Anticapitalisme

Biélorussie : les anarchistes au sein de la révolte contre la dictature

Le site états-unien Crimethinc s’est entretenu avec plusieurs personnes biélorusses se définissant comme anarchistes. Nous proposons ici une traduction de cet entretien.

Biélorussie |

Dans la nuit du dimanche 9 août, en réponse à une élection largement considérée comme truquée, un mouvement de protestation massif a éclaté en Biélorussie contre Alexandre Loukachenko, l’homme fort qui dirige le pays depuis plus d’un quart de siècle. La police a arrêté des milliers de personnes, tiré à balles réelles et assassiné des manifestant.es. De dimanche à mardi, le gouvernement de Loukachenko a apparemment fermé l’internet et les téléphones fixes dans l’espoir d’étouffer les manifestations, tout en affirmant que le black-out était l’œuvre de forces extérieures à la Biélorussie. La candidate de l’opposition biélorusse, Svetlana Tikhanouskaya, a été arrêtée et apparemment forcée à lire un script déclarant que Loukachenko avait gagné les élections et exhortant les gens à "respecter la loi" et à se tenir à l’écart des manifestations de rue avant de fuir en Lituanie. Malgré cela, le soulèvement continue. Dans un contexte où l’État a réprimé toute forme d’opposition politique, les anarchistes sont parmi les seuls groupes organisés encore capables de participer à des manifestations de rue. Pour comprendre les événements qui se déroulent, nous avons interrogé de nombreux.ses anarchistes du pays.

Ce n’est pas la première fois que nous avons des raisons de correspondre avec les anarchistes biélorusses. En 2017, les anarchistes de Biélorussie ont participé en première ligne à une vague de protestation contre une loi obligeant les chômeur.ses à payer une taxe spéciale supplémentaire au gouvernement. Bien que certain.es décrivent la Biélorussie comme la dernière résistance socialiste de l’ère soviétique, la classe dirigeante y est engagée dans le même processus d’accumulation de richesses et de suppression de la dissidence que nous voyons aux États-Unis, dans l’Union européenne, en Chine et ailleurs. Nous ne considérons pas le mouvement de protestation en Biélorussie comme une réaction à un régime "arriéré" qui peut être résolu simplement en introduisant la démocratie, mais plutôt comme un énième point chaud aux côtés de Portland et Belgrade dans une lutte mondiale contre les conséquences du capitalisme et de l’autoritarisme.

Par nécessité, la nouvelle vague de manifestations en Biélorussie est décentralisée et largement sans leader, adhérant à des tactiques sinon des principes anarchistes. Nous craignons que même dans le meilleur des cas, cette horizontalité actuelle ne garantisse pas un résultat positif. Des mouvements de résistance largement horizontaux ont été à plusieurs reprises cooptés et canalisés pour réinventer les mêmes structures d’État autoritaires - y compris les mouvements qui ont provoqué l’effondrement de l’Union soviétique il y a trois décennies. De notre point de vue, la chose la plus importante qui puisse se produire dans des moments tumultueux comme celui-ci est que les gens développent une analyse plus approfondie des structures du pouvoir et de ce qu’il faudra pour apporter une véritable libération.

Pour comprendre les développements spécifiques qui ont conduit à cette crise en Biélorussie, nous recommandons cet article de Pramen, le collectif anarchiste que nous avons interviewé. Il est également important de lire leur analyse des raisons pour lesquelles une démocratie électorale plus crédible est insuffisante pour résoudre les problèmes auxquels la population est confrontée en Biélorussie :

« Nous ne devons pas oublier que les anarchistes ne sont pas seulement contre cette élection présidentielle, mais contre tout président en général. Le peuple biélorusse sait depuis longtemps que le pouvoir corrompt tout le monde. Loukachenko pourrait être remplacé par un homme politique de l’opposition, qui gardera le pouvoir dans le pays et continuera la répression contre sa propre population. Nous devons nous lever non pas pour avoir un nouveau président, mais pour vivre sans président. La décentralisation du pouvoir devrait être un facteur clé dans la transition de la dictature à une société libre. »

