Ma réponse au racisme est la colère. J’ai vécu avec cette colère, en l’ignorant, en m’en nourrissant, en apprenant à m’en servir avant qu’elle ne détruise mes idéaux, et ce, la plus grande partie de ma vie. Autrefois, je faisais tout cela en silence, effrayée par le poids d’un tel fardeau. Ma peur de la colère ne m’a rien appris. Votre peur de cette colère ne vous apprendra rien, à vous non plus.
(Audre Lorde, "De l’usage de la colère : la réponse des femmes au racisme“. Titre original "The Uses of Anger. Women Responding to Racism”)
Dans de nombreux endroits cette année, les marches féministes du 8 mars ont été fortement réprimées : Zurich, Barcelone, Mexico. Néanmoins, dans le monde entier, la signification historique et revendicative de cette journée a donné lieu à des marches déterminées, des actions perturbatrices, des tags sur les murs, des barrages routiers, des manifestations nocturnes, des flash mobs et bien d’autres choses encore. Les pratiques de revendications féministes et antiracistes inclusives deviennent de plus en plus un élément de rupture et de déconstruction du système hétéropatriarcal, masculin et blanc.
A Lugano, lundi 8 mars, en tant que CSOA Molino nous avons appelé à un cortège autodéterminé et rebelle contre le patriarcat, le racisme et l’islamophobie ! Car - nous le rappelons - c’est précisément dans le patriarcat que nous identifions les racines historiques et structurelles de l’oppression et de toutes les formes de discrimination et de racisme. Une manifestation appelée "8 mars", également pour ramener d’autres contenus que ceux qui l’ont transformé en un jour de fête vide et de célébrations annexes du système capitaliste.
Un cortège, également organisé en prévision du vote du dimanche 7 mars, concernant la dissimulation du visage. Comme toujours, nous ne souhaitons pas entrer dans la logique institutionnelle et la farce du vote, mais il nous a semblé essentiel de visibiliser notre opposition. Car - pour celleux qui ne se souviennent pas ou ne veulent pas se souvenir quand on parle en vain de "démocratie" - ce sont les lois racistes (dont la loi "anti-burqa" pourrait être une version moderne), le fascisme et le nazisme qui naissent dans les parlements démocratiques et dans le vide conceptuel et instrumental de la légalité. Mais si une loi est injuste, elle est contestée. Et nous sommes convaincuExs que les lois racistes, patriarcales et discriminatoires doivent être contestées comme nous le voulons, où nous le voulons et de n’importe quelle manière !
Celle de lundi a été une non-manifestation participée et pleine d’interventions. Un moment de rue a commencé avec des interventions, des slogans et des contenus clairs. Nous avons parlé de féminicides, de doubles peines pour les femmes migrantes, des effets de l’hétéropatriarcat sous nos latitudes, des lois racistes, du traumatisme de l’isolement carcéral, des expériences d’autodéfense des femmes kurdes au Rojava et des féminismes communautaires dans le monde. On a parlé de contrôle et de sécurité, d’autodéfense et de rébellion. Une centaine de personnes ont traversé la non-manifestation, bloquée dans la gare : des enfants traversant le Molino, des personnes de la communauté kurde et de diverses autres communautés, cultures et milieux, des représentants de collectifs de solidarité avec les migrantExs, de jeunes étudiantExs.
Si l'idée était celle d'un cortège masqué, communicatif et déterminé qui devait traverser l'une des villes les plus contrôlées et gardées de Suisse, sa réalisation - étant donné le dispositif répressif massif mis en place par les autorités - a été rendue impossible. Un déploiement de policiers en tenue anti-émeute, prévisible et provocateur, a accueilli et encerclé dès le début, dans une situation de nervosité et d'incertitude, les militantExs et les participantExs solidaires.
Si l’idée était celle d’un cortège masqué, communicatif et déterminé qui devait traverser l’une des villes les plus contrôlées et gardées de Suisse, sa réalisation - étant donné le dispositif répressif massif mis en place par les autorités - a été rendue impossible. Un déploiement de policiers en tenue anti-émeute, prévisible et provocateur, a accueilli et encerclé dès le début, dans une situation de nervosité et d’incertitude, les militantExs et les participantExs solidaires.
