Paru dans Trou Noir #3.
Homocratie
Je vais commencer par vous parler d’une photo, présente dans mon livre, de deux militaires avec trois enfants (ci-après). Cette photo illustre parfaitement la réalité gay à Tel-Aviv. L’homme de gauche est adjoint au maire de Tel-Aviv. Il est membre du Meretz, c’est-à-dire le plus à gauche des partis politiques israéliens. Il est celui qui a mis en place la politique gay à Tel-Aviv et il est président du centre municipal gay et lesbien de Tel-Aviv. J’insiste sur le mot municipal, parce que c’est la ville de Tel-Aviv qui paye le centre, qui paye la vie du centre et ses onze salariés. Il pose sur la photo avec son mari qu’il a épousé à Toronto au Canada.
La loi israélienne ne reconnaît pas le mariage civil, elle ne reconnaît que le mariage religieux. Mais grâce à une hypocrisie extraordinaire, le mariage civil des homosexuels prononcés à l’étranger a été reconnu par la cour suprême israélienne. Pour revenir à la photo, vous voyez-là leurs trois enfants. Deux jumelles qui ont aujourd’hui quatre ans et la petite qui doit avoir deux ans, ont été conçues par gestation pour autrui en Inde et en Thaïlande. De façon très symbolique d’ailleurs, on appelle ça, en Israël, la maternité de substitution. Les gays israéliens dominant à Tel-Aviv font aujourd’hui des enfants nombreux, très nombreux même, puisqu’on pense que ces 4/5 dernières années, il y a plus de 5000 couples gays qui ont fait des enfants à Tel-Aviv, ce qui est un chiffre considérable. Et parmi ces enfants, beaucoup ont été conçus par GPA. Alors que la GPA, en France, comme vous le savez, n’est pas légale. La GPA est autorisée en Israël pour les couples hétérosexuels, mais pas pour les couples homosexuels.
Encore que le gouvernement de Benjamin Netanyahou est en train de préparer une loi pour ouvrir la GPA aux couples homosexuels, pour permettre que la GPA ne se pratique plus en Inde, aux Philippines, en Thaïlande, ou pour les plus fortunés aux États-Unis, mais directement en Israël. Et évidemment, pourquoi fait-on des enfants ? Car ce n’est pas une revendication historique des gays mondiaux de faire des enfants. On fait des enfants pour peupler Israël. Et on fait des enfants parce que peupler Israël est un enjeu politique et démographique pour le gouvernement et pour les autorités. Mais aussi pour les religieux. En effet, la question de la démographie est centrale en Israël. Et la question de la démographie se traduit par des études dont on peut évidemment discuter la fiabilité. Mais ces études indiquent que, en 2050, il y aura plus d’Arabes que de Juifs en Israël-Palestine. Par les nouvelles manières de produire des enfants, on rend service au pays, on offre au sens propre du terme des enfants à la nation et je mets une lettre capitale au mot Nation.
Pourquoi ce livre ?
Je suis allé en Israël pour la première fois de ma vie en 1977, j’avais 21 ans. Très vite, comme beaucoup, j’ai été littéralement révulsé par de nombreux aspects de la politique israélienne et notamment sa politique à l’égard des Palestiniens. Mais ces dernières années, j’ai vu les choses s’aggraver. Israël est devenu un pays de plus en plus inégalitaire sur le plan social. Il est le deuxième pays le plus inégalitaire de tous les pays de l’OCDE juste après le Mexique. Les inégalités se sont beaucoup creusées. C’est aujourd’hui un pays que l’on peut qualifier de raciste. Non seulement à l’égard de sa population palestinienne, mais à l’égard de sa population que l’on appelait autrefois les Arabes israéliens et que l’on appelle maintenant les Palestiniens de l’intérieur. Ces derniers mois, les actions de harcèlement de la population palestinienne à l’intérieur du pays se sont multipliées : édifices religieux, églises, mosquées attaquées, incendiées, commerçants arabe attaqués, magasins saccagés, etc.
