008, vous dites que chaque dollar investis dans la militarisation de la police fédérale s’est traduit par une augmentation du taux d’homicides. Quel est le rôle concret de l’Etat mexicain ?

Lors des élections de 2006, la guerre contre la drogue a été l’argument principal avec lequel l’ex-président Felipe Calderón a gagné le scrutin. En 2008, le gouvernement a mis en oeuvre l’initiative Merida signée avec les Etats-Unis, directement inspirée du “Plan Colombie” de 2000. Delà, la violence a explosé. La stratégie principale annoncée était de détruire les cartels par la force militaire, cependant l’augmentation des moyens d’actions de la police fédérale les a poussé à s’armer plus, et ainsi de suite.
Par ailleurs, les autorités et les cartels sont indissociables : quand bien même la police fédérale les attaque, ceux-ci sont en liens avec d’autres organes de l’Etat, comme la police et les fonctionnaires locaux, partout là où ils sont présents. Plus que de simples gangs de trafiquants, leur coopération avec l’Etat en fait des groupes paramilitaires. L’exemple de Los Zetas – peut-être le cartel le plus craint du pays – est à ce titre éloquent : plusieurs de ses membres sont des anciens militaires des forces spéciales.

Sur le plan international, l’Initiative Mérida, cofinancée à hauteur de 2,7 milliards par Washington est un exemple supplémentaire de politique étrangère américaine servant des intérêts économiques. Une grande part des fonds est destinée à l’achat d’armement aux entreprises de l’Oncle Sam, et cette militarisation de la lutte contre le narcotrafic crée un état de guerre permanent au Mexique. En découle un aggravement de la crise sociale et économique préexistante qui profite aux compagnies transnationales, et facilite l’imposition d’une économie néolibérale agressive. Prise en étau entre la répression des cartels et de la police fédérale, la population est presque incapable d’organiser toute forme de contestation.

Vous dites que les assassinats sont “dépolitisés”, qu’est-ce que cela signifie ?

Socialement, les victimes d’assassinats ou de disparition sont stigmatisées, rendues coupables. Les gens se disent “qu’elles ont dû faire quelque chose”, qu’elles étaient liées d’une façon ou d’une autre aux gangs de la drogue. Un discours promu par le gouvernement et les médias mainstream, qui cache la dimension politique de cet engrenage meurtrier. Ces dix dernières années, le pays a connu quelques trente-mille victimes de disparitions forcées, mais les autorités n’ont d’ailleurs presque rien fait. Cette violence est présentée comme quelque chose de spécifique, tout comme la guerre qui devrait l’éradiquer, et non le résultat d’une politique globale menée par l’Etat. Pourtant, elle s’accompagne directement de privatisations massives et donc de perte des acquis sociaux, notamment ceux obtenus à la suite de la révolution qu’avait connu le pays de 1910 à 1914. La compagnie Pétroles du Mexique (PEMEX) en est un exemple phare : nationalisée en 1938, elle a été privatisée en 2013.

En réalité, un grand nombre de disparus au Mexique sont des activistes, à l’instar des quarante-trois étudiants de l’Ecole Normale Rurale d’Ayotzinapa en septembre 2014. Futurs enseignants et socialistes, ils se rendaient à une manifestation pour dénoncer des agissements du gouvernement quand ils ont été embarqué dans des camions de la police, et n’ont jamais été revus... Par le passé, dans de nombreux pays d’Amérique latine, des gouvernements – à chaque fois soutenus par les Etats-Unis – ont fait disparaître des opposants politiques, comme durant les dictatures militaires en Argentine, au Chili ou encore au Guatemala. Et ces destructions des résistances locales ont facilité l’imposition de dérégulations du marché, de privatisations, etc. Ce qui frappe en revanche avec le cas du Mexique, c’est qu’il n’y a pas de volonté d’extorquer des informations pour les services secrets, pas d’interrogatoire : les personnes qui dérangent sont simplement exterminées.

La perception négative des victimes et la peur omniprésente créent, d’après vous, une incapacité de la population à se mobiliser sur ce sujet. Toutefois, des personnes tentent de s’organiser pour lutter. Parlez-nous de ces expériences.

Les mexicains ont une forte tradition de lutte sociale. Il y a par exemple une puissante résistance communautaire contre des mégas projets d’aéroports ou d’oléoducs. Dans le cas des disparitions forcées dans l’Etat de Coahuila, un groupe de parents de disparus, nommé Grupo Vida (ndlr : “groupe vie” en français), se mobilise intensément pour retrouver leurs enfants, c’est-à-dire le plus souvent des restes de leurs corps. Car il faut rappeler que la plupart des victimes de cette guerre contre la drogue sont des jeunes. Cependant, il n’y a pas de confrontation directe avec le narcotrafic, bien que depuis 2013, dans certaines régions dont l’Etat du sud de Guerrero, la population s’organise en groupes d’auto-défense communautaires, pour essayer de s’émanciper du joug des cartels.

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