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Colonialisme : Zones antillaises à défendre

Les territoires dits d’outre-mer n’ont de français que la banane et la canne à sucre que les descendants de maîtres esclavagistes produisent et le flot de touristes en quête d’un exotisme façonné de toutes pièces. La monoculture intensive, le trafic aérien et maritime, moteurs de l’économie coloniale et capitaliste y détruisent les terres, les corps et les écosystèmes. L’écologie, pour être salvatrice, doit être décoloniale et anticapitaliste.

Caraïbes |


Cet article de Canoubis a été publié initialement sur le site unioncommunistelibertaire.org

La réalité des Antilles sous domination française conforte de plus en plus de ses habitantes et habitants dans l’idée d’en faire des zones à défendre. Le vivant, humain ou non, y est exploité, sacrifié par la France, les Békés [1] l’Union européenne, les gros investisseurs privés.

Pour l’homme blanc, la destruction des territoires caraïbéens est coutumière. En 1900, 99% de la forêt primaire de Porto Rico avait disparu, au profit de plantations coloniales [2]. Le même phénomène s’observe en Martinique.

Les bananeraies s’y étendent sur des kilomètres, tout comme les champs de canne à sucre qui, aujourd’hui, s’embrasent en raison d’une extrême sécheresse. À ces paysages monolithiques responsables du déboisement et de l’empoisonnement des populations s’ajoutent l’artificialisation des sols et l’érosion due à l’implantation d’établissements hôteliers sur le littoral.

le tourisme dans le viseur

Bien qu’amochée, l’épaisse couverture végétale de la Martinique subsista tant bien que mal jusque dans les années 1950. Mais, le touriste ne pouvant étendre sa serviette sur une plage recouverte d’Ipomoea pes-caprae [3], une liane rampante permettant de stabiliser le sable, nos politiciens ont jugé bon de les arracher pour planter des cocotiers, et de remplacer le sable noir de certaines plages par du sable blanc, entraînant une déstabilisation sédimentaire [4].

Ces décisions ont su satisfaire une clientèle occidentale à même de « dynamiser l’espace » [5] martiniquais, au détriment de ses habitants, de sa faune et de sa flore.

Le secteur du tourisme porte une lourde responsabilité. Sur une superficie de 1100km² vivent 376 480 Martiniquaises et Martiniquais qui, en 2018, ont dû faire face à une déferlante de 1 046 735 « visiteurs », croisiéristes ou séjournant une dizaine de jours, non pas parmi mais à côté de nous, entretenant ainsi l’apartheid racial et l’économie coloniale dans lesquels nous baignons depuis quatre siècles.

Il y a environ 2,8 touristes pour 1 Martiniquais·e, et la potentielle inscription de la montagne-Pelée au patrimoine mondial de l’Unesco risque de faire doubler ce ratio. En 2018, les touristes ont offert 57,3 millions d’euros aux agences de location de voitures, détenues par des Békés, dont le nombre a doublé depuis 2011.

Les embouteillages et la qualité déplorable de l’air font partie du quotidien, les décideurs refusant de mettre en place des services de transports publics performants, préférant préserver les intérêts des concessionnaires automobiles et importateurs békés. Les immatriculations de véhicules neufs ont augmenté de 20,4% en 2018. La pollution générée se cumule avec celle du trafic maritime.

Il y a sept ans que je n’étais pas rentrée chez moi, et l’éden de mon enfance s’est transformée en une aire de jeux, un parc aquatique pour touristes, métropolitains pour la plupart. Les coraux se meurent, les poissons s’effacent, tandis que des corps rougis et des masques de plongée apparaissent par centaines.

Tripadvisor nous invite à y découvrir plages et forêts, mais aussi les endroits emblématiques de l’histoire coloniale. Celle-ci devient une attraction et ma terre natale, une carte postale, avant d’être un joyaux environnemental à préserver de l’oisiveté des uns, de la vénalité des autres. Les locaux finissent, inévitablement, par refuser cette colonisation touristique.