Vous avez un durcissement de l’attitude d’une partie de la population israélienne à l’égard des Arabes alors que, et c’est ça qui m’a conduit à écrire ce livre, au fond, de manière totalement cynique, Israël utilise son image d’Orient, pour mieux se vendre aux gays occidentaux. Et donc joue sur le double paradoxe. Le titre de mon livre, Mirage gay à Tel-Aviv fait référence à deux choses. Il fait référence au mirage, qui d’une certaine manière est un enfumage. Comme le pratique le gouvernement israélien qui a réussi à enfumer l’opinion occidentale en se présentant comme un pays gay-friendly. Mais aussi cette manière dont il a récupéré l’orientalisme gay en jouant sur sa population arabe. En effet, on le retrouve dans l’iconographie. Il y a une photo dans mon livre d’un carton d’invitation pour une soirée (où j’étais d’ailleurs) en 2014 du club Évita, club gay de Tel-Aviv. Vous pouvez voir qu’ils jouent très bien sur l’iconographie juive et arabe avec les signes, etc.
Sur la page d’à côté, vous pouvez voir une photo d’un film qui s’appelle Men of Israël. Il s’agit d’un film pornographique, produit par Michael Lucas et qui joue également sur l’image orientale et occidentale des garçons israéliens. C’est-à-dire que l’on vous présente des garçons qui ont l’air de bons sabras passés par trois ans d’armée, bien musclés, bien gorgés de soleil, etc. Et des garçons qui sont souvent d’origine misrahim, séfarades dont les parents venaient d’Irak, du Yémen, du Maroc etc. Et qui ont l’air plutôt d’Arabes. Ils jouent et gagnent sur les deux tableaux.
Désir arabe
Le désir de l’Arabe, une certaine forme d’orientalisme sexuel, à été au cœur, si j’ose dire, des pratiques gays et du tourisme gay dans les années 50 et 60. On allait au Maroc, on allait en Égypte, on allait en Tunisie pour rencontrer des garçons. Et pour les gays occidentaux comme pour les garçons de ces pays-là, c’était un jeu hypocrite du pas vu, pas pris qui marchait assez bien. Finalement, les années 2000, avec le 11 septembre, ont entraîné un double phénomène. D’abord, il faut bien le dire, un raidissement des pays arabes à l’égard de l’homosexualité, un durcissement. Ça ne va pas jusqu’à Daech qui jette les homosexuels du haut des immeubles dans les villes qu’il occupe en Syrie. Néanmoins, au Caire, qui était une ville tolérante dans les années 90 à l’égard des homosexuels, les choses ont changé. Des boites de nuit ont été fermées au début des années 2000. Il y a eu beaucoup de descentes de police dans les lieux gays, boites, saunas, etc. On a arrêté des dizaines de personnes. Les autorités les ont condamnés à un, deux et trois ans de prison. Idem au Maroc et en Tunisie. Donc cette espèce de raidissement du monde arabe s’est accompagné du raidissement des gays occidentaux à l’égard des Arabes eux-mêmes puisque au fond, l’Occident s’est lancé dans une guerre contre le monde arabo-musulman après le 11 septembre 2001.
Image et histoire
Il y a une quinzaine d’années, l’image d’Israël était la pire au monde, juste au-dessus de la Corée du Nord qui est l’espèce de pays qui fait figure de repoussoir aux yeux de l’opinion mondiale. C’est un pays où les gens n’avaient pas du tout envie d’aller. C’était un pays dans une zone en guerre avec des enjeux obscurs. Il y avait et il y a toujours une solidarité internationale dans les opinions publiques à l’égard des Palestiniens qui ont une image plutôt favorable quel que soit par ailleurs la politique de l’Autorité palestinienne et du Hamas. Une image plutôt favorable dans les pays occidentaux : en Allemagne, en Grande-Bretagne, en France, en Italie, en Espagne, etc. Donc il y avait un préjugé favorable aux Palestiniens. Et une image très dure de la société israélienne, d’une société religieuse, d’une société fermée et d’une société qui menait une guerre d’occupation en Palestine. Donc personne n’avait envie d’aller s’amuser à Tel-Aviv, en dehors des gens qui pouvaient avoir de la famille ou pour une partie de la population mondiale, notamment les Brésiliens, les Colombiens, les Philippins, les Polonais, pèlerins catholiques qui n’allaient pas à Tel-Aviv. Ils allaient plutôt à Jérusalem, à Nazareth et à Bethléem. Et donc à Bethléem et à Jérusalem, ils étaient confrontés à la réalité de l’occupation. Et il faut dire les choses comme elles sont : un tourisme familial, un tourisme de pèlerins, ça ne rapporte pas beaucoup d’argent.
