1921 – 2021.
Déjà en octobre 1917, ce même Parti bolchevik avait réussi à canaliser la haine du prolétariat envers la propriété privée et son État (et sa misère, et ses guerres, et le monde qui va avec !), et à s’approprier l’énergie insurrectionnelle développée par notre classe, pour finalement faire passer pour une révolution le simple remplacement d’un gouvernement provisoire par une nouvelle caste de ministres appelés « commissaires ». Le tout saupoudré de quelques mesures économiques, sociales et politiques qui avaient le goût et la couleur de la révolution (qui « sent terriblement la révolution » pour reprendre le mot attribué à Lénine par Trotski au moment de constituer le soviet des commissaires du peuple) mais qui devaient se révéler n’être qu’un ravalement de façade de l’ignoble dictature sociale du Capital au nom du socialisme et du communisme.
L’« insurrection d’Octobre », ou plus prosaïquement les événements des 24/25 octobre 1917 qui culmineront dans la « prise du Palais d’Hiver », siège du gouvernement provisoire, est un « coup » organisé par une fraction du Parti bolchevik, ladite « fraction Lénine/Trotski ». Non pas un « coup d’État », comme se plaisent à le dénoncer depuis une centaine d’années toutes les chapelles de la social-démocratie historique : des socialistes de la deuxième internationale aux partisans de l’anarchisme idéologique et aux tenants de la démocratie ouvrière et sa forme conseilliste. Mais bel et bien un coup d’arrêt (provisoire !) au véritable processus insurrectionnel du prolétariat qui court sur plusieurs mois durant cette année 1917 et qui n’arrêtait pas de se répandre comme une traînée de poudre à travers tout le pays, à travers les villes et les campagnes.
Comme l’évoquait très justement en octobre 1927 le militant « anarchiste » Piotr Archinov dans un article qui devait tirer les leçons de ces événements pour leur dixième anniversaire, il y a deux Octobres qui s’opposent : d’une part « l’Octobre des ouvriers et des paysans » qui s’attaque à la propriété privée et qui exproprie la classe des capitalistes ; et d’autre part « l’Octobre du Parti bolchevik » qui renverse le gouvernement provisoire incapable de maîtriser le déchainement prolétarien, et qui impose une simple révolution d’ordre politique, donc bourgeoise.
Mais qu’on nous comprenne bien : face à l’insurrection bolchevik d’octobre, nous n’opposons pas la démocratie, le processus graduel et pacifique, l’assembléisme des soviets, comme nos détracteurs pourraient nous en accuser, mais nous tenons au contraire à souligner le véritable processus insurrectionnel du prolétariat. Le problème, c’est que certains secteurs de notre classe, et parmi les plus radicaux, ceux que l’histoire retiendra sous l’appellation des « marins de Kronstadt », ont oscillé entre « l’octobre prolétarien » et « l’octobre bolchevik » pour être finalement coopté par ce dernier et se mettre au service du Parti bolchevik, fort de son prestige organisationnel, dans sa quête du pouvoir politique. Tout le hiatus, c’est que le 25 octobre 1917, et les mois qui suivront, les « marins de Kronstadt » se sont transformés de « fer de lance de la révolution » en bras armé de la contre-révolution bolchevik qui vient…
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La prise en main de notre classe, l’encadrement politique du processus de révolution sociale, telle est la mission fondamentale de toutes les fractions de la social-démocratie historique, avec laquelle le Parti bolchevik n’a jamais fondamentalement rompu, et en ce y compris la fraction Lénine malgré ses changements de cap qui ne s’attaquaient jamais à la base de la politique bourgeoise à destination des ouvriers. En opposition formelle au cirque parlementaire et pacifique des soviets, prôné par une majorité de l’appareil du Parti bolchevik, la fraction Lénine poussera au contraire, non pas à l’insurrection prolétarienne (malgré sa lutte à l’intérieur du parti et du comité central pour affirmer la nécessité d’une action violente, d’un « coup »), mais plus prosaïquement à l’organisation technique d’un « contre-feu » de type insurrectionnel. En effet, lorsqu’un incendie se développe (ici en l’occurrence, un incendie social), que l’on n’en a plus le contrôle et qu’il menace de s’étendre et de tout consumer sur son passage, alors la technique de l’allumage volontaire et sous contrôle d’un contre-feu s’impose comme seule alternative visant à l’extinction rapide du foyer (révolutionnaire) principal.