Les gauchistes autoritaires ont recherché les machinations des acteurs étatiques occidentaux dans ces événements, cherchant - comme d’autres théoriciens de la conspiration - à les expliquer comme étant les rouages malveillants d’une seule et même entité obscure toute-puissante comme la CIA. Pourtant, le soulèvement en Biélorussie n’est pas particulièrement commode pour les acteurs géopolitiques impliqués. Bien qu’il donne à Poutine l’occasion de faire pression sur Loukachenko pour obtenir davantage de concessions, il pourrait également déstabiliser la Russie. Il interrompt les tentatives des États-Unis de gagner plus de poids dans la région en établissant une relation plus amicale avec Loukachenko. À une époque où la violence d’État, la crise économique et une pandémie catastrophique ont discrédité les gouvernements du monde entier, elle menace de créer un précédent pour une révolte de masse qui pourrait s’étendre. De nombreux commentateur.rices ont noté que les événements en Biélorussie pourraient servir de modèle pour ce qui pourrait se passer aux États-Unis si les élections de 2020 sont contestées.

Partout dans le monde, les structures de l’État laissent tomber les gens et provoquent des mouvements sociaux rebelles. Les courants politiques qui deviennent influents dans ces mouvements détermineront ce qui est possible dans la prochaine génération de luttes. S’il n’y a pas de puissants courants anarchistes impliqués - ou si nous passons immédiatement par pertes et profits des mouvements entiers en raison de la participation de certains éléments réactionnaires - nous rendrons inévitable qu’un plus grand nombre de personnes privées de leurs droits et désespérées soient entraînées dans des ersatzs de mouvements organisés par des nationalistes, des néolibéraux et d’autres autoritaires, avec des conséquences désastreuses. Dans le mouvement des Gilets Jaunes en France, il était très important que les anarchistes s’impliquent et se battent pour marginaliser les éléments fascistes et nationalistes qui tentaient de populariser leur modèle de résistance contre le gouvernement centriste de Macron. De même, nous devrions canaliser les ressources et la solidarité vers les éléments anarchistes dans la lutte en Biélorussie.

Toute activité révolutionnaire n’est pas positive. Lorsque les fascistes ont pris le dessus dans la révolution ukrainienne, il était important de comprendre comment cela s’est passé et de déterminer que la victoire de la révolution ne représentait pas un pas vers la libération. Mais l’avenir du soulèvement en Biélorussie n’est pas encore écrit - il pourrait être réprimé, il pourrait être coopté par les démocrates néolibéraux ou les nationalistes, ou il pourrait devenir un point de référence pour la révolte populaire. La suite des événements sera déterminée sur la scène mondiale, à mesure que des luttes comme celle-ci se dérouleront sur les six continents. Nous appelons tou.tes celles et ceux qui se préoccupent de l’avenir de l’humanité à approfondir les liens internationaux de solidarité, à échanger des tactiques et des ressources, et à comprendre ces luttes dans un contexte mondial.

Pour une mise à jour des actions de protestation du 11 août, lisez ceci. Le 14 août, un appel à des actions de solidarité est lancé dans le monde entier pour soutenir le soulèvement.

Nous avons interviewé des membres du collectif d’édition anarchiste biélorusse Pramen et, pour nous assurer d’obtenir une perspective bien équilibrée, nous avons également demandé des réponses à un.e autre anarchiste biélorusse de longue date, qui s’est exprimé.e sous couvert d’anonymat. Dans la discussion qui suit, ils et elles explorent le contexte de la crise actuelle, décrivent comment s’organiser sous une dictature répressive et réfléchissent aux conséquences potentielles du soulèvement.

Il y a un appel aux actions de solidarité partout dans le monde le 14 août.

Interview

Donnez-nous un bref aperçu de l’histoire du mouvement anarchiste contemporain en Biélorussie.

