L’auteur nous plonge dans ces lieux de détention tristes, sales, infestés de vermine ou de rats, anxiogènes. Nous y croisons les acteurs, ceux qui y font juste leur boulot ou ceux qui n’ont pas le choix d’être ailleurs : geôliers, policiers, codétenus, et nous restons abasourdis, impuissants, devant les mises en scènes judiciaires où l’inculpé tient systématiquement un rôle de citoyen déchu de sa singularité, de sa dignité et de son statut social.
Avec acuité, l’auteur rappelle combien tout ce complexe judiciaire, né au XIXe siècle, porte encore les stigmates profonds de l’autoritarisme de cette époque. Edifié dans le contexte de la construction de l’Etat-Nation, le système répressif a toujours pour principale fonction d’affirmer et de renforcer le pouvoir de l’Etat sur chaque citoyen pris individuellement, c’est-à-dire de maintenir par la contrainte et la violence institutionnelle, un ordre social produit par les agents de ce pouvoir.
Les opposants politiques y sont traités comme des criminels. La procédure est interminable, figée dans des formes répétitives, où les motifs de sécurité ou d’ordre public sont sans cesse rabâchés pour justifier la répression. Le militant s’y trouve pris au piège. Impossible de faire valoir son opinion, de discuter de la légitimité des actes qui sont reprochés, ou de leur gravité objective. La justice n’est pas indépendante. Elle ne se soucie pas des intérêts de la société civile et moins encore des libertés individuelles de contester et de manifester. La justice ne se distingue guère de la police finalement. Elle est tout aussi brutale et indifférente aux spécificités de l’inculpé lorsque celui-ci est porté devant elle à l’heure du jugement.
Et ainsi, on voit combien le sens politique qui se joue dans les cellules sordides des fonds de gendarmeries, ou dans les couloirs souterrains du Palais de justice où les inculpés attendent leur tour, n’est définitivement pas celui des citoyens, et moins encore celui de la démocratie.
Un livre indispensable à ne manquer sous aucun prétexte.
Extrait : « J’assiste à de véritables mouvements de panique. Des bousculades s’ensuivent. Certains tombent, des scooters sont renversés, tout le monde avance à l’aveuglette. Dans ce mouvement de foule, je perds mes lunettes, elles tombent au sol, se brisent. Je ne peux même pas les récupérer tant la foule est compacte. Deux jeunes filles se traînent au sol pour trouver de l’air, des groupes de gens tentent de forcer les portes d’immeubles pour échapper à cet enfer. Je vois des adolescents de 14 ou 15 ans en pleurs, complètement ahuris devant cette scène, qui ne comprennent pas ce qu’il se passe.
Ce moment restera gravé dans ma mémoire, c’est un moment important pour moi. Très dur et certainement fondateur. J’ai le sentiment qu’ils nous ont piégés. Une nouvelle fois. Ma conviction de vivre un moment décisif n’en est que renforcée et le cortège de tête m’apparaît comme la réponse populaire à un gouvernement qui fait ce qu’il veut, quand il veut, comme il veut, qui utilise la police comme le bras armé de sa politique nauséabonde. Police qui, comme c’est son rôle, applique les décisions sans broncher, sans réfléchir. Elle est là pour faire respecter les ordres, pour faire appliquer l’ordre, peu importe quels ordres. » (p. 43)
Nicolas FENSCH avec Johan BADOUR, Radicalisation express, du gaullisme au Black Bloc, éditions Divergences, Paris, 2018 [135 pages]