Petit récap des faits
Pour celleux qui n’auraient pas suivi, voici un petit récap des événements. Le 4 décembre le PDG de UnitedHealthCare est abattu en plein centre de Manhattan par un individu qui tire 3 balles et s’enfuit. Sur les balles sont inscrits les mots “depose”, “defend”, “deny”, les formulations classiques des assureurs pour refuser une demande de remboursement de soin de santé.
S’ensuit une vague de réactions favorables au tireur, d’abord sur les réseaux sociaux. “Mes pensées et mes prières ne sont pas incluses dans ma couverture” par exemple...
Rapidement, c’est une occasion pour des milliers de personnes de critiquer le système de santé. United HealthCare est la plus grande assurance santé aux USA. Elle couvre environ 50 millions de personnes aux Etats-Unis et a réalisé 16,4 milliards de dollars de bénéfices en 2023. En 2019 le New york Times annonçait un taux de refus de prises en charge de l’ordre de 27 %. Les choses se sont encore détériorées depuis la nomination de Brian Thompson en 2021. La chercheuse Jay Feinman écrit dans son livre Delay Deny Defend : Why Insurance Companies Don’t Pay Claims and What You Can Do About It (2010) que les refus de prise en charge des assureurs est « le résultat d’un objectif systématique et croissant de maximiser les profits” et encore que “toutes les compagnies d’assurance [ont] intérêt à duper leurs clients pour augmenter leurs profits ».
Le 9 décembre Luigi Mangione est arrêté par les flics et accusé d’avoir tué Brian Thompson. Il a sur lui une déclaration que visiblement de nombreux médias refusent de publier. En voici une traduction trouvée sur l’article "une si brutale honnêteté : chronique de la mort d’un CEO" :
Que faire de tout ça ?
Ce qui nous semble particulièrement intéressant avec cet acte, ou plutôt ce qu’il créé, c’est d’abord que tout le monde se met à parler de la situation aux USA. Les journaux mainstream relaient des témoignages de personnes s’étant vu refuser des frais de santé, de même sur les réseaux sociaux, les témoignages fusent. Et cet élan permet directement de déplacer la question de l’acte en lui-même sur ce qui est dénoncé. La solidarité massive avec Luigi Mangione montre aussi la colère présente chez énormément d’américains contre le système d’assurance de santé. Une colère sociale contre l’injustice de la situation ; des milliers de personnes ne pouvant se payer des soins, se voyant refuser des traitements indispensables.
On peut voir affichées dans les rues de New York des affiches avec les patrons de grandes compagnies d’assurance ou des appels à continuer le travail commencé par Luigi Mangione.
En tout cas, il est sur que cet assassinat et les réactions qui ont suivi font trembler les puissants. Dans le sillage de l’exécution de Thompson, le concurrent Blue Cross a abandonné un projet controversé de limitation du remboursement des frais d’anesthésie des patients (ce qui, en pratique, aurait pu contraindre les chirurgiens à opérer en quatrième vitesse afin d’éviter tout surcout à leurs patients).
Alors pour nous, deux questions se posent.
En premier lieu il ne fait pas de doute qu’on ne peut que comprendre l’acte de Luigi Mangione. Les argumentaires foisonnent sur la justification de la mort d’un homme face aux milliers d’américains privés de soins ce qui mène aussi indirectement à la mort.
Mais le contexte américain est bien différent du nôtre : présence beaucoup plus massive d’armes à feu, système d’assurance santé encore plus pourri qu’ici, rapport différent à la violence et la mort, etc.
Alors la question se pose : comment faire vivre ici aussi une critique des assurances maladies ? Obligatoires en Suisse contrairement aux USA et sans doute avec des critères de remboursements beaucoup plus clairs, il n’en reste pas moins que les primes d’assurances augmentent chaque années et que de nombreusexs suisses s’empèchent d’aller chez le médecins par manque de moyens.
Deuxièmement, quelques articles de gauchistes français se posent la question : est-ce le retour de l’action directe ? Avec cette question, son lot de réflexions et de doutes. Mais peut-être il s’agit ici d’une occasion pour réfléchir aux stratégies plus brutales principalement utilisées par différents groupes dans les années 70. On semble en être bien loin en Europe mais et si cela arrive à nouveau, comment réagir ? Et quand on voit les réactions suite à l’action de Luigi Mangione, pouvons-nous balayer cette possibilité de nos horizons ? Est-ce notre éthique qui balaie cette possibilité ?
Pas beaucoup de réponses mais surtout beaucoup de questions...