Luttes indépendantistes - impérialisme Palestine

Le droit de parler pour nous-mêmes

Cet article est une adaptation d’une conférence donnée par Mohammed El-Kurd au Mémorial Edward Saïd, à l’Université Princeton (Washington D.C., aux Etats-Unis), en février 2023.

Pendant trop longtemps, les Palestiniens et Palestiniennes ont été privé-e-s de la liberté de raconter leur propre histoire.

Par Mohammed El-Kurd, le 27 novembre 2023

Aujourd’hui, je vais vous parler des victimes parfaites et de la politique de la sollicitude. Le peuple palestinien, sur les écrans de télévision ou plus largement dans la sphère publique, existe dans une fausse dichotomie : Nous sommes soit des victimes, soit des terroristes.

Ceux et celles d’entre nous qui sont des terroristes – ou dont on dit qu’ils-elles sont des terroristes – n’ont jamais l’occasion d’être des commentateurs-rices sur ces écrans. Ce sont des créatures presque mythiques, des histoires à faire peur : de grands méchants loups aux sourcils froncés, aux crocs acérés et au politiquement incorrect terrifiant. Elles et ils parcourent les rues en marmonnant dans un arabe agressif, lisant parfois le Coran, voulant piller et tirer sur tout ce qui bouge. Elles et ils vous poursuivent. Cachez vos femmes, cachez vos avions, cachez vos boucliers humains. De nombreuses personnes dans l’assistance ont une image mentale de qui je parle.

En revanche, ceux et celles d’entre nous qui sont des victimes, que les journaux et les documentaires décrivent comme blessé-e-s, gémissant-e-s et faibles, se voient parfois accorder le micro. Mais ce micro a un prix élevé. Les victimes doivent remplir des conditions préalables. Ce sont souvent des femmes, des enfants, des personnes âgées. Elles ont des passeports américains ou européens, exercent des professions sociales ou sont handicapées. Tout le monde vous dira : « Elles et ils ne feraient pas de mal à une mouche ». Et même si elles et ils ont été des loups, elles et ils sont aujourd’hui dociles et désarticulé-e-s, se contentant d’hurler à la lune en signe d’agonie. Elles et ils ne chargent jamais, n’attaquent jamais et ne chassent jamais en meute. Leur campagne est individualiste, centrée uniquement sur leurs tragédies personnelles, motivée par des besoins humanitaires plutôt que par une idéologie politique.

Permettez-moi de vous raconter une histoire. L’année dernière, le 11 mai, je me suis réveillé, comme beaucoup d’autres personnes dans le monde, en apprenant que la bien-aimée journaliste de télévision palestinienne Shireen Abu Akleh avait été abattue par les forces d’occupation israéliennes lors d’un raid dans le camp de réfugié-e-s de Jénine, en Cisjordanie occupée. Quelques minutes après l’annonce de la nouvelle, j’ai trouvé dans ma boîte de réception un courriel anonyme contenant un conseil. L’e-mail se lisait comme suit : « Très urgent et nécessaire, veuillez annoncer sur Twitter et Facebook que Shireen Abu Akleh est une citoyenne américaine. C’est un fait, pas une rumeur. Les Israélien-ne-s ont tué une journaliste américaine ». Bien entendu, je ne l’ai pas annoncé. Et lorsque j’ai écrit sur l’assassinat de Shireen Abu Akleh, j’ai veillé à ne pas la qualifier de citoyenne américaine, mais plutôt de détentrice d’un passeport américain. Mais cela n’a pas eu d’importance. Dans les heures qui ont suivi, on a appris que Shireen était américaine, et sa prétendue américanité l’a soudain rendue humaine.

Cette anecdote est l’occasion de se poser trois questions : Dans l’esprit occidental dominant, qui est considéré comme endeuillable ? Qui est humanisé ? Et qui prend le micro ?

Qui est humanisé-e ?

Shireen Abu Akleh était une personne parce qu’elle était une personne. Mais pour l’Américain-e moyen-ne, elle était une personne parce qu’elle était une femme, une chrétienne, une Américaine, une journaliste portant un gilet de presse clairement identifié. Elle avait même un chien. Lorsque nous mourons, pour faire les gros titres ou pour que notre mort ait de l’importance, nous devons être morts de manière spectaculaire ou avoir subi une mort spectaculairement violente. Et quand je dis « spectaculairement violente », je pense à quelqu’un comme Mohammed Abu Khdeir, un garçon de 16 ans qui vivait en face de mon lycée public à Shufat, dans la Jérusalem occupée, qui a été kidnappé devant sa maison et brûlé vif par des colons israélien-ne-s.