Pramen : Comme certain.es d’entre vous l’ont peut-être entendu, le mouvement anarchiste a été détruit en Union soviétique. La renaissance du mouvement a eu lieu à la fin de l’ère soviétique. Dans les années 1990, les anarchistes ont joué un rôle important dans certains mouvements de base autour de l’écologie, des luttes ouvrières et d’autres questions. Depuis lors, les anarchistes se sont organisé.es en Biélorussie avec des hauts et des bas divers. Il existe au moins cinq collectifs anarchistes organisés : la Croix noire anarchiste, Pramen, Food Not Bombs, la bibliothèque Volnaya Dumka et l’initiative “Really Free Market”. Tous s’occupent de différentes tâches au sein du mouvement, du travail antirépressif à l’organisation d’actions dans les rues. En dehors de ces groupes organisés, il existe plusieurs blogs très connus qui soutiennent le mouvement anarchiste. En outre, un petit groupe d’activistes a organisé une coopérative d’imprimerie qui existe depuis trois ans maintenant.

Il y a eu beaucoup de déceptions depuis 2017. À l’époque, les attentes étaient grandes car l’élan contre Loukachenko se renforçait. Mais ensuite, le soulèvement a été écrasé et tout le monde est retourné à la normale. Beaucoup de gens qui avaient fait de la prison en sont sortis brisé.es ; pour beaucoup d’anarchistes, la normalité n’était pas possible, car les raids, les détentions et la pression psychologique continuaient. Certaines personnes actives ont dû quitter le pays en raison de problèmes avec l’appareil d’État.

Cependant, malgré la déception et ces coups durs, les anarchistes ont continué à s’organiser. Le mouvement n’est pas massif dans tout le pays, il pourrait y avoir plus ou moins 100 anarchistes organisé.es. Ajoutez quelques centaines de personnes de plus qui sont des sympathisant.es et c’est tout pour un pays de 10 millions d’habitant.es. Cependant, les événements de 2017 ont également porté un coup aux groupes libéraux et nationalistes organisés ; ils n’étaient pas forts avant et après, la plupart des partis d’opposition ont cessé toute activité de rue. Depuis 2017, les anarchistes sont très probablement la seule force active qui continue à s’agiter dans les rues.

Dans notre collectif, nous faisions un travail médiatique et d’agitation. D’autres groupes organisaient des événements publics ayant une orientation anticapitaliste et anti-autoritaire.

Il est également important de mentionner qu’en termes de classe, le mouvement anarchiste biélorusse ne comprend pas beaucoup d’étudiant.es. Il est principalement composé de différentes parties de la classe ouvrière.

« Belvirus » : des anarchistes ont collé des affiches à Minsk, tenant Loukachenko responsable de la propagation désastreuse du COVID 19 en Bélarus.

Comment les anarchistes ont-ils et elles continué à s’organiser en Biélorussie malgré la répression ? Avez-vous des conseils à donner aux anarchistes d’autres régions du monde qui n’ont pas encore connu le même type de répression - mais qui pourraient en faire l’expérience dans les années à venir ?

Pramen : Les anarchistes en Biélorussie ont utilisé beaucoup de tactiques intéressantes ces dernières années. Tout d’abord, la plupart des collectifs radicaux sont devenus complètement clandestins. Personne n’est autorisé à savoir qui fait partie de notre collectif, par exemple. La même règle existe dans d’autres groupes. Nous organisons certaines actions communes ensemble - les manifestations en ce moment, par exemple - mais tout le monde participe dans la rue en tant qu’individu.es ou groupes affinitaires, et non dans une structure organisationnelle. Cela complique la coopération entre les groupes, mais cela nous évite de nous retrouver dans une situation où un mouchard d’un groupe connaît l’infrastructure de l’ensemble du mouvement.

Les actions de rue anarchistes ont une limite de temps - le temps maximum dont nous disposons avant l’arrivée de la police est généralement d’environ 10 à 15 minutes.

Travailler dans la clandestinité rend difficile l’intégration de nouvelles personnes au sein du mouvement. C’est pourquoi certains groupes servent de points d’entrée pour les anarchistes - par exemple, tout le monde peut assister à un concert punk et, grâce à cela, apprendre à connaître les moyens d’entrer dans le mouvement anarchiste organisé, étape par étape.

Cependant, il est également important de mentionner que certaines personnes sont sorties de la clandestinité pour devenir des personnalités publiques. Ils et elles donnent des interviews, parlent aux médias et réalisent des vidéos Youtube sur différents sujets. Cela entraîne parfois des problèmes avec la police, mais il semble qu’il y ait certaines choses que vous pouvez encore exprimer. Appeler à la révolution peut être problématique, mais appeler à la démocratie directe et à la décentralisation du pouvoir semble être une bonne chose.

