Le 17 juin 2023, une manifestation de 5000 personnes contre le projet de la ligne à grande vitesse Lyon-Turin s’est tenue dans la vallée de la Maurienne, organisée notamment par des collectifs locaux, les Soulèvements de la Terre et le mouvement No TAV. Ce texte a pour but de revenir sur les événements de la manifestation du 17 juin, et plus largement sur la tactique du bloc offensif en milieu rural. Un bloc qui a caractérisé plusieurs manifestations des Soulèvements de la Terre dans une séquence débutée il y a deux ans. L’idée est de partir de ce que nous avons vu ce jour-là dans le bloc de tête, auquel nous avons participé mais dont la pertinence tactique nous a questionné.e.x.s, pour entamer une analyse et une critique plus générale de ce mode d’action en milieu rural. Nous ne nous prononcerons pas sur sa déclinaison urbaine, dont les tactiques et stratégies propres mériteraient un texte à elles seules.
Notre point de vue est celui de camarades autonomes qui se sont organisé.e.x.s sur diverses manifestations des Soulèvements de la Terre dans l’optique d’assumer la confrontation avec les flics si elle survenait. Nos témoignages et nos analyses sont évidemment partiels et partiales et nous ne pensons pas avoir toujours eu l’ensemble des informations pour juger au mieux chaque situation. Mais suite aux événements du 17 juin, il nous semblait nécessaire et urgent de partager nos opinions pour continuer une réflexion collective sur nos modes d’action, déjà entamée avec quelques textes de camarades après l’échec tactique et le carnage de la prise de la bassine de Sainte-Soline en mars dernier.
Les questionnements et critiques suivantes ne se veulent pas moralisatrices. Nous nous interrogeons sur les tactiques et stratégies employées par le bloc de tête et pas les individus qui le composent. Nous ne nous adressons pas à des comportements individuels mais à nos modes d’organisations et à nos dynamiques collectives. Le bloc de tête offensif a plus besoin que jamais d’une auto-critique de fond.
Avec ce texte, nous ne souhaitons pas critiquer l’organisation globale du week-end de lutte du 17 et 18 juin. Nous sommes conscient.e.x.s que les organisateur.ice.x.s du week-end ont fait leur maximum pour que ce week-end historique ait lieu et qu’iels ont dû faire face à de nombreux obstacles (à commencer par l’interdiction de manifester en Haute-Maurienne) qui ont compliqué la tâche de tout le monde. Malgré tout, iels ont pu maintenir une manifestation qui fera date, et qui a sans le moindre doute fait avancer la lutte contre ce méga-projet destructeur.
Retour sur les événements du 17 juin
Le samedi 17 juin, en début d’après-midi, une grande manifestation populaire s’élance depuis le campement installé spécialement pour le week-end de lutte dans le bas de la vallée de la Maurienne. Plusieurs milliers de personnes sont au rendez-vous et empruntent tranquillement la route départementale à la sortie du camp. Après 2 km de marche, la manif est bloquée par les flics et s’arrête à 300 mètres de l’autoroute. La configuration de l’espace n’est pas du tout à notre avantage : nous sommes sur un bord de vallée encaissé, coinçé.e.x.s entre une voie de chemin de fer, une rivière, un pont et l’autoroute. Les flics empêchent tous les chemins qui s’offrent à nous, excepté celui pour faire demi-tour.
Nous patientons d’abord pendant une heure sous un soleil de plomb, le temps que des élu.e.x.s locaux.ales.x tentent de négocier le passage ou un parcours alternatif. En attendant, un bloc de tête de quelques centaines de personnes se forme à l’avant du cortège, avec trois ou quatre banderoles mal renforcées. Les négociations ne donnant rien, une banderole pacifiste s’avance pour essayer de forcer le passage sans user de la force. Le bloc et le cortège la suivent de près. Bien sûr, la banderole pacifiste ne passe pas, mais arrivé.e.x.s face aux flics l’hésitation est palpable au sein du bloc. Quelques cailloux fusent en direction des flics et les banderoles se tâtent à avancer. Finalement, une timide tentative du bloc de s’approcher des positions des flics est repoussée à coups de lacrymo et de quelques tirs de LBD. Après quelques minutes, l’avant de la manif est éclaté et le bloc se divise en trois. La manif recule et s’installe sur la départementale.