Que signifie pratiquer une politique de sollicitude ? Pendant des décennies, des journalistes et des travailleurs-euses culturel-le-s bien intentionné-e-s ont utilisé un cadre humanisant dans leur représentation des peuples opprimés dans l’espoir de contrer la représentation traditionnelle du Palestinien et de la Palestinienne en tant que terroriste. Non seulement cela a produit une dichotomie fausse et écrasante entre les terroristes et les victimes, mais la posture de victime qui émerge dans ce cadre est une victimité parfaite, une exigence ethnocentrique de sympathie et de solidarité.

Un jet de pierre : Edward Saïd jette une pierre en direction de la frontière israélienne avec le Liban. (AFP via Getty Images)

Nous soulignons souvent à l’excès la non-violence, la noble profession, les handicaps d’une personne opprimée ; nous la couvrons d’éloges. Et nous ne le faisons pas seulement dans le contexte palestinien, mais aussi à l’égard des Noir-e-s américain-e-s victimes de brutalités policières : « C’étaient des artistes », « c’étaient des malades mentaux-ales » ou « elles ou ils n’étaient pas armé-e-s ». C’est comme si condamner l’État pour avoir sanctionné la mort d’un-e- Noir-e n’était admissible que si la personne tuée était un modèle stérile de citoyen-ne américain-e. On pourrait dire la même chose des victimes d’agressions sexuelles : Il faut rappeler à l’auditeur-rice que la victime était sobre et habillée de manière appropriée.

Bien entendu, je ne dis pas que les personnes qui s’engagent dans une politique de sollicitude devraient être brûlées sur le bûcher. Beaucoup de gens le font de bonne foi. Souvent, ils disent qu’il s’agit d’une stratégie. Lorsque nous disons que Shireen Abu Akleh était américaine ou qu’Alaa Abdel Fattah, le prisonnier politique égyptien, est britannique, nous disons qu’il y a une stratégie derrière tout cela. Cela les rendra plus compréhensibles pour le public américain ; cela rendra la justice plus accessible pour eux. Mais en fait, cela ne fait que réduire le champ de l’humanité pour le reste d’entre nous et renforcer une hiérarchie de la souffrance. Cela rend l’exigence de devenir « humain » beaucoup plus étroite et plus difficile à atteindre. De telles pratiques, que j’appellerai « défiguration », reproduisent l’ordre culturel dominant dans lequel les Palestinien-ne-s sont dépouillé-e-s de leur pouvoir, de leur droit à l’autodétermination et, en fin de compte, de leur autorisation à se raconter, comme l’a dit un jour l’universitaire palestinien Edward Saïd.

Qui peut être pleuré-e ?

Voici une autre situation de victime parfaite : Il y avait ces deux jeunes hommes, des frères de Beit Rima, un village proche de Ramallah, en Cisjordanie occupée. L’un d’eux avait un emploi bien rémunéré à la Banque islamique arabe et l’autre étudiait l’ingénierie informatique à l’université de Birzeit. Ils venaient d’une famille aisée. Lorsque l’armée israélienne a lancé un raid sur leur village, qu’elle occupe illégalement, ces frères ont défendu leur communauté à l’aide de pierres et d’autres objets, et ils se sont fait tirer dessus. Ils ont tous deux été tués à quelques minutes d’intervalle. Ils s’appelaient Jawad et Thafer Rimawi.

Depuis lors, leur sœur Ru’a Rimawi, qui étudiait pour devenir médecin, pédiatre, s’est lancée dans un domaine où elle n’avait pratiquement aucune expérience : les campagnes électorales. Elle a partagé des éloges funèbres et des anecdotes sur ses frères avec les personnes qui la suivent sur les réseaux sociaux. Après chaque publication sur les réseaux sociaux, elle « s’effondre », m’a-t-elle dit. Elle veut garder leur mémoire vivante, d’autant plus qu’ils existent dans un cadre où les Palestinien-ne-s qui sont tué-e-s quotidiennement ne reçoivent que peu ou pas d’attention de la part des médias. Mais il est difficile, m’a-t-elle dit, « de convaincre le monde que la vie de vos frères comptait. Il ne suffit pas qu’ils aient été tués, elle doit montrer qu’ils avaient une carrière et qu’ils n’étaient pas prêts à se jeter dans la mort. « Ils avaient de l’ambition et des rêves, comme n’importe qui dans le monde.