Quand vous allez dans votre famille, vous ne dépensez pas beaucoup. Quand vous êtes un pèlerin, vous allez dans des pensionnats de bonnes sœurs, vous mangez des ragoûts, etc. Ce n’est pas des gens qui vont dépenser énormément. Donc il fallait trouver quelque chose à vendre pour Tel-Aviv. Ce qu’a cherché à vendre Tel-Aviv, c’est d’une certaine manière, son évolution liée à l’hypercapitalisation qui s’est mise en place il y a une vingtaine d’années avec la prise du pouvoir par la droite israélienne, par le célèbre Benjamin Netanyahou qui est toujours au pouvoir aujourd’hui. Il a mené une privatisation extrême de l’économie. À Tel-Aviv, cette politique est allée jusqu’à la privatisation des logements qui appartenaient pour beaucoup à la centrale syndicale. C’était un système, la Histadrout (la centrale syndicale) inspiré du socialisme à l’européenne des années 30, d’inspiration utopique. Le kibboutz, le syndicat, le parti travailliste, étaient liés pour aller vers une sorte de propriété collective. Et donc beaucoup de logements de Tel-Aviv appartenaient au syndicat et donc indirectement les gens étaient locataire du syndicat et tout ça a été privatisé dans les années 90.
Tel-Aviv et traditions
Tel-Aviv domine la scène parce que c’est une ville où se sont regroupés tous les nouveaux riches israéliens. Les nouveaux riches ça veut dire tous les gens qui ces 20 dernières années ont profité de la privatisation de l’économie israélienne, ont profité du poids de la high tech et de son développement accéléré qui est totalement connecté à l’industrie de Défense. C’est-à-dire que la high tech israélienne est un pur produit de l’industrie de Défense, un pur produit même de Tsahal, l’armée israélienne. Et cette industrie de la high tech a crée beaucoup de richesses et a happé toute une partie de la population qui s’est retrouvé regroupé à Tel-Aviv. Son développement a permis l’implantation des laboratoires de recherche de Facebook, de Twitter, de Microsoft, d’Apple, etc. Beaucoup de géants du web sont là et beaucoup de start-ups accompagnent à la fois l’industrie high tech et l’industrie de défense israélienne. Cette dynamique généra beaucoup d’argent, beaucoup de moyens pour Tel-Aviv qui changea de fonctionnement. À partir de 2010, elle se baptise : « Ville qui ne dort jamais ». C’est un slogan qui plaît non seulement aux gays, mais d’une certaine manière à tous les fêtards. Sauf qu’avant de faire venir les fêtards, il fallait cibler exactement comment les séduire. Il y a un deuxième phénomène qui est assez propre à Israël et que j’ai découvert à partir de différents voyages que j’ai fait à partir de 2009/2011 ainsi que ces deux dernières années pour l’enquête que j’ai faite pour ce livre. Est apparue en Israël une très grande visibilité de la communauté homosexuelle à Tel-Aviv. Et j’ai essayé de comprendre pourquoi il y avait tellement de pédés à Tel-Aviv, pour dire les choses comme elles sont. C’est quand même invraisemblable, j’allais dans ce pays il y a 20 ans, on ne rencontrait personne si ce n’est dans un parc de Tel-Aviv, de nuit, etc. C’était quelque chose de totalement tabou. Il n’y avait ni café, ni lieu de rencontre, ni association, ni rien du tout. Jusqu’au début des années 90. Donc un passé relativement récent alors qu’on a connu des mouvements homosexuels en Europe, et en France en particulier, dès le début des années 70. Pour comprendre tout ça, il faut remonter un peu en arrière à David Ben Gourion, aux dirigeants sionistes, à la fondation de l’État d’Israël. L’idée des dirigeants sionistes était de combattre, d’une certaine manière, ce qui faisait l’identité juive à la fois en Europe centrale et dans le monde arabo-musulman. Les Juifs qui préféraient la prière, qui préféraient la religion, qui préféraient chanter, surtout dans le monde arabo-musulman. Qui s’entendaient plutôt bien dans le monde arabo-musulman