La longue existence de la Croix noire anarchiste en Biélorussie a mis en évidence un point important : vous pouvez compter sur vos camarades non seulement lorsque vous faites des actions directes ou que vous participez à des manifestations, mais aussi lorsque vous vous retrouvez derrière les barreaux. C’est un facteur psychologique important qui rend le mouvement fort.

Bien sûr, celles et ceux qui rejoignent les anarchistes sont conscient.es de la possibilité de répression dès le premier jour. Ce ne sont donc pas seulement des étudiant.es moyen.nes qui ont décidé de s’engager dans la politique quand ils en ont le temps. Les participant.es sont conscient.es de risquer d’aller en prison même pour de petites choses. Et vous organisez votre vie en conséquence :

* Vous apprenez à garder votre appartement propre, afin que rien ne puisse être utilisé contre vous.
* Vous enseignez et apprenez la culture de la sécurité - tant physique que virtuelle.
* Vous apprenez à connaître vos camarades dans des situations difficiles et cela crée des liens plus forts que l’acier.


Quelle est la composition du mouvement autour des élections d’août en Biélorussie ? Quelles sont les aspirations politiques des participant.es ? Quel est le rapport de force entre eux ?

Pramen : Ce tour de scrutin est sacrément merdique. De nombreux.ses politicien.nes de l’opposition se sont en fait opposé.es au plan principal des manifestations en appelant les gens à rester chez eux et à attendre un meilleur moment pour se soulever. De nombreux.ses membres des générations précédentes ont reçu l’instruction de rester chez elles et eux et de ne pas suivre les provocations.

De l’autre côté, le vide créé par cette décision politique s’est rempli de blogueur.ses, de petits groupes et de channels Telegram. Par conséquent, la prise de décision est passée des partis politiques au peuple. Cet été, le mouvement contre Loukachenko est devenu si massif que les anarchistes ne représentaient qu’une infime partie de tout ce qui se passait.

Et ce qui se passait n’était pas lié à des revendications politiques claires. Il n’y avait aucune plate-forme politique ou économique construite autour des élections appelant à la privatisation ou à la nationalisation ou quoi que ce soit d’autre de ce genre. Au lieu de cela, les gens s’organisaient contre la dictature - pour la faire tomber. C’est aussi simple que cela. Et cette simple poussée a attiré beaucoup de gens. Aujourd’hui, la frustration à l’égard de Loukachenko est plus grande que jamais. Actuellement, aucun groupe, organisation ou parti politique n’a réussi à gagner en popularité grâce à ces manifestations.

Donc, pour l’instant, le soulèvement populaire contre Loukachenko peut toujours aller dans n’importe quelle direction selon les personnes présentes dans les rues.

Dans le même temps, il convient de mentionner que des appels à la démocratie directe sont lancés sur certaines grandes plateformes médiatiques. Au moins certaines personnes en Biélorussie comprennent que Loukachenko est un dictateur, mais la dictature est une machine compliquée. Si nous remettons cette machine entre les mains d’un autre président, le scénario peut simplement se répéter.

Anonyme :
La vie politique en Biélorussie a été dévastée par les années de pouvoir autoritaire. Les partis existants n’existent que pour le plaisir d’exister - les gens les connaissent à peine et ne leur font pas confiance.

D’où la blague classique : si jamais vous vous sentez inutile, rappelez-vous qu’il y a un Premier ministre en Biélorussie. Les partis politiques ne jouent aucun rôle ici. Les modèles politiques habituels de prise de décision ne fonctionnent pas.

L’une des choses qui a probablement uni les gens et les a aidés à créer un mouvement puissant est le caractère presque apolitique de cette lutte pendant les élections. Les gens ont vu quelque chose de différent des bouffonneries habituelles. Tikhonovskaya, le principal rival de Loukachenko dans cette élection, est apparu de nulle part comme une femme au foyer qui a pris la relève de son mari emprisonné et dont le seul programme politique était d’organiser des élections équitables six mois après son accession à la présidence. Après 26 ans de survie dans un “État social”, les gens ne croient pas au socialisme. Après la longue histoire soviétique et la rhétorique pro-communiste continue à la télévision et dans la vie quotidienne, les gens sont sceptiques à l’égard du communisme. Ce que les gens veulent, c’est mettre un terme aux années d’oppression - tant idéologique qu’économique, mais avant tout économique. Ils et elles ne sont pas du tout engagé.es politiquement. Il y a quelques acteurs politiques à l’arrière-plan de ces événements, mais ils sont presque invisibles.

