Migrations - Frontières

À propos de l’expulsion de la Casa Cantoniera Occupata

Deux ans et demi après son ouverture, la Casa Cantoniera Occupata, le refuge autogéré d’Oulx, a été expulsé mardi 23 mars.

Depuis une année maintenant, la pandémie perturbe la vie de milliards de personnes. Dans ce monde dystopique où l’augmentation considérable des systèmes de surveillance et des pratiques de contrôle a partout été légitimée par la doctrine de la guerre contre le virus, dans ce monde où tout est illégal sauf le fait d’aller travailler, les expulsions, elles n’ont pas cessé.

Deux ans et demi après son ouverture, la Casa Cantoniera Occupata, le refuge autogéré d’Oulx, a été expulsé mardi 23 mars.

Le refuge était plein de monde, la pandémie n’ayant jamais arrêté les personnes en déplacement dénuées du privilège d’avoir un endroit où rester.

Occupé depuis décembre 2018, il s’agissait d’un un lieu créé pour apporter la solidarité aux personnes qui voulaient traverser la frontière franco-italienne au col du Montgenèvre. Un lieu de lutte et d’auto-organisation, contre toutes les frontières et dispositifs militaro-policiers, ainsi que politiques, lesquels cherchent à contrôler et à perpétuer la logique arbitraire et absurde de la frontière.

Il s’agissait d’un refuge libre pour tou.te.s celles.eux qui croient que la terre n’a ni frontières ni maîtres, et que chacun.e doit avoir la liberté de choisir où et comment vivre. Une occupation qui a fait de la solidarité active et quotidienne sa raison d’être, et qui a essayé de se mettre en travers des lois racistes qui font des frontières et de leurs contrôleurs une ligne maudite et meurtrière. Un lieu qui a servi à la mise en place d’une ligne précise et efficace à la lutte contre les frontières, qui a servi d’outil pratique à tou.te.s celles.eux qui voulaient lutter activement contre les politiques ségrégationnistes de cette Europe meurtrière.

Dans nos Alpes, des personnes sont obligées de marcher sur des sentiers de haute montagne, se cachant uniquement parce qu’elles ne sont pas en possession du « bon » papier. À l’inverse des marchandises et des touristes qui y transitent sans soucis et pour qui cette frontière est invisible. De façon similaire dans les forêts de Croatie et de Bosnie, la police frappe, vole et mutile les migrant.e.s pour qu’ils renoncent et rebroussent chemin. Du désert de Tamarasset à la mer Égée, et dans toute la Méditerranée, où un génocide est organisé, constitué de prisons et de navires patrouilleurs financés par l’Union européenne, où les gens continuent de mourir tandis que les gouvernements sont occupés à bloquer les bateaux de sauvetage et à réprimer toute forme de solidarité. Une partie de ce génocide se déroule ici, dans nos montagnes, et se poursuit au jour le jour.

La Maison a été évacuée le mardi 23 mars ; ils sont arrivés à 7 heures du matin : le défilé habituel de flics, carabiniers et autres « digos » (police politique). Il leur a fallu plus d’une heure et demie pour entrer.

Plus de 60 personnes, dont de nombreuses familles avec des mineurs, ont ont été sorties et emmenées.

La participation des pompiers a été déterminante pour la réussite de l’opération : ils ont positionné les escaliers pour entrer par le toit et ont aidé les flics à franchir les barricades qu’ils n’arrivaient pas à franchir. La Croix-Rouge a également contribué à l’évacuation, en installant une tente devant la Maison pour effectuer des prélèvements anti-covid.

Les familles ont été conduites dans des dortoirs à Susa (dans le couvent des religieuses), à Bardonecchia (à l’association Alveare) et à Oulx (au refuge salésien). Les personnes « seules » (c’est-à-dire ne faisant pas le voyage « en famille ») ont été emmenées au poste de police de Bardonecchia pour être identifiées, puis relâchées.

Maintenant, au refuge des salésiens à Oulx, personne ne peut entrer sans autorisation. La police et les « digos » sont très présents et oppressants dans toute la zone frontalière. Dans le village, quelques camions de Celere (équivalent CRS) stationnenent. Suite à l’expulsion « tant souhaitée », le maire d’Oulx a expressément demandé aux citoyens de signaler à la police toute personne « suspecte » errant dans le village.

La responsabilité de cette expulsion est entièrement politique.

De la préfecture à la municipalité d’Oulx (l’expulsion a été demandée dès le premier jour d’occupation et le maire Andrea Terzolo, élu il y a presque deux ans, en a fait un objet de campagne électorale). Des états, italiens et français, ainsi que leurs bras armés, peu importe le corps de police. D’ANAS (entreprise gestionnaire des infrastructures routières italiennes, propriétaire de dizaines de maisons abandonnées depuis des décennies dans toute l’Italie - ainsi que de l’immeuble d’Oulx) - qui a immédiatement porté plainte contre les occupant.e.s au petit journalisme national, qui s’est employé à diffamer ce lieu de toutes les manières possibles. Tous ont joué un rôle actif dans la criminalisation de cette expérience et ont rendu sa fermeture matériellement possible.