avec leurs voisins. Il y avait beaucoup de Juifs au Yémen, en Irak, au Maroc et en Algérie et évidemment, ils parlaient arabe. C’était la langue d’échange, la langue de culture, la langue de la chanson aussi. On chantait en arabe. Les grandes chansons juives de Constantine ou de Bagdad étaient chantées en arabe. Donc vous aviez cette volonté de la part de dirigeants sionistes de chasser tout cela. De chasser ce qui faisait les racines de la culture juive : le livre, la prière, la chanson. Tout pour faire advenir ce que Ben Gourion appelait le nouveau Juif. Et Ben Gourion avait employé cette expression, extraordinaire pour moi, il avait parlé du « Juif musclé ». Il fallait donc viriliser le Juif, il fallait le muscler. Et pour cela, il y a eu deux institutions qui sont les institutions centrales d’Israël tout au long des années 50 jusqu’aux années 70 et 80 qui sont : d’une part le kibboutz. Cette vie collective, ce travail de la terre, ce mythe sioniste qui disait qu’il fallait faire fleurir le désert. Comme si les paysans arabes ne cultivaient pas la terre avant 1948. Et puis évidemment l’armée. Les Juifs étaient connus pour être peu militaires, ni dans les pays arabes, ni dans les pays d’Europe centrale. Et pour cause, ils n’avaient pas le droit d’être dans l’armée ou quand ils le pouvaient, ils se heurtaient à de nombreuses difficultés. L’affaire Dreyfus en est un exemple parmi d’autres. Il y a eu des affaires Dreyfus pratiquement dans toute l’Europe à la fin du XIXe siècle.
Armée
J’étais, il y a encore trois semaines à Jéricho et Bethléem et à chaque fois, on a beau y être allé plusieurs fois et connaître, on est accablé par le harcèlement permanent sur tous les sujets des autorités israéliennes sur la population palestinienne. Et y compris sur la question gay, puisque Israël l’utilise de manière totalement cynique pour faire honte aux Palestiniens. L’armée met en avant son caractère gay-friendly et sa tolérance envers les homosexuels. Cette armée a donné des droits aux homosexuels juste après l’armée des Pays-Bas. Donc, dès 1995, l’armée israélienne reconnaît des droits aux gays. Et en même temps, l’armée est une armée d’occupation. Vous avez des organisations de lobbying qui se sont montés aux États-Unis, comme StandWithUs, qui invitent toute sorte de personnalités israéliennes à faire des tournées dans les facs et dans des endroits où il y a des jeunes, des cinémas etc. Et vous avez une organisation, le Wider Bridge, qui s’est chargé de vendre spécifiquement la politique gay israélienne à l’opinion publique américaine.
Tout récemment, c’était en avril à Seattle, elle a organisé la tournée d’un officier trans de l’armée israélienne aux États-Unis pour dire à quel point l’armée est gay-friendly. Cet officier, ce premier officier trans de l’armée israélienne, sert dans le Néguev. Le Néguev est au sud, là où se trouve Beersheva sa principale ville, mais c’est surtout là que se trouvent les grandes bases militaires et notamment la principale base de l’aviation israélienne, celle qui va très régulièrement pilonner Gaza. Cette région abrite aussi de nombreux campements bédouins que l’on appelle les villages illégaux. Je ne vais pas rentrer précisément dans cette histoire des villages non reconnus, qui dure quand même depuis 1948 et qui est une abomination. Tous les mois ou tous les quinze jours, des villages non reconnus, je crois qu’il y en a 47 au total, sont démolis, bombardés, chassés et donc reconstruits. Il y a une unité de l’armée qui est chargé de ces opérations dans le cadre du plan Néguev 2020 qui est un plan de relocalisation de ces villages non reconnus, pour développer à la place de nouvelles cités. De nouvelles villes où l’on pourrait loger la population juive puisqu’un des problèmes d’Israël, aujourd’hui, est de pouvoir loger sa population. L’officier trans fait partie de cette unité...