Malheureusement, nous pouvons dire presque la même chose des anarchistes - en raison du petit nombre d’anarchistes et de l’accent mis sur l’intérieur du mouvement, les anarchistes ne peuvent pas vraiment prendre le relais et diriger cette manifestation. Bien que je ne veuille en aucun cas sous-estimer la contribution des anarchistes - malgré leur petit nombre, les anarchistes ont réussi à influencer les manifestations en apportant de nouvelles approches et techniques.

Nous avons entendu dire que, du moins selon un journaliste de la télévision Belsat, les anarchistes ont joué un rôle important dans les manifestations du 9 août à Minsk. Est-ce vrai ?

Pramen : Les anarchistes jouent un rôle important dans ces manifestations. Nous voyons des groupes affinitaires organisés qui construisent des barricades, qui essaient d’amener des groupes de personnes plus importants à se déplacer dans la ville et à combattre la police là où c’est nécessaire.

Mais même cela est éclipsé par la créativité dont fait preuve la population dans les rues. Ce que nous appelons les groupes affinitaires dans le mouvement anarchiste est quelque chose qui existe naturellement dans la société - les ami.es vont ensemble à la manifestation et, bien souvent, ils et elles discutent de quoi y faire à l’avance. On peut donc voir beaucoup de jeunes gens non affilié.es à un courant politique sur les barricades qui se battent contre les flics.

Quant à la stratégie... L’objectif principal est très simple : faire tomber le dictateur. En participant aux manifestations, diffuser les idées d’organisation horizontale et de décentralisation. Même pendant les affrontements, les gens continuent à distribuer des tracts aux manifestant.es au fond de la foule. On pense que si les gens parviennent à faire tomber Loukachenko sans les hommes politiques et les grands dirigeants, cela portera un coup puissant aux tendances autoritaires du pays. Cela donnera également un énorme coup de pouce à l’auto-organisation et à la solidarité dans cette société.

Tout le monde comprend que cette révolution ne sera pas libertaire. Nous ne serons pas capables de faire tomber l’État. Cependant, en tant qu’anarchistes, nous pouvons essayer de pousser nos idées aussi loin que possible pour sortir de l’autre côté avec plus d’élan vers la liberté.

Quels sont les différents scénarios possibles pour cette confrontation entre Loukachenko et les manifestant.es ?

Pramen : Nous n’espérons qu’un seul scénario : que Loukachenko soit fini. Selon le niveau de violence, il pourrait être tué, ou les gens pourraient simplement lui raser la moustache. Il pourrait aussi s’enfuir, ce qui est arrivé à la plupart de ses amis du bloc de l’Est qui ont été renversés. C’est le scénario pour lequel nous nous battons toutes.

Il y a un autre scénario : Loukachenko reste. Dans ce cas, il y aura une répression massive après la fin des manifestations. Des centaines de personnes seront poursuivies et condamnées à de nombreuses années de prison. La liste des prisonnier.es politiques va s’allonger très rapidement. Les anarchistes y figureront à coup sûr.

La répression détruira toute vie politique dans le pays. Tout ce qui peut constituer une menace pour le gouvernement sera détruit. Il n’est pas certain que le mouvement anarchiste survivra à cette répression, car la plupart des groupes y sont en fait complètement intégrés.

L’effondrement du mouvement entraînera le déclin de la société biélorusse. Il est certain que de nombreuses personnes vont fuir le pays. En l’absence de pression politique et sociale, la crise économique fera baisser les revenus des gens et créera davantage de problèmes pour la population active.

Mais nous ne voulons pas penser au pire scénario, car nous nous battons pour le meilleur scénario - et nous savons tou.tes qu’il n’y a pas de retour possible.

Comment le départ de Tikhanouskaya affectera-t-il le mouvement ?