Mais l’affrontement est lancé et va durer plus d’une heure, mené par un bloc de tête entêté qui refusera d’abandonner une situation impossible à dépasser. Jamais le combat avec les flics ne va s’éloigner d’un schéma de guerre de tranchées. Des barricades vont être montées sur la départementale et les deux petites routes adjacentes, face à des flics alignés en rangs serrés entre leurs fourgons. Les affrontements seront très éclatés, avec beaucoup de pauses et peu de combativité de notre part. Avant la manif, les infos que nous avions eues nous avaient préparé.e.x.s à une manif plutôt tranquille et à un mode défensif pour le bloc. Et cela s’est très bien vu dans notre préparation matérielle : nous n’avions rien pour mener une offensive face à des flics surarmés bloquant des positions larges comme des routes. Les quelques tirs de mortiers étaient trop peu nombreux et inutiles. Même au sein du bloc, beaucoup de monde n’était pas bien préparé pour faire face aux lacrymos. Mais ce qui est le plus affligeant, c’est que nous n’avions aucun but stratégique. Dans sa disposition, l’affrontement n’aurait mené à rien si nous étions parvenu.e.x.s à dépasser les lignes de flics : nous serions arrivé.e.x.s sur la suite de la nationale et de l’autoroute. Mais, sans but stratégique, qu’aurions-nous organisé ensuite précisément ?
En face, comme d’habitude, la répression physique a été terrible. Après les lacrymos et les LBD, c’est avec des grenades GM2L que les flics ont répliqué. Une grenade assourdissante a explosé à hauteur de tête d’un camarade, qui a eu énormément de chance malgré des séquelles physiques et psychologiques irréparables. Une fois de plus, c’étaient des armes de guerre létales face à des cailloux et de la peinture. Une fois de plus, nous avons dénombré beaucoup trop de blessé.e.x.s dans nos rangs, avec plus de 50 camarades atteint.e.x.s, dont deux pronostics fonctionnels engagés. Notons que les flics ont aussi utilisé leur nouvelle arme fétiche, comme lors des deux dernières manifs à Sainte-Soline, cette sorte de fusil paintball qui marque les habits et la peau pendant plusieurs semaines, outil qui sert à repérer des individus lors de contrôles post-manifs.
La répression ne s’est pas limitée aux affrontements sur le terrain. Les flics ont procédé à de multiples contrôles et confiscations de matériel défensif en amont du rassemblement : des cars italiens ont été bloqués à la frontière, 107 interdictions de territoire ont été prononcées contre nos camarades italien.ne.x.s et une interdiction de manifester à été ordonnée autour du chantier principal en Haute-Maurienne. Nous avons appris plus tard que 2000 flics avaient été mobilisés tout le long du week-end. L’arsenal répressif était gigantesque et a eu raison du bloc de tête.
Le prix lourd payé avec tou.x.te.s nos camarades blessé.e.x.s et la sensation que nous aurions pu l'éviter laissent un goût amer
La journée du 17 juin restera donc comme un échec tactique total pour le bloc de tête. Il a persisté, s’est entêté dans un affrontement frontal avec les keufs alors même qu’il était objectivement incapable d’avancer de cette manière. Le prix lourd payé avec tou.x.te.s nos camarades blessé.e.x.s et la sensation que nous aurions pu l’éviter laissent un goût amer. Le seum ne vient pas que de la victoire des flics, mais surtout de l’impression d’avoir fait les mauvais choix qui ont conditionné notre impuissance. La question de l’échec ne peut donc pas être uniquement renvoyée à nos ennemis, même s’ils ont joué un rôle important dans celui-ci.
L’auto-critique est alors indispensable. Mais précisons tout de suite : nous ne pensons pas que le bloc offensif en manif rurale est une tactique à abandonner car elle aurait fait son temps ou qu’elle n’a jamais servi à rien. Mais nous affirmons qu’elle ne sert pas toujours ou parfois à un prix trop élevé pour des résultats trop faibles, et que si nous estimons collectivement qu’elle peut encore être utile (ce avec quoi nous sommes d’accord), elle doit absolument se réinventer et évoluer, si nous ne souhaitons pas sa fin faute d’efficacité. Il faut donc un questionnement urgent de nos pratiques, avant de perde trop de batailles pour reprendre la lutte.