Pinkwashing
Le mot pinkwashing est né d’un autre mot : greenwashing. Il consiste, pour les entreprises, à se repeindre en vert, à mettre plus de plantes vertes dans les sièges sociaux, à donner 1 euro par 10 000 euros gagnés à je ne sais quelle association pour replanter des arbres, etc. Je dis ça de manière ironique, car ce n’est jamais des actions de fonds qui vont mettre en cause la réelle politique de ces groupes-là. Le pinkwashing, c’est la même chose. On va jouer sur un effet d’image. On va jouer sur la visibilité LGBT que l’on va mettre en avant, alors qu’elle ne correspond pas à la réalité de l’homosexualité en Israël. Même si Tel-Aviv est aujourd’hui une des villes les plus gay-friendly au monde. Qu’est-ce que le concept d’une ville gay-friendly ? C’est une ville qui est capable de se mettre sur un marché qui est celui du tourisme gay. Ça fait un peu mal pour moi de le dire, car je suis un vieux militant, mais sociologiquement, dans nos pays occidentaux, la gauche LGBT a en réalité pratiquement disparu du paysage, sauf peut-être, et c’est ce qui m’a fait un peu plaisir, en Israël et en Palestine. Donc aujourd’hui, les pédés occidentaux sont préoccupés par leurs pouvoirs d’achat, par leurs vacances, par leur statut patrimonial et social plutôt que par le destin des miséreux et en particulier des miséreux palestiniens. Non seulement ça ne les intéresse pas, mais en plus d’une certaine manière ça les gênent. Pourquoi beaucoup d’homosexuels israéliens se sont installés à Tel-Aviv et pas à Jérusalem, à Haïfa ou dans les colonies comme une partie de la population israélienne ? La raison est simple. L’homophobie en Israël est quelque chose de vraiment très fort et très puissant. Aujourd’hui, Israël est un des pays les plus homophobe au monde. Si on compare les chiffres de l’homophobie en Israël tels qu’ils sont révélés par les sondages, on est autour de 47% de population qui considèrent que l’homosexualité est une maladie, une infection, une épidémie. Pour vous donner les chiffres en Occident, on est sur des chiffres qui varient de 4 à 5 % pour les pays les moins homophobes comme l’Espagne, les Pays-Bas, l’Allemagne. À 10 % pour les pays les plus homophobes dans lesquels il faut malheureusement ranger la France. On est à peu près, au même niveau, question homophobie, que la Pologne.
Tel-Aviv n’est pas du tout la seule au monde à faire ce que l’on appelle du pinkwashing, que l’on pourrait traduire en français repeindre le plafond en rose pour reprendre une expression populaire de notre langage. Beaucoup de pays, beaucoup de villes essayent de se vendre comme des paradis touristiques pour les gays, que se soit Miami ou Ibiza par exemple pour parler d’une destination plus proche de nous. Et Tel-Aviv, sa caractéristique, c’est qu’elle a conçue le pinkwashing comme une opération politique pour changer son image.