Anonyme : Les gens se battent surtout pour eux-mêmes, pour leur liberté et leur vie. Certaines personnes la considèrent encore comme une présidente en exil. Certain.es ne s’en sont jamais vraiment soucié. Ce dont tout le monde se soucie le plus en ce moment, c’est le sort de celles et ceux qui sont emprisonné.es et la responsabilité de poursuivre la lutte pour celles et ceux qui ont sacrifié leur vie ou leur santé. Tout dépend donc de l’esprit des gens, je crois, de leur volonté de poursuivre la lutte malgré toute la violence et la cruauté subies actuellement.

Nous avons vu que la Russie n’a pas soutenu de tout cœur Loukachenko dans cette situation. Comment voyez-vous la stratégie de Poutine dans ce domaine ? Quelles seraient les implications pour la Russie et pour les autres pays de la région si les manifestant.es forçaient Loukachenko à quitter le pouvoir ?

Pramen : Ce qui se passe dans la tête de Poutine n’est pas clair. Il se pourrait qu’il attende simplement que Loukachenko s’affaiblisse pour conclure un accord qui réduirait la Biélorussie à une sorte d’état vassal. Dans le même temps, Poutine est vraiment déçu par ce qui se passe en Ukraine et en Syrie - les plans de ses analystes politiques ne fonctionnent pas comme il l’avait prévu. En fin de compte, rien ne l’empêche de faire entrer l’armée russe en Biélorussie et de proclamer qu’elle fait partie de la Russie.

Poutine joue depuis longtemps avec Loukachenko dans le but de réintégrer la Biélorussie dans l’État russe. Cela n’a jamais fonctionné, il se peut donc qu’il y ait une décision politique de ne pas soutenir Loukachenko, pour essayer de naviguer les événements de manière intelligente. À l’heure actuelle, si Poutine soutient Loukachenko avec tout ce qu’il a et que Loukachenko perd toujours, la société biélorusse se retournera complètement contre Moscou. Donc pour Poutine, ce pourrait être une bonne tactique de garder ses distances jusqu’à ce que les choses soient plus claires.

Anonyme : Poutine a été l’un des premiers à féliciter Loukachenko pour sa victoire et à confirmer les résultats des élections. Dans son message, il a appelé à renforcer la collaboration entre les deux pays. La position de Loukachenko est très faible en ce moment. Avec la brutalité dont il a fait preuve pendant les élections, il a perdu tout soutien et toute influence diplomatique auprès de l’Union européenne. Il a maintenant besoin du soutien de son grand frère oriental. C’est une situation très favorable pour la Russie. Sans dépenses supplémentaires, la Russie peut étendre son influence sur la Biélorussie. Il semble possible que Poutine fasse tout son possible pour maintenir Loukachenko au pouvoir, y compris en envoyant des forces militaires pour réprimer les protestations.

En même temps, si les manifestations forcent Loukachenko à quitter le pouvoir, il y a trop de facteurs à prendre en considération pour faire des prévisions. Le scénario varie d’une intervention militaire et d’une invasion à la reconnaissance par la Russie de la nouvelle situation en Biélorussie sans intervention.

Avez-vous quelque chose à dire aux “anti-impérialistes” autoproclamés de l’Ouest qui soutiennent Loukachenko ?

Pramen : Eh bien... il pourrait y avoir une longue réponse. Par exemple, nous pourrions expliquer que Loukachenko fait partie du projet impérialiste russe dans cette région. Il est soutenu par Moscou pour sa loyauté envers le Kremlin et il n’y a rien d’“anti-impérialiste” dans un président qui est au pouvoir par la volonté de l’empire qui détient le pouvoir dans la région. Je crois que le genre de critiques que vous décrivez aiment aussi les avantages sociaux que l’Etat offrirait en Biélorussie. Cependant, si vous faites vos recherches, vous découvrirez que Loukachenko est en fait celui qui détruit les programmes sociaux dans ce pays depuis des années tout en empêchant les gens de s’engager dans une quelconque forme d’auto-organisation. Nous pourrions continuer à expliquer les choses pendant des heures et des heures.