Aux Antilles, lorsque les politiques se soucient de la préservation du littoral, c’est avant tout dans un soucis de rentabilité économique et d’intérêt touristique. On peut se questionner sur une préservation du littoral dont le tourisme, à l’origine de sa destruction, est la seule motivation.

La « protection » capitaliste de l’environnement

Face aux critiques, le secteur du tourisme riposte depuis le début des années 2000, via des concepts bourrés de contradictions. Ainsi l’écotourisme prétendument durable et éthique va souvent de pair avec le tourisme culturel, impliquant tous deux des flux (trop) importants de visiteurs sur des sites naturels, menaçant les biotopes [6].

Et lorsque nos politiques s’enquièrent de la préservation du littoral, c’est avant tout dans un soucis de rentabilité économique : les 55km² de récifs coralliens et les 20km² de mangroves (sur une partie desquels le Groupe Bernard Hayot a implanté un énorme centre commercial) de notre île doivent être préservés car ils génèrent des services dont la valeur annuelle est estimée à 250 millions d’euros [7] ; majoritairement générée par des activités de loisirs. On peut se questionner sur une préservation du littoral dont le tourisme, à l’origine de sa destruction, est la seule motivation.

Une dépendance entretenue

Les Antilles dépendent cependant du trafic maritime, donc de l’Hexagone, car nous ne mangeons pas ce que nous produisons (99% de la production bananière est exportée). Les Békés, maîtres de la grande distribution, vendent des produits de première nécessité à des tarifs usuraires, partiellement justifiés par l’octroi de mer, un impôt colonial sur les produits arrivant de la mer officialisé en 1866.

Nous nous ruinons pour manger car nous vivons sur une île, tandis que les intrants chimiques peuvent être exonérés d’octroi de mer par les pouvoirs locaux, pour les grands planteurs [8]. Nos terres sont polluées ad vitam aeternam par le chlordécone, et plus de 92% des Martiniquaises et Martiniquais, des Guadeloupéennes et Guadeloupéens sont contaminé·es. En 2018, les importations d’« engrais » ont crû de 13,2%, du fait de la filière bananière, affirmant pourtant se convertir à l’agriculture durable.

Le tourisme de masse et l’agriculture coloniale font « vivre » la Martinique bien qu’ils la dévastent. Les Antilles sous domination française doivent s’arroger leur autonomie. Nous devons tendre vers l’indépendance alimentaire pour nous départir du joug de la France.

Il n’y aura pas d’écologie aux Antilles tant que les vols d’agrément de masse, les croisières et l’import-export intensifs perdureront ; que les Antillaises et Antillais ne seront pas en charge de la défense de l’environnement, et donc de la destruction du système capitaliste, de la corruption, et du copinage qui l’entretiennent. L’écologie doit être décoloniale et anticapitaliste, sans quoi, elle n’existera pas.

Canoubis (militante anticolonialiste, écologiste et féministe de Martinique)



[1] Aux Antilles françaises, un Béké est un habitant créole à la peau blanche de la Martinique et de la Guadeloupe descendant des premiers colons européens.

[2] Romain Cruse, Une géographie populaire de la Caraïbe, Mémoire encrier, 2014.

[3] Nommée patate à Durand à la Réunion, patate-bord de mer aux Antilles.

[4] Saffache, 1999.

[5] Laetitia Dupuis, « L’érosion des anses de la ville de Schoelcher : détermination des dynamiques et processus en jeu. Milieux et changements globaux », mémoire de recherche de l’université des Antilles, 2016.

[6] Milieu biologique hébergeant un ensemble de formes de vie composant la biocénose : flore, faune, fonge, et des populations de micro-organismes.

[7] Coral Reef Conservation, programme pour l’Ifrecor.

[8] Avis de l’Autorité de la concurrence n° 19-A-12 du 4 juillet 2019 concernant le fonctionne-ment de la concurrence en Outre-Mer.

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