Retour sur la séquence Mauzé-Maurienne des Soulèvements de la Terre
Pour comprendre l’échec du 17 juin, une analyse de la récente séquence de montée en puissance des Soulèvements de la Terre nous semble utile. En ce qui concerne la tactique du bloc offensif pendant des manifs rurales, l’enchaînement de plusieurs mobilisations pendant lesquelles elle a été utilisée permet de comprendre comment nous en sommes arrivé.e.x.s à l’enlisement actuel.
La lutte contre les bassines de l’agro-industrie dans le département des Deux-Sèvres nous semble jouer un rôle important dans le développement et la maturation de la tactique du bloc en milieu rural. Il y a d’abord eu plusieurs manifs anti-bassines en automne 2021 (auxquelles nous n’avons pas participé), dont celle du 6 novembre qui a vu l’une des bassines de Mauzé-sur-le-Mignon être prise d’assaut par des centaines de manifestant.e.x.s. Les flics étaient assez peu nombreux pour défendre cette bassine, pas très bien préparés et ont essayé de bloquer la manif sur son trajet. Ils se sont fait complètement déborder et se sont retrouvés en sous-effectif devant la bassine prise pour cible. Nous ne savons pas si un bloc s’est constitué pendant la manif, mais ce qui est sûr c’est que l’ensemble des manifestant.e.x.s ont montré une belle détermination à passer et que le débordement du dispositif policier semblait être assez facile.
Puis, il y a eu cette première manif à Sainte-Soline en octobre 2022. Il y avait beaucoup de flics (1700) bien préparés, mais aussi plus de 7000 personnes qui ont répondu à l’appel à manifester. Face à la (mauvaise) stratégie des flics de vouloir nous bloquer dès la sortie du campement, une grande inventivité tactique était au rendez-vous : la manif a été séparée en trois cortèges avec des déterminations différentes, mais dont aucun de souhaitait faire demi-tour. Dans le cortège rouge, qui était le plus prêt à soutenir un affrontement violent avec les flics, beaucoup de monde (plusieurs centaines) s’était organisé pour ça et la tactique du bloc offensif a été un succès. Le cortège a été très mobile, capable de contourner les camions de flics tout en contenant et repoussant les lignes de CRS. Il a finalement envahi la bassine au pas de course, avant de se faire repousser et de rejoindre les autres cortèges devant le chantier. La fin de la manif a vu des formes d’affrontements (peu mobiles, en face à face) qui annonçaient ce qu’on allait voir au même endroit quelques mois plus tard. Il y a malgré tout, pour un simple trou de terre, eu une cinquantaine de blessé.e.x.s chez les camarades. Les banderoles renforcées, les cailloux à l’infini, les mortiers et les molotovs ont joué un rôle certain dans la prise de la bassine, mais plus que tout c’est la mobilité très grande malgré le nombre (nous avons presque toujours couru) et la solidarité de tou.x.te.s les manifestant.e.x.s qui ont fait la réussite de cette journée. Chercher à vouloir arrêter des milliers de manifestant.e.x.s, tou.x.te.s motivé.e.x.s, capables de s’étaler et se déployer sur des centaines de mètres dans des champs plats, à perte de vue et pleins de cailloux, était un choix complètement idiot. Avec les grilles du chantier enfoncées et l’arrêt des travaux pendant deux semaines, la préfète des Deux-Sèvres et son maintien de l’ordre complètement inadapté ont été fumés et humiliés.