Je suis Ru’a depuis un mois, car elle essaie de publier un essai d’opinion sur ses frères. Nous l’avons proposé au Guardian, au Washington Post, au Los Angeles Times. Nous n’avons pas essayé le New York Times. Tous ont refusé ou ignoré l’article. Lorsque nous en avons parlé à un expert des médias, il nous a dit que son article n’était pas publié parce que ses frères avaient jeté des pierres sur l’armée. Leur victimisation n’étant pas parfaite, ils n’ont pas leur place dans le LA Times.

Qui prend le micro ?

En général, je préfère axer mes interventions sur la dénonciation de la brutalité sioniste plutôt que sur les défis de la représentation, parce que ces défis pâlissent inévitablement en comparaison de la répression et de la violence infligées aux Palestinien-ne-s sur le terrain. Mais cette violence est précisément la raison pour laquelle nous devrions parfois aborder ces problèmes de représentation qui piègent les défenseurs-euses de la libération palestinienne dans le monde occidental.

En 1984, en réponse à la guerre israélo-libanaise, Edward Saïd a publié son essai « Permission to Narrate », dans lequel il critiquait la couverture biaisée de la guerre par les médias occidentaux, qui favorisaient le récit israélien et supprimaient le point de vue palestinien. Aujourd’hui, nous nous trouvons dans une situation très similaire. Les politicien-ne-s et les analystes israélien-ne-s passent à la télévision pour encadrer le soi-disant conflit, alors que seules les victimes palestiniennes ont cette opportunité – et même là, elles ne sont pas interviewées, mais plutôt interrogées.

Qui peut raconter leur histoire ? Une femme palestinienne console un enfant après une frappe israélienne sur le district d’al-Fakhoora à Gaza, le 4 novembre. (Ahmad Gharabli / AFP via Getty Images)

Je suis dans une position unique. D’une part, je suis une victime qui a perdu sa maison – ou plutôt, dont la maison à Sheikh Jarrah a été volée par des colons. D’autre part, je suis journaliste, écrivain. Il m’arrive d’être invité sur CNN – enfin, une fois ; il semble que je n’ai jamais été invité deux fois sur la même chaîne.

Mais je voudrais savoir pourquoi on me donne parfois le micro. Est-ce parce que je suis agréable à regarder ? Est-ce parce que je parle avec un accent américain ? Peut-être. Je défends des causes publiques depuis des années et je crains parfois que ce ne soit pas à cause de mon cerveau, mais plutôt parce qu’il s’agit d’un cas de symbolisation. À l’âge de 11 ans, j’ai participé à un documentaire, puis j’ai été emmenée en avion au Parlement européen et au Congrès américain. Je me souviens d’être allé dans un magasin à Jérusalem et d’avoir acheté de fausses lunettes pour avoir l’air intelligent. Je me suis assis sur le podium au Parlement européen et au Congrès sans avoir la moindre idée de ce dont je parlais. Je me suis dit : « Wow, ils pensent que je suis si mature et si sage ». Des années plus tard, j’ai réalisé que ce n’était pas le cas.

Au plus fort du « Unity Uprising » en 2021, j’ai été contacté au nom des bureaux de plusieurs sénateurs-rices et membres du Congrès américains, dont Chuck Schumer, et on m’a demandé – je cite directement le texte – si je pouvais « leur fournir un enfant palestinien qui présenterait leur rêve de ce que signifie la paix ». Traduisons cette demande : Le seul Palestinien suffisamment sûr pour s’asseoir à leur table est un enfant.

Le public occidental, tout comme ses hommes politiques, n’est pas disposé à s’entretenir avec des Palestinien-ne-s adultes, dont les critiques acerbes risqueraient de l’offenser. C’est pourquoi nous confions à nos enfants la responsabilité de donner aux humains des yeux d’humanité. Nous envoyons des délégations d’enfants palestinien-ne-s sur la Colline. Nous leur faisons mémoriser des PowerPoint sur la paix et la coexistence, nous leur demandons de montrer des images de leur sang et de leurs membres coupés dans l’espoir de faire changer d’avis des Américain-ne-s qui sont abreuvé-e-s de propagande, quand elles et ils ne sont pas eux-mêmes des propagandistes de poids.

Je le sais, encore une fois, de première main, parce que j’ai fait cela quand j’étais très jeune. Mais même moi, je ne suis pas une personne facile à digérer. Regardez autour de vous – il y a environ 7 000 flics ici. Il y a eu de nombreux articles, déclarations et tracts protestant contre cette conférence avant même qu’elle ne commence. Je suis dangereux, apparemment.