L’intention était immédiatement claire et le dispositif un avertissement limpide : aujourd’hui, aucune manifestation - par ordre clair de la mairie - ne doit avoir lieu dans les rues de Lugano. Et le degré de réaction des personnes présentes n’a que peu d’importance : personne ne devait sortir indemne de cette nasse. Qu’il s’agisse d’un contrôle d’identité, d’une fouille, d’une provocation, l’appareil répressif a continué jusqu’à arriver à l’énième prétexte pour mettre en péril l’expérience d’autogestion du Centre Social.
Dans ce contexte, et après plus d’une heure de blocage, la tentative de se diriger vers le seul espace laissé libre par le dispositif (environ 70 agentExs en tenue anti-émeute !), n’était rien d’autre que la volonté de reprendre notre souffle et de tenter de porter dans les rues de la ville les revendications du 8 mars. Les 5 pas nécessaires pour avancer vers le cordon policier, juste pour sortir de la nasse, ont été définis - par les flics et les médias - comme une charge des manifestantEXs. Avec pour résultat des coups de matraque, du spray au poivre et divers coups de pied.
Le 8 mars, à Lugano - la ville où, il y a quelques années, le maire de la Ligue italienne, Marco Borradori, recevait en souriant l’hommage floral de l’homme d’affaires sexiste et macho Philippe Plein - plusieurs femmes ont été battues, touchées, poussées, repoussées, insultées, aspergées, menottées par des policiers homme-cis. Et une jeune fille arrêtée s’est même vu arracher son hijab !
Jusqu’à la farce finale : les 40 dernières personnes ont été encerclées par 50 flics en tenue anti-émeute. La police, matraque à la main - après que nous ayons refusé l’ordre “de sortir un par un, pièce d’identité à la main et mains sur la tête” (sic !) - dans un tourbillon de violence gratuite et vindicative, s’active avec diverses saisies éclair pour nous prendre un par un, lourdement matraqués, frappés, assommés et menottés. Avec tout le corollaire d’insultes dénigrantes, de mains dans le nez et de coups de pied bien placés tout en étant écraséExs au sol, le visage forcé contre l’asphalte, par de multiples agentExs.
Nous ne sommes certainement pas surprisExs par le traitement de l’appareil répressif de l’État, dont nous savons en fait qu’il est fondé sur le contrôle et la violence. Tout comme nous ne sommes pas surprisExs par l’énième représentation dramatique mise en scène contre le Molino à la veille de chaque campagne électorale. Toutes ces scènes, déjà vues en 2012, 2016 et 2020, sont prises comme excuses pour salir le Molino. Une fois les élections terminées, silence absolu : tant que l’on reste enferméExs dans les murs de l’ancien abattoir, sans déranger la ville vitrine, tout se passe bien...
Il est cependant toujours amusant, lorsque l’on vit certains fait en tant que protagonistes, de lire et d’écouter les récits, les opinions et les analyses superficielles des journalistes et des politicienNexs de tous les partis. Une comédie plutôt tragique, étant donné la pauvreté des arguments avancés. Et il bien que les bars et restaurants soient fermés et les apéros proscrits, les discours entendus ressemblent de plus en plus à des bavardages du classique "Bar des Sports” du coin, plutôt qu’à des prises de position de celleux qui se vantent de promouvoir des versions impartiales, comme les journalistes, ou par celleux qui, en bon politicienNex, utilisent leur autorité pour cracher des jugements en vain.
Les doigts anxieux, nerveux et tambourinant sur la table de Teleticino, pendant l’émission propagandiste "Matrioska, de l’obersturmbannsführer Norman Gobbi, ne laissent donc pas trop de doutes : à l’intérieur des institutions la nervosité est latente et le désir d’y aller fort semble établi.
"Falta lo que falta”(il faut ce qu’il faut), disaient les ancienNexs. En 2021, cela fera 25 ans que l’expulsion violente de la fête du printemps dans le parc Tassino a conduit à l’occupation des moulins Bernasconi. Ce sera également le 150e anniversaire de la Commune de Paris. Aujourd’hui plus que jamais, avec l’aggravation de l’obscurité, avec les dangereux retours de l’histoire et avec un avenir dont les possibilités libératrices seront de plus en plus réduites, il est nécessaire de s’inspirer et de reprendre ces expériences révolutionnaires, véritablement émancipatrices et de rupture visant à la création d’autres mondes possibles.
Avec détermination, complicité et beaucoup d’amour. Mais - si nécessaire - aussi avec des pierres et des bâtons. On se voit dans la rue. Nous sommes là et nous restons là.
L’assemblée du CSOA il Molino