Ensuite, il y a eu a la manif historique du 25 mars 2023 à Sainte-Soline, qui a fait couler beaucoup d’encre et dont les conséquences (des poursuites judiciaires à l’accélération de la dissolution) ne sont pas encore terminées. Le dispositif policier était gigantesque (plus de 3000 flics), et le nombre de manifestant.e.x.s (30’000) a dépassé toutes les attentes des organisateur.ice.x.s. Mais le grand nombre de personnes motivées à aller à l’affrontement avec les flics et une préparation matérielle importante n’ont rien changé face à la nouvelle stratégie des flics. Ils se sont regroupés autour de la seule bassine visée, formant une véritable forteresse, et étaient sur-armés (quads, canons à eau, véhicules blindés, etc.). Ils se sont adaptés à leurs échecs passés et ont sagement attendu que la manif vienne à eux, engageant une bataille de tranchées qu’ils étaient sûrs de gagner. La journée leur a donné raison, puisque le bloc offensif a été incapable de passer les lignes de fourgons et de CRS, malgré sa détermination. L’affrontement a duré moins de deux heures, mais était extrêmement violent et plus de 200 blessé.e.x.s ont été dénombré.e.x.s de notre côté, dont deux pronostics vitaux engagés. Cette journée restera comme une journée mémorable du carnage des violences policières françaises pendant une manifestation.
Suite à ça, plusieurs camarades (dont les Soulèvements de la Terre) ont écrit des textes d’auto-critique de cette journée, dans l’idée d’assumer notre part de responsabilité et d’en tirer toutes les leçons nécessaires [1] [2] [3] [4] [5]. Autant les flics (pour leur marketing démocratique) que les manifestant.e.x.s n’ont pas voulu reproduire un scénario d’affrontement aussi violent pendant les mobilisations des Soulèvements de la Terre qui ont eu lieu ce printemps (auxquelles nous ne sommes pas allé.e.x.s). Pour celleux qui en doutaient, les Soulèvements de la Terre ont montré publiquement qu’iels étaient bien plus que de simples affrontements entre black blocs et militaires, capables de mobiliser largement et d’organiser des actions directes sans entrer sur le terrain de batailles classiques avec les forces de l’ordre.
Et enfin, il y a eu la manif en Maurienne le 17 juin dernier, qui s’est différenciée des dernières mobilisations des Soulèvements. Le scénario a été le même que celui à Sainte-Soline en mars, mais à une échelle plus petite et sur un terrain extrêmement défavorable.
Où allons-nous ?
Cette disposition répétée du bloc offensif allant à l’affrontement avec la police, manquant de tactique, de but, de sens, de coordination et de nouveauté est d’autant plus rageante après les événements de Sainte-Soline. Quand bien même des auto-critiques et des critiques ont émergé de nos milieux après le choc émotionnel et physique du 25 mars, tout se déroule comme si nous n’avions rien appris de nos fautes. Que s’est-il donc passé ce 17 juin ? Une de nos hypothèses est que les mobilisations de 2021 et 2022 dans les Deux-Sèvres, et particulièrement la première manif à Sainte-Soline, nous ont gonflé.e.x.s à bloc, au point de nous faire oublier le 25 mars. Et au point de nous faire considérer le bloc offensif comme une tactique efficace dans sa forme elle-même.
Les mobilisations de 2021 et 2022 dans les Deux-Sèvres, et particulièrement la première manif à Sainte-Soline, nous ont gonflé.e.x.s à bloc, au point de nous faire oublier le 25 mars
En Maurienne, nous avions totalement conscience que nous n’allions pas parvenir à dépasser les barrages de flics. Il est normal et tactiquement logique d’avoir essayé de forcer le passage, ne connaissant ni les forces en face, ni de notre côté. Mais, dès les premiers tirs de grenades, pourquoi persister dans un affrontement inutile et non-préparé ? Pour jouer à l’affrontement, aux batailles médiévales, quitte à les contenir dans leur aspect esthétique ? Pour confirmer le mythe masculiniste de l’affrontement ? Où tout ça nous mène-t-il, stratégiquement parlant ? Et qu’est-ce que ça reflète de notre perception de notre action politique ? Ressentons-nous le sentiment de gagner en légitimité si nous performons une militance de l’affrontement ? Et que considérons-nous comme une victoire politique ?
Beaucoup de questions doivent être posées. Nous n’en mettons que quelques unes. Au-delà de l’analyse de fond que nous devons débuter, nous ne pouvons pas nous permettre d’enchaîner des échecs aussi lourds en conséquences et d’aborder les enjeux tactiques, stratégiques et politiques sans le recul et le sérieux que nous impose le contexte répressif. Nous savons que chacune de nos actions et mobilisations ont des enjeux politiques forts, et nous devons nous organiser à la hauteur de ceux-ci. Dans cette logique, nous devons questionner nos modes d’organisations, notre manière de nous structurer, de communiquer, quel matériel nous utilisons et notre dynamique collective. Les questions que nous posons peuvent aussi constituer un début d’analyse de fond sur nos attitudes militantes personnelles et collectives, sachant que l’une influence l’autre.