La finalité de ce « contre-feu » (octobre 1917) est la prise de contrôle de la dynamique subversive développée par le mouvement de notre classe à travers la transformation des tentatives de renversement de l’ordre bourgeois et de révolution sociale en une simple révolution politique par le renversement du gouvernement provisoire, sans rien toucher fondamentalement aux rapports sociaux, à l’état des choses existant. Tout renverser pour que rien ne change, en conformité d’ailleurs avec la façon dont les bolcheviks saisissaient la matière sociale, le capitalisme, et donc aussi son renversement par l’imposition d’un vulgaire « capitalisme d’Etat » baptisé « socialisme », en conformité avec son incompréhension de la nature réelle de la social-démocratie. Il n’y a rien donc d’étonnant ou d’extraordinaire à ce que le « Parti-Etat » bolchevik, dès le lendemain de « l’insurrection » et de la prise du pouvoir, ne participe à la reconstruction et au développement du capitalisme et de l’Etat en Russie et dans le monde…
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Nous commémorons donc ici, à travers cette petite contribution, le 100e anniversaire du soulèvement de Kronstadt en republiant un texte que le Groupe Communiste Internationaliste (GCI) avait initialement rédigé au milieu des années 1980. Nous avons pris comme base une « version améliorée » datant de 2004 qui se démarque des concessions faites à l’époque au mythe du Parti bolchevik considéré comme expression du prolétariat révolutionnaire et dirigeant de l’insurrection d’octobre, considéré comme « le parti de l’insurrection armée » alors que fondamentalement il n’a jamais vraiment rompu avec son essence réelle de « parti de la conquête progressive du pouvoir » (bourgeois)…
Néanmoins, en relisant cette « nouvelle version », en la discutant et en la traduisant en anglais et en tchèque, nous avons estimé qu’il restait encore d’importants reliquats de ce mythe : Octobre est toujours considéré comme une insurrection « victorieuse », voire comme LA révolution immanente, le Parti bolchevique ne perdra sa « nature prolétarienne » qu’après la prise du pouvoir, la Troisième Internationale quant à elle, malgré ses limites et ses faiblesses, serait néanmoins une matérialisation de l’internationalisme prolétarien… Toutes affirmations contre lesquelles nous ne pouvons que nous porter en faux !
Toutes ces scories qui participent du mythe du Parti bolchevik révolutionnaire (certes ayant « dégénéré » par après), du mythe d’un Octobre homogène, du mythe de l’organisation internationale autour et sous la direction du Parti bolchevik, nous les avons effacées dans le texte et remplacées par trois points de suspension entre crochets. A d’autres endroits, quand cela était nécessaire, nous avons reformulé (toujours entre crochets) certaines affirmations qui posaient problème. Nous avons également agrémenté de commentaires des passages sans doute moins problématiques mais qui nécessitaient néanmoins quelque clarification.
Toutes les citations ont été revues et corrigées d’après les versions françaises disponibles, et référencées le plus exactement possible. Pour ce qui concerne les nombreuses citations des « Izvestia » de Kronstadt, nous n’avons pas utilisé la vieille version des Editions Balibaste de 1969 mais celles-ci ont été puisées dans la version directement traduite du russe et publiée chez Ressouvenances en 1988 (rééditée en 2019).
Bonne lecture, camarades.
Que la prochaine vague révolutionnaire mette enfin un point final au cauchemar que constitue pour l’humanité un rapport social basé sur la propriété privée, l’argent et l’exploitation, et donc basé sur l’expropriation de l’immense majorité des êtres humains de leurs moyens d’existence…
Exproprions les expropriateurs !
Vive le communisme !