C’est en mars 1965, à Amsterdam, que le groupe des premiers Provos se constitue autour de Roel van Duyn, un militant antifasciste et antistalinien, Rudolf de Jong, un anarchiste un peu plus vieux et déjà très connu aux Pays-Bas, Marteen Lindt, âgé d’à peine 18 ans et futur théoricien du New Amsterdam, Hans Tuynman, un beatnik qui a visité l’Europe en stop, et d’autres. La diversité des membres pose d’emblée la richesse idéologique du mouvement : libertaire, écologiste et émancipateur.
Rapidement, ce groupe rencontre Robert-Jasper Grootveld, un artiste déjà connu pour ses happenings sur le Spui d’Amsterdam. Il est un fumeur qui fait des « messes » anti-tabac, il a reconverti un garage en « Temple Magique ». Cet humour et ce type d’action seront emblématiques du mouvement Provo.
Le mot Provo est utilisé la première fois par un universitaire hollandais pour qualifier les blousons noirs qui provoquaient la foule. Ils décident de se réapproprier l’appellation, ils vont même parler de provotariat et choisissent comme symbole, un dessin de Grootveld représentant une pomme. Ils y voient une carte d’Amsterdam avec le Spui au centre.
De druppel die de emmer doet overlopen (la goutte qui fait déborder le seau)
Le 28 juin 1965, la famille royale annonce les fiançailles de la princesse Beatrix avec l’allemand Claus Von Amsberg, un ancien nazi qui n’a jamais regretté cette période. L’indignation se généralise et se transforme en campagne anti-monarchiste et anti-nazie. Le premier numéro du journal-tract “Provokatie” apparait sur les murs.
Début juillet, les provos manifestent et la police réprime, les images de matraquage marqueront la population et le mouvement s’amplifiera. Le 4 juillet est considéré comme le début officiel du mouvement. C’est le jour qu’ont choisi Beatrix et Claus Von Amsberg pour leur visite officielle de présentation à Amsterdam. Les Provos réagissent en hissant des banderoles marquées “Republiek” et lançant du haut d’un pont les exemplaires de Provokatie n°3 sur les fiancés qui défilaient dans le bateau-royal.
Le 12 juillet, parait le premier numéro de la revue “Provo” contenant alors le Manifeste Provo rédigé par Roel van Duyn. Parce qu’on y apprend à fabriquer des bombes artisanales et des pétards, le numéro est interdit et la répression policière s’accentue à coup d’arrestations et de perquisitions.
Le 28 juillet, débute le Plan vélo blanc, l’action emblématique du mouvement Provo. Cela consiste à mettre à disposition des citoyens des vélos blancs, la police les confisquera sous prétexte qu’ils n’ont pas d’antivol et que cela incite au vol. D’autres plans blancs verront le jour, le plan maisons blanches, le plan poulets blancs, le plan enfants blancs, et d’autres. Tous les weekend, les Provos se rassemblent sur le Spui, la police intervient à chaque fois violemment. Le climat est tendu et il n’est pas rare que des policiers soient blessés dans les affrontements. Le niveau de violence devient tel que les policiers attaquent les rassemblements à coups de sabre.
L’hiver calme le mouvement bien qu’il organise des manifestations contre la guerre au Viet-Nam devant le consulat américain. En février, l’Internationale Situationniste publie le texte “De la misère en milieu étudiant” critiquant sévèrement le mouvement Provo.
Cependant, ce dernier se requinque et atteint son apogée à partir du 10 mars 1966, jour du mariage de Beatrix et de Claus Von Amsberg. Il y a plus de Provos qui manifestent dans les rues que de sujets venus voir la cérémonie. La procession est attaquée à coups de bombes fumigènes et de poulets peints en blanc jetés dans la voiture des jeunes mariés.
Le maire Van Hall interdit les manifestations, les Provos organisent des happenings dits “par l’absence”. Le printemps est tout-de-même marqué par de grandes manifestations anti-autoritaires, contre les violences policières et par la candidature d’une liste Provo aux élections municipales. Ils font 2,5% et obtiennent un siège qu’ils décident “tournant” au conseil municipal.
Une semaine d’insurrection généralisée
Le 13 juin, une manifestation ouvrière éclate contre la baisse des primes de vacance et la bureaucratisation des syndicats. Un millier d’ouvriers participent à de très violents affrontements avec la police. Il y a cinquante blessés, un maçon meurt des suites de ses blessures. La population bascule massivement du coté des Provos qui ne cessaient pas de dénoncer les violences policières. En représailles, s’enchaîne une grève générale et quatre jours d’affrontements avec la police qui finit par tirer à balles réelles, le bilan s’élève à quatre-vingt-dix blessés.
Le mouvement Provo se voit alors divisé en deux tendances : les radicaux qui sont proches des ouvriers et les non-violents. Elles s’opposent dans les déclarations mais continue de participer aux mêmes actions. Le 12 et 13 novembre, s’organise un concile international des Provos près de Maastricht. Le groupe radical autoproclamé “Conseil révolutionnaire terroriste” apparait majoritaire.
L’échec, l’héritage et une piste à explorer
Début 1967, c’est la fin du mouvement, trop divisé, affaibli par les fractures qui opposaient les radicaux aux non-violents et les blousons noirs aux intellectuels, ainsi que par le manque de perspectives. Le 3 avril 1967, le bateau des Provos est attaqué par des blousons noirs extérieurs au mouvement, il finira par être vendu pour loger des ans-abri. Seul le mouvement des squatteurs continue directement la lutte.
L’année suivante, c’est Paris qui s’embrase en mai 68. Les liens sont évidents : la JAC (Jeunesse, Anarchie, Communisme) se disait Provo, Daniel Cohen-Bendit avait rencontré des amsteldamois auparavant et Willem avait déménagé en France. Sans le mouvement Provo, il n’est pas dur de penser que Mai 68 aurait été probablement très différent.
Aux Pays-Bas, les principaux acteurs des Provos ont continué, se sont réorganisé et ont monté un mouvement plus propositionnel, moins insurrectionnel : le mouvement Kabouter (lutins en français). Il gardera un peu l’esprit Provo mais s’investira davantage dans l’institution politique traditionnelle. C’est un mouvement ultra-pacifié qui aura quand même contribué à faire largement progresser les législations hollandaises sur l’écologie, la légalisation des drogues et les causes féministes.
Si l’on peut se sentir frustré de savoir que la monarchie est toujours en place aux Pays-Bas et que le mouvement Provo n’a pas engendré ce changement profond de la société hollandaise qu’il espérait, on doit s’interroger sur la raison pour laquelle nos modes d’action, cinquante ans après, ont tant perdu en puissance d’improvisation. Sans parler des formes d’expression désormais convenues comme le tag ou l’affiche, nous, révolutionnaires, sommes peut-être en train de se tirer une balle dans le pied en délaissant une certaine dimension artistique dans nos manières de se réunir, de marcher et de dire.
C’est en inventant de nouvelles formes de lutter, parfois ludiques, parfois violentes, que le mouvement Provo a fédéré des gens qui n’auraient jamais manifesté ensemble. Des incartades de la famille royale puis de sa police est venu ce rejet de l’État ; et de cette nouvelle manière d’habiter les rues, les Provos se sont mis à penser la ville autrement autour des deux idées d’origine : la démocratie et l’écologie – Constant Nieuwenhuys y développera même son idée du New Babylon–.
Provo était deux années d’énergie libertaire et émancipatrice qui ont conduit à des choses enfin nouvelles, Provo a cinquante ans.