Mais, dès les premiers tirs de grenades, pourquoi persister dans un affrontement inutile et non-préparé ? Où tout ça nous mène-t-il, stratégiquement parlant ?
Nous avons une haine légitime contre ce système capitaliste pourri et contre ces flics qui mutilent et tuent, et nous ne supportons plus de voir le monde et nos liens sociaux se faire détruire. En tant que militant.e.x.s, nous devons utiliser cette rage et cet amour du vivant pour esquisser de nouveaux chemins révolutionnaires qui nous mèneront vers des victoires politiques.
Propositions tactiques
Essayons donc d’imaginer quelques propositions tactiques pour tenter de réinventer le bloc offensif en milieu rural. Nous savons que ces propositions ne feront pas l’unanimité ou qu’elles ne seront pas toujours applicables à toutes les situations. Néanmoins, plusieurs d’entre elles ont déjà été mises en oeuvre dans certaines circonstances et à des degrés variés. Nous plaidons pour leur systématisation, à chaque fois que c’est possible, car il faut absolument tenter autre chose. Ces propositions sont donc à expérimenter pour en évaluer la pertinence. Mais elles sont aussi des premières idées pour nourrir un débat sur nos manières de faire et de gagner.
1) Avoir des objectifs clairs et impactants
La seule chose que nous reprochons à l’organisation de la manif du 17 juin, c’est le manque d’objectif donné (publiquement) à la manif, qui s’est organisée à la dernière minute. Nous sommes parti.e.x.s sans savoir quel objectif concret nous visions (chantier, autoroute, etc.) et ce que nous cherchions à y faire. Face aux flics, nous utilisons notre haine légitime pour faire bloc mais, nous luttons mieux quand nous savons précisément pourquoi, contre quoi et quand elle s’inscrit dans une stratégie précise. Risquer sa vie pour un trou en terre vide et un gain symbolique faible comparé aux risques encourus, comme à Sainte-Soline, est une chose qui nous semble maintenant insensée.
2) Etre mobiles et imprévisibles
La mobilité du bloc et de la manif est ce qui a fait le succès de la première mobilisation de Sainte-Soline. Tout comme la surprise de séparer la manif en trois cortèges pour déborder les flics de tous les côtés. Mobilité et imprévisibilité sont les clefs du succès. Nous savons qu’un CRS n’est pas fait pour bouger et courir, mais pour tenir une position. Pour être rapides, la BRAV-M ou les baceux sont mobilisés en ville, mais pour l’instant ils n’y a pas de version campagnarde de ces deux groupes. Nous avons toujours l’avantage et l’initiative du mouvement. Le 17 juin, en fin de manif, plusieurs dizaines de personnes ont traversé la rivière et sont allées bloquer l’autoroute pendant un petit moment, avant de se faire dégager par les flics. Cette initiative était très efficace et a semblé débloquer la manifestation et atteindre quelque chose d’utile. Nous aurions voulu la voir se concrétiser bien plus tôt, mais sans aucun moyen de communication efficace il était impossible de diriger la manifestation vers cette voie.
3) Savoir s’adapter
Ce que nous n’avons vraiment pas su faire, ni à Sainte-Soline, ni en Maurienne, c’est s’adapter à une situation inattendue et défavorable. Nous avons systématiquement réalisé un schéma connu mais inefficace dans ce contexte : un face à face combatif avec les flics. Nous formulons donc ici peut-être la proposition la plus importante, qui conditionne toutes les autres : être capable, dans le bloc, d’avoir une prise de décision rapide qui permette de s’adapter à ce que nous avons en face de nous. Cet outil nécessite une sérieuse coordination entre un grand nombre de groupes affinitaires et un processus de prise de décision défini à l’avance collectivement. Cette coordination nécessite de se voir en amont de la manif, pour se reconnaître, échanger sur les motivations, partager le matériel à disposition et les idées tactiques, imaginer différents scénarios, etc. Pendant la manifestation, la prise de décision pourrait être déléguée à quelques représentant.e.x.s de chaque groupe affinitaire, qui seraient capables de se mettre en retrait, de concentrer un maximum d’informations, de prendre un peu de recul sur la situation, de changer rapidement de plan si la situation l’exige et d’être toujours en communication avec les autres groupes. Et pour qu’une délégation ait du poids dans le bloc, elle doit être formée par le maximum de groupes qui composent le bloc.