Alors, si je ne peux pas toujours obtenir le micro, qui le peut ? La personne que nous honorons aujourd’hui, Edward Saïd, l’un des intellectuels publics les plus célèbres de notre époque, peut certainement obtenir le micro. Eh bien, même Edward Saïd – une personne de sa stature, de sa renommée – n’a pas eu le micro à un moment donné. En 2000, Edward Saïd s’est rendu au Liban. Il a jeté, selon ses propres termes, « un caillou » sur un poste de garde israélien à la frontière. Tout le monde s’est mis en colère. Edward Saïd n’était plus humain. Il ne pouvait plus parler leur langue. Le titre d’un article du Columbia Daily Spectator à son sujet était le suivant : « Edward Saïd accusé de lapidation au Sud-Liban ». La Société Freud de Vienne a annulé une conférence qu’il devait donner. Le Washington Post a publié un article qui commençait par dire que Saïd était « un peu trop corpulent, un peu trop distingué pour lancer des pierres en direction des soldat-e-s israélien-ne-s…. ». Se pourrait-il qu’Edward Saïd ait rejoint les rangs des lanceurs-euses de pierres palestinien-ne-s ? Cet article est très accablant, mais d’autres personnes ont estimé qu’il ne l’était pas assez. Deux auteurs ont réagi dans le Daily Spectator : « La première phrase nous dérange, car elle semble impliquer que l’acte de lancer des pierres à travers une frontière internationale sur des civil-e-s et des soldat-e-s inconnu-e-s d’un pays voisin serait acceptable ou au moins compréhensible s’il était entrepris par des individus ordinaires plus jeunes, moins corpulents ou plus distingués ». Ils ont qualifié son acte d’ »acte gratuit de violence aléatoire ».

Alors, si quelqu’un comme Edward Saïd ne peut pas toujours obtenir le micro, quel-le-s Palestinien-ne-s ont le droit de raconter ? Les Israélien-ne-s ! De temps en temps, un-e politicien-ne israélien-ne sort et le dit : « Nous allons vous donner une autre Nakba, nous allons vous donner un génocide. Nous allons vous envoyer en Jordanie ». Ou bien un soldat israélien, qui ne peut dormir la nuit parce qu’il se souvient des enfants qu’il a tués, fait une tournée de conférences aux États-Unis. Ou encore, on cite Theodor Herzl, l’un des pionniers du sionisme, qui écrivait en 1895 : « Nous devons exproprier en douceur la propriété privée des domaines qui nous sont attribués. Nous essaierons de faire passer la frontière à la population sans le sou. Le processus d’expropriation et le déplacement des pauvres doivent être menés avec discrétion et circonspection ». Herzl a également écrit : « Les antisémites deviendront nos amis les plus sûrs, les pays antisémites nos alliés ».

Mon exemple préféré est celui de Ze’ev Jabotinsky, cofondateur de l’Irgoun, l’organisation paramilitaire sioniste responsable de l’attentat à la bombe contre l’hôtel King David à Jérusalem en 1946 et du massacre de Deir Yassin en avril 1948. Il a écrit qu’il n’y a pas de « cas isolé de colonisation effectuée avec le consentement de la population indigène. Les populations indigènes ont toujours résisté obstinément aux colons, qu’ils-elles soient civilisé-e-s ou sauvages ».

Nous, Palestinien-ne-s, militant-e-s et journalistes bien intentionné-e-s, sommes obsédé-e-s par cette idée. Nous salivons à l’idée de citer ces personnes. Mes grands-parents ont viscéralement raconté les massacres déchirants sur lesquels l’État sioniste a été construit, mais leurs témoignages n’ont pas suffi. Il faut les confessions d’un ancien soldat ou l’épiphanie miraculeuse tardive des organisations de défense des droits de l’homme pour que le monde écoute. Les Palestinien-ne-s parlent d’apartheid depuis des décennies – nous avons même dépassé ce stade aujourd’hui – mais il a fallu des décennies à Human Rights Watch, Amnesty International et B’Tselem pour finalement le confirmer.

Lorsque j’étais enfant, les travailleurs-euses de terrain et les chercheurs-euses en droits de l’homme étaient des invité-e-s constants dans notre maison. Je leur montrais des photos de ma grand-mère battue par des colons pour essayer de les convaincre, alors qu’elles et ils mangeaient la maqluba à notre table tous les vendredis. Je leur proposais mon analyse – « Voilà ce que je pense qu’il se passe » – mais elles et ils ne l’acceptaient pas, comme si elles et ils disaient : « Je veux juste des photos de vos bleus, un échantillon de votre sang, et j’annoncerai ce qui se passe plus tard ».