Mais vous savez quoi ? Les gauchistes autoritaires n’entendent pas d’arguments. Ce sont des croyant.es. Ils croient en leur “vérité” de la même manière que certaines personnes croient en une religion. Peu importe le nombre de bons arguments que vous pouvez apporter, ils maintiendront leur position initiale.

Nous pouvons donc passer à la réponse courte : “Va te faire foutre”. Mais vous pouvez toujours lire des choses plus constructives sur notre site web :)

Anonyme :
Si Loukachenko avait de la chance, il construirait son propre empire. Si vous pouviez comprendre ses discours, vous réaliseriez qu’il souffre d’illusions de grandeur - ou “souffre” n’est probablement pas le bon mot, car il les apprécie. Il n’y a rien d’anti-impérialiste dans cette figure politique, de quelque façon que ce soit.

Nous avons vu certains “anti-impérialistes” prétendre que le mouvement en Biélorussie est composé de fascistes. Il y a des allégations selon lesquelles le drapeau que de nombreux manifestant.es brandissent est associé à l’occupation nazie du pays, par exemple.

Anonyme : La première utilisation documentée du drapeau blanc-rouge-blanc (WRW) remonte au quatorzième siècle. Il est aujourd’hui utilisé comme symbole de l’autodétermination du Belarus, en opposition au drapeau de l’État moderne et à la Biélorussie de Loukachenko, puisque c’est lui qui a ordonné la création de ce qui est actuellement le drapeau officiel du pays.

Je comprends d’où vient l’argument associant le drapeau aux nazis. La situation était très compliquée lors de l’occupation de la Biélorussie par les fascistes allemands pendant la Seconde Guerre mondiale. La Biélorussie était alors fortement opprimée par le gouvernement soviétique, qui tentait de détruire l’identité nationale biélorusse. Par exemple, en 1933, le gouvernement soviétique a imposé une réforme brutale et injustifiée de la langue biélorusse, dans laquelle l’alphabet est passé du latin (un alphabet très similaire à la langue polonaise) au cyrillique. Beaucoup de gens ont connu la répression. Dans ces conditions, alors que l’armée allemande approchait et que le gouvernement soviétique évacuait dans la panique, certain.s ont tenté de créer un soi-disant Conseil central biélorusse. C’étaient des collaborateurs, bien que leurs motivations ne soient pas de soutenir et d’accueillir les nazis allemands, mais de saisir une chance de créer une entité nationale souveraine. Le conseil a existé pendant moins de deux ans. Les personnes qui utilisent le drapeau de la WRW aujourd’hui ne sont souvent même pas au courant de ces événements historiques. Le drapeau de la WRW est un drapeau national qui a été utilisé tout au long de l’histoire pendant les différentes périodes d’oppression par de nombreux révolutionnaires et n’a rien à voir avec les nazis allemands dans l’esprit du peuple biélorusse.

Je ferais un parallèle avec le Kurdistan. Il y a le drapeau d’État de la Syrie et du régime syrien - et il y a le drapeau du Kurdistan. De la même manière, nous avons le drapeau étatique de Loukachenko - qui n’a été utilisé que pendant sa présidence, donc les gens évitent de l’utiliser, surtout dans cette lutte où tout est question de le déposer - et le drapeau national et historique, qui est blanc-rouge-blanc.

Il est certain qu’il y a dans les manifestations des gens aux opinions politiques très diverses. La plupart d’entre eux ne se définissent pas du tout politiquement. Lorsque les mineurs se mettent en grève parce qu’ils ne sont pas d’accord avec le gouvernement corrompu de l’État et l’exploitation dans laquelle leurs patrons sont engagés, essayons-nous de déterminer leur identité politique exacte en tant que communistes, anarchistes ou libéraux ? Essayer de définir cette immense foule de centaines de milliers de personnes qui ont souffert d’humiliation, d’exploitation et d’oppression pendant le dernier quart de siècle me semble ridicule. Pour moi, il y a un fasciste évident : Loukachenko.

Que peuvent faire les anarchistes d’autres régions du monde pour soutenir les camarades de Biélorussie ? Existe-t-il des structures concrètes pour soutenir ceux qui font face à la répression maintenant ? Y a-t-il des points de pression sur lesquels la solidarité internationale pourrait se concentrer ?

