Écologie - Antiindustriel

[Canton du Jura] Le projet éolien Saint-Brais 2 définitivement enterré

Après cinq ans de lutte active, le projet éolien des SIG sur la commune de Saint-Brais disparaît du nouveau plan sectoriel cantonal jurassien

Delémont |

« L’éolien est rarement envisagé comme il devrait l’être, c’est à dire comme une modalité particulière de la réquisition totale du territoire à des fins de production, de circulation et d’anéantissement du monde non domestiqué (…). » Arnaud Michon, Du nucléaire au renouvelable, critique du système énergétique (2013).

Si cet argument n’est pas développé par les associations qui s’opposent à l’éolien, il a été l’élément déclencheur de la lutte qui s’est organisée dans les Franches-Montagnes après la construction des deux premières éoliennes géantes à Saint-Brais.

La notion de colonisation est encore présente dans l’esprit des Jurassiens qui ont lutté pour l’indépendance de leur Canton. Les deux machines installées à Saint-Brais en 2009 dominent ce petit village de 220 habitants et s’imposent visuellement sur un rayon de plusieurs kilomètres. Il s’agit d’un parc citoyens (de la société ADEV basée à Liestal) dont la plupart des actionnaires ne sont pas de la région. L’électricité produite est vendue à la ville de Zurich.

Chacun a pu mesurer l’ampleur de la désinformation qui a entouré la réalisation de ce parc. Ce projet qui se voulait rassembleur, innovant, durable et qui devait faire de Saint-Brais le modèle de la société verte en marche a été le point de départ d’un vent de colère qui a soufflé sur toutes les Franches-Montagnes. La construction par Alpiq, en 2011, de trois autres machines au Peuchapatte a fait prendre conscience de la démesure (mâts de 108 m, plus de 140m en bout de pales) qui s’abattait sur cette zone vouée jusqu’ici principalement à l’agriculture et aux loisirs. Les révélations se sont succédé : les promoteurs avaient signé des contrats de servitude avec des propriétaires terriens partout où des éoliennes pouvaient être construites. Le Jura se profilait comme la réserve nationale d’énergie propre, avec la bénédiction de la Confédération. À Bâle, on pouvait voir des affiches de propagande où il était écrit : « Je puise mon énergie sur les Crêtes jurassiennes » !

Tous ces technocrates de salon font semblant d’ignorer que la surface nécessaire pour atteindre leurs objectifs est loin d’être anodine (1350m2 par éolienne, sans la surface de montage, env. 8000m2), que l’incroyable quantité de béton qui sera injecté pour réaliser ces projets surréalistes transformeront les crêtes jurassiennes en cimetière (400m3 de béton, 54 tonnes d’acier pour un seul socle d’éolienne), que les nuisances générées par les machines contamineront la vie humaine et animale. Derrière les bonnes intentions se cachent des profits énormes dont les bénéficiaires se moquent des conséquences pour ceux qui les subiront. Les remontrances de Conseillers nationaux tels qu’Isabelle Chevalley (Vert’libérale, Vaud) ou Roger Nordmann (Parti socialiste, Vaud) sur « l’égoïsme » de ces Jurassiens qui refusent d’assumer des nuisances pour le bien de la collectivité et l’avenir de l’humanité n’ont pas calmé les esprits, bien au contraire. Une poignée de citoyens a cravaché des mois durant pour forcer le débat à sortir de la béatitude verte, pour faire entendre la voix de ceux qui refusent d’accepter l’émergence de nouvelles nuisances dans les dernières zones protégées, pour dénoncer cette précipitation sur des alternatives techniques alors que la question de l’alternative politique et sociale n’est pas posée.

Ne pas subir. C’est le mot d’ordre que les opposants les plus motivés se sont imposé pour mener la lutte contre des promoteurs puissants, des financiers sans scrupules, des politiciens acharnés et des citoyens mobilisés par idéal ou par intérêt aux côtés des chasseurs de terres. La lutte a franchi les frontières ; les fruits d’un travail immense de résistance se partagent sur le net. En pénétrant sur des territoires non industrialisés, les milieux économiques et politiques s’attaquent à des populations qui entretiennent une relation particulière avec leur environnement. Sous couvert de développement durable, ils s’approprient des terres interdites jusque-là, ils élargissent leur champ d’action. Ils envahissent des zones non domestiquées qui posent des limites à leur pouvoir, comme on le constate clairement au Mexique, en Grèce, au Brésil, en Afrique., etc.

Les Services industriels de Genève (SIG) projetaient un second parc éolien de cinq à sept machines au-dessus du célèbre site néandertalien de Saint-Brais, avec l’appui des autorités locales complètement subjuguées. Durant cinq années, l’association « librevent » et le collectif de citoyens pour la diffusion de l’information sur l’industie éolienne ont lutté sans relâche contre ce projet qui, en plus, était porté par une société qui a fait perdre près de 50 millions de francs aux SIG dans les conditions que tout le monde connaît. Le projet est enterré aujourd’hui, et pratiquement tous les futurs sites éoliens des Franches-Montagnes sont écartés du nouveau plan sectoriel jurassien.

Résister et gagner, voilà qui est encourageant. Hélas ! Ces victoires locales ne changent pas le fond du problème : les projets sont déplacés, la communication est travaillée au cœur des pouvoirs économiques et politiques afin de trouver le meilleur moyen de contourner la résistance pour s’introduire dans les territoires. En Crète, les populations concernées par ces colonisations industrielles pensent que cela leur arrive parce que la situation économique du pays l’exige et qu’elles n’ont plus le pouvoir de l’empêcher. Dans le Sud Mexique, l’argent distribuée par des entreprises espagnoles et françaises a divisé les indigènes pour la première fois, mettant en danger leur fragile autonomie face au pouvoir. En Suisse, les gens s’imaginent qu’ils sacrifient volontairement leurs sites naturels et leur qualité de vie pour construire un monde propre… Longue vie aux chasseurs de terres et de profits ? Drapés de vert, plus grand chose ne les arrête. Mais contre eux, une poignée de jurassiens a gagné une bataille.

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