Bonjour,
Depuis 5 ans, des milliers de solidaires, des dizaines de soignant.e.s se relayent pour porter assistance aux personnes se risquant à passer la frontière, faute d’avoir les « bons papiers », dans les montagnes enneigées situées à la frontière franco-italienne. Mais leurs pratiques pleines d’humanité, considérées comme criminelles, sont injustement menacées par la répression et de lourdes condamnations juridiques. Le procès en appel des « 7 de Briançon » doit marquer une étape significative dans la dénonciation de cette politique indigne.
Trois personnes avaient été arrêté.e.s en avril 2018 suite à une manifestation antifasciste, contre la frontière et sa militarisation, puis avaient passé 11 jours en prison avant d’être libéré.e.s sous condition. Le mois suivant, en mai, un premier procès avait eu lieu à l’occasion duquel la compatibilité entre l’inculpation et le principe de fraternité inscrit dans la Constitution française avait été questionnée. Le Conseil Constitutionnel n’avait finalement qu’admis la dépénalisation de « l’aide à la circulation et au séjour », et non de « l’aide à l’entrée » pour laquelle les 3+4 sont poursuivi.e.s. Ainsi, dans notre société, les frontières, ces lignes créées et contrôlées, sont plus fortes que le rapport humain qu’est la solidarité : l’illusion sécuritaire [1] dépasse le sens de la vie (et les accords de Schengen)... Suite à ce délibéré, 4 nouvelles personnes avaient été jointes à l’inculpation, ciblées pour leur implication dans la lutte au sein de la vallée du briançonnais.
Lors du procès, en novembre 2018, les 7 avaient été condamné.e.s à des peines allant de 12 mois de prison – dont 4 mois ferme – à 6 mois de prison avec sursis. Les 7 ont fait appel de ce jugement, il y aura donc un nouveau procès le jeudi 27 mai 2021 à Grenoble.
Depuis, les problèmes à la frontière n’ont pas cessé. La police traque toujours les exilé.e.s, parfois jusqu’à la mort (au nombre de 5), et les blessures graves – qui nécessitent parfois des amputations suite à des gelures – sont de plus en plus nombreuses (plusieurs centaines de personnes admises aux urgences tant leur état inspirait de l’inquiétude). A cela s’ajoute des traumatismes psychiques liés à ces parcours migratoires qui durent souvent plusieurs années sur des milliers de kilomètres. Malgré ces conséquences, les effectifs de la Police aux Frontières ont doublé en novembre 2020 (avec le renfort des forces sentinelles), n’altérant cependant pas le nombre de passages ni les actes de solidarité mais aggravant la difficulté du franchissement de la frontière, décuplant les risques et la répression. Un message clair, que ne doit éclipser le coup marketing « progressiste » de la dissolution du groupuscule fachiste Génération Identitaire en réaction à une opération menée dans les Pyrénées. La réalité du terrain est bien plus amère et doit nous rappeler les tendances racistes, autoritaires, injustes et irresponsables de l’Etat français. Dernier symbole, la relaxe de ce même groupe pour son action du 21 avril 2018 au col de l’Echelle, permise notamment par le don financier du terroriste de Christchurch, Brenton Tarrant.
Et la répression frappe de plus en plus largement. Une quinzaine de personnes ont été jugées pour des motifs d’outrage et une soixantaine de maraudeur.se.s ont reçu des amendes pour non-respect du couvre-feu malgré des attestations valables. En parallèle, au moins 6 nouvelles personnes ont été inculpées et poursuivies pour « aide à l’entrée », dont 2 solidaires qui ont été jugé à Gap le 22 avril et qui vont recevoir leur jugement ce même 27 mai. Interpellés le 19 novembre, ils portaient secours à une famille afghane sur le territoire français. Le ministère public leur demande 2 mois de prison avec sursis et 5 ans d’interdiction de revenir sur le territoire des Hautes-Alpes.
Dans le même temps, plusieurs lieux solidaires ont été évacués. Là encore s’illustre la même logique de criminalisation et de découragement.