Pramen : Faites des actions de solidarité. Beaucoup d’actions de solidarité. Envoyez-nous des photos de vos actions de solidarité. Le soutien de l’extérieur inspire non seulement les cœurs des anarchistes, mais aussi ceux de tous celles et ceux qui vivent dans la rue. Les gens voient qu’ils ne sont pas seuls. Après avoir lu ce texte, allez peindre une banderole très simple, rassemblez vos camarades et prenez une photo. Cela prendra deux heures maximum.

Si vous avez plus de temps et d’énergie, soyez créatif.ves. La Biélorussie est un État capitaliste. Il y a beaucoup d’ambassades et d’autres points qui représentent l’Etat biélorusse. En 2010 en Russie, des anarchistes audacieux ont occupé l’ambassade. Cela peut être une des idées sur la table. Soyez créatif.ves - et grâce à votre créativité, nous saurons que vous êtes honnêtes dans votre solidarité !

Et si vous êtes doué.es pour la technologie, commencez à nous aider à résoudre les problèmes liés à l’internet. En Biélorussie, de nos jours, les gens qui ont de l’argent peuvent accéder à Internet plus facilement que les militant.es de base. Les VPN gratuits et d’autres solutions ne fonctionnent pas et nous avons besoin de beaucoup d’aide à cet égard car le manque d’internet empêche beaucoup d’efforts d’organisation.

Anonyme : Bien que peu réaliste, le meilleur soutien serait de venir et de soutenir en participant directement aux manifestations. Nous avons besoin de personnes courageuses et décisives à nos côtés. Un autre moyen est de partager des expériences et des idées avec nos manifestant.es - nous avons besoin de votre imagination et de votre créativité !

Nous avons également besoin d’un soutien informationnel - beaucoup de gens ne savent pas grand chose sur la Biélorussie et la situation réelle ici. La réalité, la mentalité et la façon de penser sont différentes dans le contexte post-soviétique qui façonne la lutte ici. Très souvent, les gens ne comprennent pas les différences entre la vie politique ici et à l’Ouest.

Enfin et surtout, vous pourriez organiser des manifestations de masse dans vos propres pays. Nous sommes tou.tes connecté.es. Ce dont nous avons besoin avant tout, à tout moment, c’est de la lutte mondiale.

Vous pouvez également nous soutenir par l’intermédiaire de la Croix noire anarchiste biélorusse.

Veuillez énumérer les sites web et les comptes-rendus de médias sociaux que les gens devraient suivre pour obtenir des nouvelles fiables sur les événements au Biélorussie, en particulier dans une perspective anti-autoritaire.

Pramen : Sites web à suivre :

pramen.io - Collectif de médias anarchistes

abc-belarus.org - Croix noire anarchiste de Biélorussie

Les deux incluent l’écriture en anglais ; d’autres collectifs n’écrivent qu’en russe dans les réseaux sociaux. Sur ces sites web, vous trouverez des liens vers les mises à jour des réseaux sociaux. Nous faisons de notre mieux pour tenir les gens au courant !

Quant aux particuliers, vous pouvez suivre @bad_immigrant sur twitter ou chaos.social mastodonte instance. Il tweet en anglais sur la situation en ce moment.

Suivez le hashtag #belarus dans vos réseaux sociaux. Copiez les textes en russe sur https://www.deepl.com/translator et vous obtiendrez également des résultats lisibles.

Faites un don à ABC-Belarus, car plus de 5000 personnes ont déjà été détenues et personne ne sait combien d’autres le seront bientôt.

Et espérons que dans quelques jours, Loukachenko tombera et qu’il y aura une grande fête au cours de laquelle nous nous souviendrons de nos mort.es et célébrerons les vivant.es !

Rendez-vous sur les barricades, camarades !

Anonyme : En ce moment, il y a aussi beaucoup de channels Telegram où les gens postent des vidéos et des photos en temps réel du lieu des manifestations quotidiennes. Ce ne sont pas des espaces anarchistes, mais ils peuvent aider à donner une image générale de ce qui se passe dans les rues en ce moment :

* https://t.me/nexta_live
* https://t.me/belteanews
* https://t.me/belamova

Notes

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