De temps en temps, des politicien-ne-s israélien-ne-s dérapent, se vantant de tuer des Arabes ou promettant aux Palestinien-ne-s une nouvelle Nakba. Parfois, un journal sioniste publie un titre confirmant qu’ »Israël est une colonie de peuplement », et nous citons leurs paroles à l’infini. Mais pourquoi leurs paroles ont-elles autant de poids ? Pourquoi donnons-nous l’autorité de la narration à ceux-celles qui nous ont assassiné-e-s et déplacé-e-s, alors que la rareté de leurs consciences coupables signifie que l’honnêteté n’est jamais garantie ? Pourquoi attendons-nous que ceux qui portent les matraques parlent alors que nos corps meurtris disent toute la vérité ?

Je sais que je suis originaire de Jérusalem, non pas parce que Jabotinsky l’a dit, mais parce que je le suis. Je sais que les sionistes ont colonisé la Palestine sans avoir besoin de citer Herzl. Je le sais parce que je le vis, parce que les ruines d’innombrables villages dépeuplés fournissent la preuve matérielle d’un nettoyage ethnique calculé. Lorsque nous, Palestinien-ne-s, parlons de ce nettoyage ethnique permanent et ignoré – qui est inhérent à l’idéologie sioniste, soit dit en passant – nous sommes au mieux passionnés et au pire en colère et haineux. Mais en réalité, nous ne sommes que des narrateurs-rices fiables. Je dis que nous sommes des narrateurs-rices fiables non pas parce que nous sommes Palestinien-ne-s. Ce n’est pas sur une base identitaire que nous devons recevoir, ou prendre, l’autorité de raconter. Mais l’histoire nous apprend que ceux-celles qui ont opprimé, qui ont monopolisé et institutionnalisé la violence, ne diront pas la vérité, et se tiendront encore moins pour responsables.

Ces dernières années ont été assez intéressantes pour les Palestinien-ne-s. Nous avons été présent-e-s à la table des négociations, parfois même en dirigeant quelque peu la conversation. Nous avons aujourd’hui l’occasion de changer la rhétorique, de changer le discours et de créer un changement radical dans le sentiment du public à l’égard de la Palestine et des Palestinien-ne-s. C’est à nous, travailleurs-euses culturel-le-s, producteurs-rices de connaissances, universitaires, journalistes, activistes, commentateurs-rices des réseaux sociaux, de faire preuve de courage. C’est le moment de ne pas nous cacher derrière nos doigts ou nos qualificatifs.

Et pour celles et ceux d’entre nous qui sont journalistes, il ne s’agit même pas d’être courageux. Il s’agit de faire notre travail. Si notre travail consiste à rapporter la vérité, nous devons le faire.

J’aimerais aborder un dernier point. Lorsque je monte sur scène, j’ai l’habitude de beaucoup plaisanter. Je plaisante volontairement, tout d’abord parce que je veux croire que je suis drôle. Mais il y a une autre raison : Tous-tes les Palestinien-ne-s qui travaillent aux yeux du public, en particulier les Palestinien-ne-s qui ont souffert de la violence israélienne, sont censé-e-s se comporter d’une certaine manière. Vous êtes censé-e être misérable – tête baissée, gémissant, faible et demandant pitié. Vous êtes censé-e-s être poli-e-s dans votre souffrance. Et je refuse complètement cela. Je refuse ces politiques de sollicitude. Je ne veux plaire à personne. Je peux faire l’expérience de la parodie, de la tragédie et de la perte profonde, et je peux encore en faire une blague. C’est là tout le spectre de l’humanité palestinienne, ou de l’humanité tout court. Nous sommes humains non seulement parce que nous pleurons la perte de nos mères ou de nos maisons, ou parce que nous avons des animaux de compagnie ou des passe-temps. Nous sommes humains parce que nous ressentons de la rage et du dédain, parce que nous résistons.

Et je suis honnêtement reconnaissant de mon dédain, parce qu’il me rappelle que je suis humain. Je suis reconnaissant de ma rage, parce qu’elle me rappelle ma capacité à réagir naturellement à l’injustice. Je suis reconnaissant d’avoir la possibilité d’être désinvolte, de faire la satire et de ridiculiser mon occupant impénétrable et indélébile. Je vous invite donc tous à vous interroger sur vos préjugés en quittant cette conférence, à vous interroger sur ce qui vous pousse à qualifier l’humanité d’un-e Palestinien-ne. Et je vous invite, une fois encore, à faire preuve de courage. Je vous remercie de votre attention.

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