Côté italien, cela a été le cas, fin 2018, pour le refuge autogéré « Chez Jésus » qui était situé à Clavière, à quelques mètres de la frontière. Son descendant, la « Casa Cantoniera » située plus bas à Oulx, a été évacuée en mars de cette année. Malgré la pandémie et les zones rouges, une fois de plus, l’État italien n’a eu aucun scrupule à jeter 60 personnes à la rue, dans le but de détruire une réalité solidaire et d’affaiblir la lutte à la frontière. Ces lieux permettaient, depuis l’Italie, de sécuriser le passage et de prévenir les risques : les exilé.e.s pouvaient s’y équiper, prendre des informations, se reposer et se nourrir avant la dure marche de 20 km nécessaires pour espérer passer la frontière. Ici encore, plusieurs dizaines de militant.e.s ayant participé à ces occupations ont lourdement été poursuivi.e.s par la justice italienne.
Côté français, à Gap, l’espace d’accueil autogéré du Cesaï a été évacué en août 2020. Enfin, le « Refuge Solidaire » institutionnel situé à Briançon et mis à disposition par l’ancienne municipalité doit quitter ses locaux dans les jours à venir car l’actuelle mairie de droite n’a pas souhaité renouveler la concession. Heureusement, un nouveau lieu d’accueil a été trouvé et va être investi prochainement.
Mais la lutte avance. Outre les maraudes quotidiennes qui ont sauvé des vies depuis 5 ans, il a été possible de soutenir logistiquement les lieux de lutte - anciens, actuels ou futurs – tant du côté français qu’italien. Le procès des 7 de Briançon ainsi que toutes les autres mobilisations qui ont lieu en marge de cette lutte, ont participé à la dépénalisation de « l’aide au séjour et à la circulation » ; elles ont contribué à faire la lumière sur ce qu’il se passait dans la vallée ; elles ont permis à la solidarité de prendre une nouvelle ampleur ; elles ont essayé de mettre en avant l’aspect violent des pratiques de l’Etat et de la police ; et elles ont mis en avant la dimension raciste et systémique du système de gestion des migrant.e.s et des frontières.
Au-delà de ces questions de politiques nationales et de leurs impacts pratiques, il faut aussi bien entendu poser la question de la situation générale d’un monde colonial qui s’est mué en notre société capitaliste actuelle. Ces systèmes d’organisations économiques et sociaux perpétuent depuis des siècles les inégalités sans que l’on ait pu observer une quelconque réparation ou rééquilibrage des richesses. De l’esclavage à l’accaparement et la soumission coloniale ; de l’exploitation des ressources et de la nature au nom de la propriété privée et des besoins de l’occident à celles des êtres humains main-d’oeuvre de ce mouvement ; de l’exportation des richesses ainsi créées pour constituer le socle du spectacle des pratiques occidentales qui, en se diffusant, détruisent pas à pas les capacités autonomes des différents peuples et cultures ; le mouvement vers la croissance et le progrès à l’occidentale ne cesse de créer les conditions poussant les personnes à émigrer.
La création de la frontière contemporaine [2] a un rôle bien particulier dans cette fable : elle permet le tri des populations, de celleux qui ne sont pas désirés, contrairement aux marchandises qui bénéficient elles de la “libre circulation”. Le monde juridique de son côté ne fait qu’accompagner ce macabre mouvement en mettant en place et en défendant le cadre légal qui permet à un tel système de perdurer. Que ce soit à travers les lois qui définissent les grandes lignes de la machine, autrefois coloniale, actuellement capitaliste et néo-coloniale, où à travers la répression de celleux qui tentent à leur échelle de faire vivre des pratiques et des visions alternatives, sa dynamique est toujours la même. Elle se matérialise très concrètement dans la répression de la lutte contre la frontière et de ses conséquences qui ont cours à la frontière franco-italienne aujourd’hui.