4) Former des groupes affinitaires plus grands qui communiquent
Pour qu’une délégation de groupes affinitaires ne soit pas la réunion de quelques individus atomisés et qu’il soit impossible de prendre une décision rapidement, il est nécessaire que les groupes affinitaires représentent plus de monde. Des groupes de 10, 20 ou 30 personnes devraient être la norme. L’avantage de s’organiser en grand nombre, c’est que nous représentons un nombre de personnes qui a du poids dans la manif et qui peut être une véritable force de proposition. Une initiative individuelle, bien qu’elle puisse être bonne, n’a aucun poids si on ne sait pas d’où elle vient, qui la donne et qu’elle ne s’inscrit dans aucune stratégie claire qui doit être préalablement définie. Nous pouvons même aller plus loin et imaginer des personnes qui auraient une vue d’ensemble sur la manif et qui communiqueraient directement des propositions au bloc.
5) Assumer plus de verticalité
À partir du moment où nous nous organisons à un plus grand nombre, il devient nécessaire d’assumer une certaine verticalité et une division dans les tâches, pour essayer d’atteindre un minimum d’efficacité. Mais, nous devons absolument limiter toute forme de hiérarchie que ce mode d’organisation peut créer dans nos groupes. Ainsi, nous devons faire attention à ce que ça ne soit pas toujours les mêmes personnes qui effectuent le même travail : nommer des délégué.e.x.s révocables, définir clairement les rôles assignés, etc. Nous avons conscience qu’avoir des délégué.e.x.s pour s’organiser est déjà une forme de verticalité mais, pour avoir des manifestation coordonnées et victorieuses nous pensons devoir assumer cette verticalité.
6) Savoir abandonner
Les outils que nous proposons devraient aussi permettre de plus facilement abandonner face à une situation impossible à renverser en notre faveur. Trop souvent nous nous retrouvons pris.e.x.s par une inertie de groupe difficile à casser, qui nous bloque dans un affrontement perdant. Abandonner, reconnaître la défaite et se retirer avant que les dégâts ne soient trop grands nous semble être un apprentissage urgent au vu des dernières mobilisations auxquelles nous avons participé. Laisser l’ennemi gagner momentanément, pour mieux le détruire la prochaine fois. Car tenter coûte que coûte l’impossible nous fait perdre des camarades et des allié.e.x.s, aussi bien physiquement (blessé.e.x.s), moralement (déprimé.e.x.s) que politiquement (déçu.e.x.s).
7) Créer des structures de soins systématiques et accessibles
La présence actuelle des street-médics est nécessaire sur les manifestations pour prendre soin des blessé.e.x.s et ainsi éviter de graves blessures, voire pire. Leur donner du matériel de soins d’urgence et de base arrière, des lieux de réunions et de soin est primordial si nous souhaitons gagner en endurance dans des affrontements coordonnés et face aux armes des flics. L’arme de notre ennemi et notre ignorance de ses outils répressifs est notre dépendance au système médical étatique. Le connaître en nous formant pour savoir quel matériel de protection et de soin avoir sur nous, quels sont les armes des flics et comment être plus autonome face au système médical est un moyen efficace de nous battre contre lui. Moins le système à d’emprise sur nous, plus nous gagnons en puissance. Ce genre d’expérience de violence et de stress peut créer des traumas et des douleurs psychologiques sur lesquelles nous devons communiquer pour les soigner. Il est important de les légitimer. Nous devons être capable d’accueillir les douleurs de nos camarades avant, pendant et après les manifestations et avoir une approche bienveillante envers elleux. Des structures de soins autonomes et gérées pas nos camarades devraient émerger de nos milieux pour mieux appréhender les batailles passées et futures.