Tourisme et marketing gay
Des flux touristiques très importants se rendent en Israël aujourd’hui. 35 000 touristes gays se sont rendus à Tel-Aviv pour la Gay Pride en 2016 dépensant en moyenne 1 500 euros par personne. Cela représente des dépenses de 50 millions d’euros. Et des touristes gays se rendent chaque semaine à Tel-Aviv au départ de Londres, au départ de Paris, de Berlin, etc. Parce qu’aujourd’hui avec EasyJet vous allez à Tel-Aviv pour 210 euros. C’est n’est pas très compliqué. Les hôtels sont relativement chers, mais il y a des tas de gens qui n’ont aucun problème pour aller claquer mille balles par week-end à Tel-Aviv et qui le font avec grand plaisir. Et c’est ça le deuxième grand problème qui s’est posé à moi et que j’ai essayé de comprendre. Israël n’est pas seul à faire du marketing en direction des gays, San Francisco le fait, Berlin, Vienne, etc. D’ailleurs, Israël a travaillé avec un cabinet spécialisé dans le marketing gay qui s’appelle OutNowConsulting, basé aux Pays-Bas. Celui-ci travaille pour les grandes compagnies comme Lufthansa, Orange, IBM ou les grandes villes comme Copenhague, Vienne ou Berlin. Mais Israël est le seul à avoir obtenu non seulement la présence des touristes et les dépenses qui vont avec, mais leur soutien politique. C’est ça qui m’a décidé à écrire ce livre. C’est-à-dire qu’il y a 4/5 ans, quand je commençais à entendre des relations à Paris qui me disaient : « J’ai passé 4 jours merveilleux a Tel-Aviv », souvent des gens de gauche d’ailleurs c’est triste à dire. Et ils ajoutaient : « Tu exagères avec Israël, tu exagères avec les Palestiniens, c’est pas un pays si terrible, on se marre vachement à Tel-Aviv, c’est une ville sympa », je voyais bien qu’Israël était en train d’obtenir un succès politique. Cette politique a été décidée au niveau du gouvernement par Tzipi Livni qui en 2009 était ministre des affaires étrangères et qui connaissait très bien la réalité de l’image du pays, étant un ancien agent du Mossad, elle avait été en poste à Paris et à Londres. Elle a nommé à la tête d’une cellule qu’elle a créée en 2009, « Brand Israël » (la marque Israël), un diplomate israélien qui avait été en poste à New-York et Los Angeles. Ils ont travaillé sur l’idée de créer une narration nouvelle, de changer le récit sur Israël, avec des conférences, des débats, des concours de grandes agences internationales de publicité comme Saatchi&Saatchi, etc. C’est donc un processus construit, et par conséquent coûteux. Mais, il faut reconnaître que du point de vue de retour sur investissement, c’est un énorme succès.
Le chantage gay, technique militaire
On ne va pas peindre le plafond en rose, on ne va pas faire comme le gouvernement israélien. Il est incontestable qu’il y a de l’homophobie dans la société palestinienne. C’est une société patriarcale, fermée, traditionnelle, conservatrice. Mais il faut dire aussi la vérité. Israël contribue très largement à entretenir cette homophobie. Pourquoi ? Lorsque vous êtes un gay ou une lesbienne palestinien, ou une personne trans, vous ne pouvez pas sortir de Gaza, vous êtes dans une prison. Vous pouvez très difficilement circuler à l’intérieur des Territoires occupés. Et quand vous avez recours à tous les instruments modernes de communication, qui permettent, via des réseaux, de faire des rencontres, vous pouvez vous faire repérer par l’armée israélienne. Dénonciation et chantage. En 2014, des militaires, 43 pour être très précis, de l’unité 8200, ont publiés un appel dans un journal israélien de droite, repris par The Guardian et qui disais : « Nous, soldats réservistes de l’unité 8200 sommes obligés d’espionner la société civile palestinienne et donc nous sommes détournés de notre mission qui est de prévenir le terrorisme ». Et repérer la société civile palestinienne, cela veut dire quoi ? Ça veut dire repérer les homosexuels, repérer les alcooliques, repérer les femmes et les hommes adultères, repérer des personnes qui ont des problèmes de santé, des graves problèmes et qui ont besoin d’argent pour avoir des traitements, etc. Ces gens-là, seront soumis au chantage. L’armée israélienne a soumis au chantage des dizaines d’homosexuels palestiniens et en a fait des collabos. C’est terrible, parce que s’ils sont repérés, ils sont tués. Et s’ils refusent d’être collabos, ils sont dénoncés à la police palestinienne et à leur famille, et leur destin est assez sombre. Tout en s’affirmant gay-friendly, tout en proclamant que c’est vraiment un pays formidable pour les gays, Israël contribue très largement à l’enfermement, à l’oppression et a la répression que subissent aujourd’hui les gays palestiniens.