L’engagement des nombreux maraudeur.se.s et soignant.e.s bénévoles, de toustes les militant.e.s est le symbole d’un combat plus large pour la vie et le vivant que mène actuellement une partie de la population contre la destruction du monde et de l’humanité qui le peuple. La présence des 7 inculpé.e.s de Bure, de l’équipe de Iuventa, de la Confédération Paysanne, des Syndicats et de multiples autres organisations lors de cette mobilisation en est la meilleure démonstration ! C’est suivant cette même dynamique que des délégations zapatistes [3] viendront à la frontière à deux reprises cet été.
Les besoins financiers pour cette lutte sont grands : nourriture, vêtements, infrastructures pour les refuges, matériel de maraude, loyer, diffusion de l’information, frais juridiques… . La situation sanitaire actuelle empêche de nombreux circuits traditionnels d’avoir lieu (soirées de soutien, festival …). Les inculpés, les comités de soutien et les grandes associations nationales appellent ainsi à contribution à la cagnotte solidaire montée pour l’occasion [4], tout comme à la signature d’une large pétition de soutien [5].
Ce 27 mai 2021 sera la prochaine étape d’un long parcours judiciaire. Nous appelons à une mobilisation nationale de grande ampleur ! Se joue avec ce procès des enjeux bien plus grands que les peines que courent les 7 inculpé.e.s. En premier lieu, c’est celleux qui luttent tous les jours à la frontière pour venir en aide aux exilé.e.s qui auront un signal fort. Plus largement, il s’agira de savoir si les valeurs d’humanités, de liberté et les “droits de l’Homme” prônés par l’Etat et la justice française existent encore, ou si la vague conservatrice et autoritaire qui ravage le pays a définitivement supplanté tous les espaces de résistances.
Ce parcours sera sans doute long et plein d’entraves avec beaucoup d’incertitudes face à des institutions qui se sont montrées au mieux peu collaboratives, et au pire coupables de complicité dans la violation de droits humains fondamentaux [6].
Entre-temps, celles et ceux qui n’ont pas les bons papiers luttent toujours pour que leur vie et leur dignité soient reconnues. En Europe, dans les montagnes, dans les camps ou dans les mers, des milliers de solidaires refusent quotidiennement d’être complices d’un système et de lois injustes ainsi que d’un État qui génèrent, par action ou par omission, une situation humanitaire dramatique.
En espérant que l’humanité refasse surface.
Nos meilleures salutations.
6 des 7 inculpé.e.s
La solidarité plus forte que les frontières !
Ce jeudi 27 mai à Grenoble a eu lieu le procès en appel des 7 inculpé.e.s. C’était aussi le jour du rendu d’un autre procès, qui avait eu lieu à Gap un mois plus tôt, pour “aide à l’entrée” et qui a finalement réprimé 2 personnes à des peines de 2 mois de prison avec sursis. Une mobilisation a durant la journée rassemblée au moins 500 personnes, avec la présence de nombreuses associations, collectifs et artistes. Le procès a duré 8 heures et l’avocat général a amoindri les peines requises, à savoir 3 mois de prison avec sursis (contre 6 auparavant) pour 6 des inculpé.e.s et 8 mois de prison avec 2 ans de sursis probatoire (diverses contrôles et contraintes supplémentaires) pour l’un des inculpés qui est aussi poursuivi pour rébellion alors même qu’il s’est fait agressé par la Police. Les réquisitoires des avocats ont par la suite eu lieu, démontant pas à pas la robustesse des arguments incriminants. Quatre questions préjudicielles ont en amont été posées, mettant en avant la contradiction fondamentale qu’il existe entre la répression de “l’aide à l’entrée” en France - ainsi que dans d’autres pays qui possèdent des frontières internes à l’UE - et le droit européen. Cette position a été appuyée par des personnalités dans une tribune du journal Libération [7]. Les juges trancheront (principalement en fonction de leurs opinions politiques) si cette question a le mérite d’être posée et si le droit français - comme celui d’autres pays - doit être révisé en ce qui concerne la gestion des frontières et de la répression de la solidarité. C’est l’espoir d’une démarche légaliste qui pourrait passablement changer la situation du passage au sein des frontières internes à l’UE. La réponse à ces questions ainsi que le jugement seront rendus le 9 septembre prochain.