Notre habitation, ouverte depuis fin septembre, accueille régulièrement des soirées de soutien à divers collectifs. Ce lieu de vie est un squat expulsable à partir du 15 février par décision du tribunal administratif. Ici vivent des familles avec enfants (6 ans, 3 ans et un bébé de 3 semaines - une femme enceinte) ainsi qu’un collectif varié, uni par les mêmes convictions humaines.
Samedi, c’était une soirée de soutien au collectif musical SILO, à des amis en bouclage d’un documentaire et au squat hébergeant environ 150 migrants, l’Amphi Z. Nous faisions la fête comme on peut la faire partout. A 5 minutes de là, “le petit salon”, une boîte de nuit branchée de Lyon, fait péter les watts. On entend bien les basses autour. Les jeunes qui sortent de là, saoul, marchent dans les rues en criant à tue-tête. Ils font la fête eux aussi, mais une autre fête : évènement clubbing étudiant, afterwork…la fête y est consommée du mercredi au samedi. Même genre de nuisance, plus continuelle, mais aucune affirmation politique.
Ce samedi, devant chez nous, à 2h30 du matin, la première caisse de condés pointe le bout de sa matraque expliquant aux copains-ines avoir reçu des appels et demandant de vider l’impasse pour la tranquillité du voisinage. C’est vrai qu’on est beaucoup et que pour des raisons de place on a déjà stoppé les entrées. Du coup, on demande a tout le monde d’entrer ou de bouger, ça se fait tranquillement. D’autres équipages arrivent, les ordres changent, ils veulent que tout le monde sorte sous dix minutes. Ils sont rapidement une soixantaine, avec matraques, casques et boucliers. Le climat est tendu, ils se comportent de manière menaçante, la circulation sur l’avenue est bloquée, on sent l’entourloupe.
Une fois déployés, les flics commencent à entrer dans l’impasse. On se précipite à l’intérieur, la porte se ferme de justesse. Et BOOM, sans sommation, on entend le premier coup de bélier d’une longue série. Spontanément, une masse anonyme scande “cassez-vous” et tient la porte. Les coups sont violents, les flics sont acharnés, assez vite, le bas de l’encadrement de la porte se décolle du bâtit. Profitant de l’interstice, ils sortent le gaz au poivre et ne se privent pas d’en balancer à l’intérieur. Les premières lignes suffoquent tandis que le relais s’organise.
Autour du bar, ça commence à piquer, des gens ouvrent la fenêtre pour sortir, les flics profitent de notre inattention pour remettre une couche de gaz par la fenêtre, on ferme le volet. La porte donnant sur cette partie est attaquée brièvement. Dans la salle où se déroule la fête, les gens comprennent la gravité de la situation. Illes savent que si la police entre dans les lieux, on risque un carnage. Derrière la porte, les policiers nous parlent : “on va vous défoncer”, ce qui laisse peu de doute quant au possible déroulé des événements. Les familles qui dorment au dessus de la porte sont réveillées tant par les coups de béliers que les effets du gaz se faisant ressentir à l’étage. Les flics sont pourtant au courant de leur présence. On s’assure que le bébé va bien et on rassure les enfants.
On est beaucoup, il fait chaud, l’air est de moins en moins respirable. Les gens montent et se réfugient dans les chambres, les fenêtre s’ouvrent et on s’y masse, on a du mal à circuler. Trois personnes vont vraiment mal, on se débrouille pour les aider et le sérum phi coule a flot. Des personnes veulent fuir par les toits ou s’y réfugier, d’autres sortent par les fenêtres du RDC. Certaines personnes sorties restent devant le bâtiment, un attroupement se forme et une certaine agitation dans le quartier se fait sentir.
Au bout d’une heure et après que pas mal de personnes se soient enfuies, on se sent mieux à l’intérieur, et malgré les coups de bélier répétés, on tient bon. Du coup, on balance le son par les fenêtres. La fête et la danse reprennent au milieu de l’avenue et dans le squat. Finalement, les coups de béliers s’arrêtent mais les palets de lacrymo commencent à être lancés sur les soutiens, certains leurs sont rendus. Des charges, heureusement sans blessé.e ni interpellation, se succèdent. Les soutiens sont repoussés petit à petit, certains vers le nord et d’autres à l’Est. Certain.e.s flics continuent la dispersion, les autres effectifs restés devant le squat abandonnent l’assaut, impuissants, et encaissent leur défaite sous les cris et quelques insultes. La fête a continué avec une saveur particulière, celle de la résistance victorieuse, dont les échos se sont fait entendre tard dans la nuit.
Les flics auront tapé sur la porte pendant ce qui nous a paru une très grosse heure. Leur détermination à entrer ne fait pas de doute. Illes ont utilisé abondamment du gaz au poivre à l’intérieur d’un bâtiment bondé et sans issue, créant une atmosphère anxiogène et des mouvements paniqués.
Lyon est un laboratoire des pratiques sécuritaires habitué aux dispositifs policiers démesurés. C’est le chef lieu du ministre de l’intérieur Gerard Collomb. Ce dernier mène depuis son arrivée une chasse aux migrants saluée par l’extreme droite, a inscrit l’état d’urgence dans le droit commun et a pour projet de détruire le droit d’asile en France. Un mouvement d’occupation en soutien aux migrant.e.s a commencé fin novembre à Lyon et a réuni squatteur.se.s, étudiant.e.s et associations en lutte. Face a l’absence complète d’aide de la part des pouvoirs publiques, le mouvement a décidé de réquisitionner un lieu vide de la métropole.
La soirée du samedi 6 janvier et d’autres événements soutenaient ces luttes. Les agissements irresponsables de la police ont sciemment mis en danger l’intégrité physique et psychologique des personnes présentes. Les seuls échanges ont été des menaces et des insultes. Nous avons l’impression que leur but était de semer la peur chez les personnes solidaires venues s’amuser, et que cette opération a réussi au moins par la surprise de l’agression. Le pire a été évité parce que nous avons tenu, que nous n’avons pas laissé jouer en notre défaveur le rapport de force initié par l’état. On n’en sort pas sans dommages, ça fait bizarre à tout le monde de moins se sentir en sécurité dans nos lieux de vie et on pense aux petites séquelles que laisse ce genre de moment. On gardera quand même le souvenir d’une petite victoire d’un soir, où on a empêché la violence des flics de s’inviter sous notre garde.
On remercie les potes et leur solidarité qui ont permis qu’on tienne. C’était moche, mais on l’a rendu beau. À bientôt.
On a fini sans bleus !
L’ACAB In, la bac Out