Visibilité de la communauté gay
Et donc moi, pendant treize ans, entre 1996 et 2009, je n’ai pas voulu retourner en Israël et en Palestine. Je me disais que l’on n’arriverait pas à faire changer les choses. En 2009, j’étais prof de journalisme, j’ai monté un voyage scolaire avec des étudiants. Comme j’ai de la famille à Tel-Aviv, j’y suis parti quelques jours avant. On était en train de dîner lorsque nous sommes prévenus par sms qu’il venait d’y avoir un attentat au centre des jeunes gays de Bar Noar. Il y a avait des morts, des blessés, etc. Évidemment, j’y suis allé. Tel-Aviv est un gros village pour ceux qui la connaisse, et j’ai assisté absolument stupéfait, à un phénomène majeur, c’est-à-dire une visibilité d’une communauté homosexuelle très puissante. Il y avait des milliers de personnes ce soir-là, à deux heures du matin. Le lendemain, j’ai vu défilé tous les politiciens de la droite israélienne, à commencé par Netanyahou qui venait de redevenir Premier ministre, Tzipi Livni qui était ministre des affaires étrangères et quelques autres qui venaient verser une larme de crocodile sur le sort des gays israéliens. Là, je me suis demandé ce qui était en train de se passer. D’autant que quand Netanyahou est venu, il y avait quand même plusieurs milliers de personnes et il a été applaudi, la cérémonie s’achevant par le chant de l’hymne sioniste. Et je me suis dit que l’on était en train de vivre une grande confusion.
Il existe, en même temps, un phénomène de désespoir qui traverse toute la société israélienne. C’est-à-dire, qu’il y a eu un camp de la paix puissant. Il y a eu le Mouvement pour la paix, il y a eu les Femmes en noir, il y a eu des groupes gays extrêmement radicaux dont un groupe qui s’appelait Black Laundry. Ce groupe, constitué au début des années 2000, était un groupe à la ActUp qui menait des actions directes et faisait des manifestations violentes dans le langage, dans l’expression. Ils défilaient nus, ils écrivaient des mots en arabes sur leurs corps et avaient des slogans radicaux. Bref, Black Laundry avait nourri une vraie radicalité de la communauté LGBT israélienne qui a disparu dans son expression publique aujourd’hui. Et c’est vrai que beaucoup de ces gens sont partis à Berlin, à Londres, New-York pour essayer d’inventer une nouvelle vie.
C’est une grande difficulté pour Israël, un tabou dans cette société, parce qu’elle est en train de perdre, au delà d’une partie de ses artistes qui sont aujourd’hui pourchassés et harcelés, au delà des plus radicaux LGBT, au-delà des gays, des lesbiennes et des trans qui partent effectivement beaucoup à Berlin, une partie de la jeunesse. J’ai rencontré ici, à Paris, beaucoup d’enfants d’Israéliens. J’en ai rencontré à Seattle, aux États-Unis, qui disent : « On ne peut plus vivre en Israël parce que ce pays est trop insupportable ». C’est le degré zéro de la politique, mais en même temps ça donne une tendance qui pour le gouvernement israélien est très inquiétante.
Semaine gay Tel Aviv et boycott
Il y a eu la semaine gay à Tel-Aviv début juin 2017. Comme tous les ans, il y a énormément d’évènements, des colloques à l’université, la présence des partis, la marche pendant le week-end, toutes sortes de bars, de quinzaines commerciales, etc. Mais il y a aussi, à la cinémathèque de Tel-Aviv, qui est comme souvent pour les cinémathèques, un bastion de la gauche, et même de la gauche laïque pour Tel-Aviv, le festival de cinéma gay et lesbien. Et cette année, pour la première fois, cinq cinéastes ont refusé de venir. Quatre cinéastes et un membre du jury ont refusé de venir. Très symboliquement, le cinéaste dont le film avait été sélectionné pour l’ouverture est sud-africain et s’appelle John Trengrove. Il a réalisé un film excellent, Les initiés qui est sorti en France dans le courant du mois d’avril. Ce réalisateur a refusé que son film soit diffusé et a refusé de se rendre à Tel-Aviv.
C’est intéressant parce qu’on voit bien que la question du boycott, et notamment du boycott culturel est une obsession du gouvernement israélien. Il existe même, en Israël, une loi anti-boycott et des artistes sont poursuivis au nom de cette loi. Que des artistes internationaux s’engagent, c’est important, intéressant, d’autant plus quand ils sont gays et lesbiens et qu’ils arrêtent de cautionner et dénoncent cette opération de pinkwashing.