Et cela nous rend encore plus furieux de savoir qu’ANAS, qui a entraîné 24 d’entre nous (sans compter les 13 camarades solidaires présente.s à l’intérieur de la maison lorsque les flics sont entrés) dans un procès pour occupation qui a ironiquement commencé le matin de l’expulsion, a mis 100 maisons en vente. Il est question de les convertir en bars, restaurants et stations de recharge pour voitures électriques. Les gens seront heureux d’être libres de voyager où ils veulent, de boire du café et de recharger leurs voitures de luxe sur une route tachée du sang de ceux qui doivent marcher la nuit, en se cachant des coups des flics et des griffes d’un système d’accueil qui se remplit les poches sur le dos du peuple

Maintenant, des centaines de milliers d’euros vont aussi arriver aux communes frontalières pour la « gestion des flux migratoire migrants », un nouveau marché. Au moins 600 000 euros à Bardonecchia, plus 162’000 euros à la commune de Clavière.

Et de l’autre côté du visage explicitement répressif, les responsabilités « invisibles ».

Même le jour de l’expulsion, Arc-en-ciel pour l’Afrique, a joué son rôle de bonne association d’accueil des migrant.e.s expulsé.e.s du « terrible abri anarchiste » : La même [ONG] qui, depuis peu, a remporté un appel d’offres pour effectuer des tampons à Turin et qui tente de trouver la légitimité même à l’intérieur des espaces occupés. la même ONG qui depuis trois ans travaille entre Bardonecchia et Oulx pour donner une réponse institutionnelle aux « flux migratoires », en essayant de décourager les départs en proposant des solutions irréelles d’un accueil qui n’est qu’un business ; La même qui, depuis peu, a remporté un appel d’offres pour effectuer des tampons à Turin et qui tente de trouver la légitimité même à l’intérieur des espaces occupés.

Nous savons que les organisations de ce type s’appuient sur des bénévoles qui ne cherchent qu’à aider, et qui le font avec leur cœur. Mais le fonctionnement et les choix politiques de cette ONG ont des conséquences spécifiques, des responsabilités précises, et nous ne sommes pas d’accord, et nous voulons le rappeler. D’ailleurs, le président, Paolo Narcisi, nous a toujours diffamé.

Et de la même manière, nous rejetons toutes les belles paroles d’appel à la solidarité catholique que nous avons entendues ces derniers jours de la part de l’archevêque de Turin Nosiglia, ainsi que celles de l’évêque de Suse Confalonieri il y a quelques années. Tous les deux des hommes de cette Église qui d’un côté prétend parler d’aide et charité, et ensuite s’applique à permettre les expulsions (procès sur l’occupation du sous-sol de l’église de Clavière en cours) et à mettre fin à des expériences concrètes et directes de solidarité.

En conclusion : l’expulsion de la Casa Cantoniera fait partie d’une répression et d’une offensive globales contre la liberté de mouvement, contre les lieux de solidarité et les espaces occupés où les gens peuvent s’organiser en toute liberté. Partout en Europe, les espaces de lutte font l’objet d’attaques répressives de la part des États. La militarisation des frontières et la normalisation des refoulements et des rapatriements à l’intérieur et à l’extérieur des frontières européennes sont alimentées par les montées conjointes du racisme et du fascisme, tant au niveau sociétal que politique. Pendant ce temps, celles.ceux qui continuent à apporter leur solidarité aux personnes en mouvement et refusent de se conformer à cette logique raciste et ségrégationniste des frontières sont constamment attaqué.e.s et traîné.e.s devant les tribunaux.

Sur cette frontière, de nombreux procès sont en cours pour aide à l’immigration clandestine (deux procès importants dans les prochains mois du côté français). De nombreuses personnes sont mises en examen pour des initiatives, actions, occupations, et autres marches, peu importe de quel côté de la frontière.

La répression contre les personnes de passage se manifeste par une augmentation visible de la militarisation, par une violence de plus en plus forte, et maintenant par des contrôles jusque dans les structures où elles sont hébergées.
Pourtant, les gens continuent et continueront à passer, car le désir et la détermination de décider où vivre ne s’arrêteront jamais.

Nous tenons à remercier tou.te.s celles.ceux qui ont été solidaires de cette expérience au fil des ans, tant depuis la vallée de Suse - qui, bien que contrainte d’accueillir cette frontière infâme, a trouvé de nombreux ami.e.s qui ont partagé et soutenu avec nous cette lutte – que depuis le reste du monde.

Le besoin de reconstruire une véritable solidarité est grand. Tout est nécessaire, il y a un besoin de réorganisation. Une autre assemblée ouverte à tout.e.s sera convoquée, également pour tenter de donner une réponse collective à la répression se manifestant de façon toujours plus intense et brutale.

Nous sommes également à la recherche d’un véhicule collectif, qu’il s’agisse d’une camionnette ou d’une grosse voiture, pour continuer à être présent.e.s à la frontière. Si quelqu’un.e possède un véhicule (bon marché) ou du matériel utile, merci de nous écrire.

Toute contribution est la bienvenue.
Toujours contre chaque frontière.
Nous serons de retour.
Quelques ennemi.e.s des frontières

P.S.

Pour plus d’infos -> https://www.passamontagna.info

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