C’est par un tunnel creusé à la petite cuiller sous leur évier que six prisonniers palestiniens se sont évadés pendant la nuit de la prison israélienne Gilboa, le six septembre dernier. Si le trou laissé par leur passage ne paraît faire que quelques centimètres, le coup porté à la prétendue inviolabilité des prisons de haute sécurité israélienne est, lui, bien plus important. Construite en 2004 pour y emprisonner les Palestiniens arrêtés lors de et après la seconde Intifada, Gilboa est en effet sensée être une prison de haute sécurité où les prisonniers sont sous surveillance constante, rendant impossible toute tentative d’évasion – si bien qu‘un responsable de l’administration pénitentiaire israélienne a déclaré que cette évasion représentait « [un] échec majeur en matière de sécurité et de renseignement » et que la justice israélienne a pour le moment émis une ordonnance de non-publication des détails de l’enquête.
...un responsable de l’administration pénitentiaire israélienne a déclaré que cette évasion représentait « [un] échec majeur en matière de sécurité et de renseignement »...
Parmi les six évadés, quatre sont condamnés à perpétuité. Mahmoud Abdullah Ardah, Mohammed Qassem Aardah, Yaqoub Mahmoud Qadri et Ayham Nayef Kamamji étaient jusqu’alors emprisonnés car ils étaient accusés d’appartenir au Jihad islamique, de même pour Munadil Yaqoub Infaat, alors que Zakaria Zubeidi ferait partie des Brigades des martyrs d’al-Aqsa, bras armé du Fatah.
La chasse à l’homme est maintenant lancée. Des hélicoptères et des drônes survolent les zones adjacentes à la prison à la recherche des évadés, des barrages routiers ont été mis en place, et des chiens policiers sont actuellement utilisés pour tenter de mettre la main sur les six hommes avant qu’ils n’atteignent la ville de Jénine, reconnue comme particulièrement révolutionnaire et ville d’origine de la plupart des évadés – Jénine dont les habitants seraient susceptibles d’aider les prisonniers et qui est maintenant encerclée par les forces armées israéliennes.
Alors que les évadés sont activement recherchés, la répression s’abat déjà sur leurs proches. Plusieurs membres de la famille des prisonniers ont ainsi été arrêtés pour être interrogés, selon les autorités israéliennes.
Alors que les évadés sont activement recherchés, la répression s’abat déjà sur leurs proches. Plusieurs membres de la famille des prisonniers ont ainsi été arrêtés pour être interrogés, selon les autorités israéliennes. Comme annoncé dans un communiqué du Club des prisonniers palestiniens, deux des frères de Mahmoud Aardah ont par exemple été arrêtés. De même, le père de Munadil Infeiat a été interpellé, toujours selon le Club des prisonniers palestiniens. Pour l’heure, les villages d’Arraba,Barta’a, Yaabad, um Dar et Dahr el Abd sont pris d’assaut et fouillés par l’armée israélienne.
A Jenine, en Cisjordanie, les habitants sont descendus dans la rue célébrer l’évasion des prisonniers politiques.
Tandis que l’inquiétude commence à gagner les autorités israéliennes, l’atmosphère dans de nombreux villages palestiniens est tout autre. A Jenine, en Cisjordanie, les habitants sont descendus dans la rue célébrer l’évasion des prisonniers politiques. Des chants et de cris de victoire ont ainsi retenti, et dans de nombreuses bouches palestiniennes, les noms des évadés est désormais synonyme de « héros ». Le porte-parole du mouvement Hamas, Fawzi Barhoum, ainsi que le Premier ministre de l’Autorité Palestinienne, Mohammad Shtayyeh, ont de leur côté salué l’évasion comme un moyen légitime pour ces prisonniers politiques de retrouver leur liberté.
Pour autant, la répression n’est jamais loin, et les habitants des villes palestiniennes craignent d’ores et déjà pour la vie des prisonniers ainsi que pour leur propre sécurité, en raison des mesures punitives qui pourraient être prises à l’encontre des Palestiniens en raison de l’évasion. En particulier, Jénine et son camp pourraient être la cible d’attaques, en raison des armes et de l’unité révolutionnaire qu’on y trouve – bien que les autorités israéliennes pourraient être frileuses devant la possibilité de survenues d’émeutes et de rébellion dans les prisons ainsi que dans les villages palestiniens et en Israël.
Au mépris du droit international, Israël utilise en effet la détention comme un outil à part entière de sa lutte contre la résistance palestinienne à l’occupation, et n’hésite pas à marchander la libération des prisonniers.
Cette évasion, qualifiée de « rocambolesque » et « digne d’un scénario hollywoodien » par certains médias occidentaux, permet de mettre en lumière les conditions de détention des prisonniers politiques palestiniens qui croupissent dans les prisons israéliennes depuis plusieurs décennies. Au mépris du droit international, Israël utilise en effet la détention comme un outil à part entière de sa lutte contre la résistance palestinienne à l’occupation, et n’hésite pas à marchander la libération des prisonniers. Au-delà des mauvais traitements et des conditions sanitaires déplorables subis par les prisonniers palestiniens, ceux-ci sont particulièrement vulnérables lorsque des évasions ont lieu. Interrogé par l’Agence média Palestine, Majd Kayyal, journaliste à Haifa, explique que les stratégies punitives israéliennes sont diverses : les prisonniers palestiniens peuvent être transférés très régulièrement dans d’autres centres pénitentiaires, afin de leur faire perdre les habitudes qu’ils avaient pu prendre et les liens sociaux qu’ils avaient pu créer. Les autorités israéliennes n’hésitent pas non plus à instrumentaliser les différents stratégiques et tactiques entre les différents groupes de lutte armée, cela afin de diviser les prisonniers. Plusieurs groupes de défense en faveur des droits des Palestiniens, notamment le Club des prisonniers palestiniens, ont interpellé les instances internationales sur la nécessité de protéger les prisonniers d’éventuelles mesures punitives qui contreviendraient au droit international. Le Club des prisonniers palestiniens a d’ores et déjà pointé du doigt le transfert des prisonniers de la section 2 de Gilboa comme étant une mesure de punition collective, en soulignant que ces mesures ne sont « pas une exception, mais plutôt une extension de l’ensemble des politiques imposées par l’administration pénitentiaire d’occupation » – politiques durcies depuis plusieurs années, notamment concernant la nourriture, l’eau, le mouvement des prisonniers, les visites des familles, et l’accès à l’éducation. Ces mesures répressives viennent s’ajouter aux multiples oppressions que subissent les Palestiniens au quotidien et illustrent parfaitement une réalité de plus en plus reconnue à l’international et parmi les organisations non gouvernementales : la politique de répression coloniale menée par Israël à l’encontre des Palestiniennes et des Palestiniens.