Notre force n’est pas sur le champ de bataille
Il est aussi temps d’inscrire les réflexions autour du bloc offensif dans des réflexions stratégiques plus larges, qui dépassent la simple question de la tactique. Le premier communiqué du camarade S., blessé à Sainte-Soline le 25 mars et longtemps plongé dans le coma, nous semble être un premier point de départ [6]. Comme le camarade S., nous défendons que nous ne sommes pas des martyrs, et que se comporter comme tel.elle.x n’est pas envisageable. Puisque aujourd’hui l’affrontement avec les flics est souvent synonyme de carnage, l’idée même d’aller à la confrontation nous impose de l’aborder avec la plus grande précaution, car nous devons avoir conscience que nous risquons de mourir. Pour nous, foncer dans le tas, tête baissée, n’est plus une option mais une faute politique.
Tout d’abord, parce que l’attaque frontale de l’État et du capitalisme est une impasse stratégique. Nous ne pouvons rivaliser avec toujours plus d’armes perfectionnées, toujours plus d’entraînement, toujours plus de violence : si nous poussons la logique à son terme nous arrivons à la lutte armée, qui n’est évidemment pas souhaitable dans le contexte actuel et à laquelle nous ne sommes pas préparé.e.x.s. Ce ne serait qu’une fuite en avant qui aboutirait à l’échec le plus cuisant de l’ensemble de la gauche révolutionnaire. Nous ne pouvons gagner une guerre sociale et militaire asymétrique en tentant de faire armes égales. Si nous voulons avoir une chance de vaincre notre ennemi, nous devons l’éviter sur les terrains qu’il maîtrise mais le détruire sur ceux qui lui échappent. Les quelques propositions mentionnées plus haut doivent servir à ça.
Si nous voulons avoir une chance de vaincre notre ennemi, nous devons l'éviter sur les terrains qu'il maîtrise mais le détruire sur ceux qui lui échappent
Mais quand les gains espérés sont trop faibles en comparaison aux énergies déployées et brisées dans ces moments de confrontation, nous devons déplacer le terrain de l’affrontement. L’action directe offre un éventail d’outils qui peut faire mal à l’ennemi : sabotage, blocage, grève ou manif sauvages, etc. nous avons mille possibilités d’organiser la destruction du système en nous amusant. La construction d’un mouvement populaire, de groupes révolutionnaires, de liens de solidarités, de diffusions d’idées, de pratiques subversives sont aussi des outils à perpétuer et à se réapproprier. Il nous faut trouver d’autres stratégies que la manifestation et la confrontation avec les flics. Nous poser véritablement les questions de l’élargissement et de la radicalisation du conflit social en cours, car le bloc offensif ne peut pas les résoudre à lui seul.
Nous poser véritablement les questions de l'élargissement et de la radicalisation du conflit social en cours, car le bloc offensif ne peut pas les résoudre à lui seul
Le camarade S. nous rappelle que notre force a peu de chose à voir avec une histoire de champ de bataille. Nous y voyons un premier travail à mener au sein de l’autonomie : relativiser la portée mythique que l’on donne à ces événements, et tenter de proposer autre chose que le seul affrontement direct avec les flics comme moyen de créer une rupture politique. Et donc, de savoir mettre nos énergies dans un travail politique moins urgent, peut-être moins “fun” ou moins esthétique mais plus efficace à long terme. Notre force sera toujours notre enracinement social, “notre nombre, notre place dans la société et le monde meilleur auquel nous aspirons”. Les Soulèvements de la Terre l’ont compris et ont construit une énorme capacité de mobilisation large tout en défendant des luttes et des idées radicales. Et nous rappellent que toutes ces options, de l’action directe en manif à la construction d’un mouvement large, ne sont pas exclusives. C’est comme ça que les Soulèvements se sont enracinés, à tel point qu’ils sont aujourd’hui difficiles à déraciner.
A nous de trouver les chemins de l’enracinement et de la rupture politique, à l’échelle de tout le milieu autonome et de toutes les luttes que nous menons au quotidien. Dans un seul but : (re)commencer à gagner.
Quelques camarades autonomes des Soulèvements de la Terre
P.S. : Nous affirmons notre soutien total et inconditionnel aux Soulèvements de la Terre et leurs sympathisant.e.x.s face à la dissolution en cours et les vagues d’arrestation.
A bas le terrorisme d’État ! Vive l’écologie offensive !