Le cortège s’ébranle lentement, suivant l’itinéraire systématique des manifestations citoyennes : départ de la Place des 22 Cantons vers le pont du Mont-Blanc pour finir à la Place Neuve. Mais attention, pas question de prendre toute la rue. Seules les deux voies dans le sens de la marche sont autorisées par la horde de gentils-bénévoles-en-gilet-jaune-qui-ne-font-que-leur–travail. On aurait dû s’y préparer, mais c’est toujours déprimant de voir à quel point ces « Ballades pour le climat » (car c’est en vérité la seule chose que c’était) ne sont qu’un amas de positions légalistes et citoyennes aussi flippantes qu’absurdes. Une grève a au moins un potentiel de devenir nuisible au système pour un temps.
Voyons de près la teneur de cette manifestation : elle est composée majoritairement de partis et associations dont les revendications sont claires : faire pression sur la COP21 pour exiger de « vrais changements », des « décisions contraignantes » et « promouvoir le développement durable comme une forme de croissance écologique ». On a le plaisir de lire des « Vive la COP21 », des « j’aimerais qu’on protège ma planète » ou encore « je suis la nature qui se défend ». Autant dire que cette majorité procède directement d’un écologisme et d’une foi envers les dirigeants qu’on peine à décrire.
La belle hypocrisie est soutenue par la présence de Greenpeace et de WWF, qui n’en ratent pas une pour poser des bandes plastiques sur des banques et autres cibles. Greenpeace prétend dénoncer les pollueurs industriels mais milite ardemment, au sein de la COP, pour un monde alimenté à 100% par des énergies renouvelables, à savoir pour le marché vert, à savoir pour le marché qui a été conçu afin que le capitalisme reste toujours intact, avec ou sans émission CO2. Quant au WWF, c’est bien comme déclaré sur son blog canadien : « La nature et l’économie ne sont pas ennemies ». Voilà, c’est dit. On fait confiance aux chefs, on leur demande de nous sauver et on appelle ça militantisme. Et on est la planète, au cas où.
Dans tout ce tracas, nous avons la chance de trouver refuge parmi les camarades derrière une banderole « Détruisons le système, pas le climat », mais nous nous sentons rapidement en nette infériorité. Le bloc est en effet composé d’une quarantaine de personnes.
La lectrice ou le lecteur pensera que décidément nous sommes bien critiques et que nous n’avons de la salive que pour cracher. Mais c’est bien peu en comparaison de la douleur aiguë provoquée par ce genre de manifestation…
Si ces prises de positions, assumées par ces partis et associations, nous dégouttent, c’est parce qu’elles procèdent de réflexions purement catastrophistes alors que la COP21, selon nous, implique beaucoup plus que réaffirmer notre amour de la nature : la question sociale et la critique du développement durable.
L’écologie comme moyen d’individualisation
Que chacun.e fasse un effort et tout ira mieux. Roulons à vélo, mangeons vegan, bio et local et surtout faisons confiance au marché libéral pour s’auto-réguler et développer les marchés qui seront alors en vogue : ceux des labels et garanties « bon pour la planète ». Et ainsi, chacun.e, par des petits sacrifices au quotidien et une responsabilisation individuelle contribueront à un monde meilleur pour nos enfants.
Mais le climat n’est pas menacé par Mr. Dupont qui n’a pas d’argent pour acheter écolabelisé, ni par Mme. Duponte contrainte de faire 3h de voiture pour se rendre au travail. Et non plus, par le petit Dupontet qui refuse de participer à la farce du recyclage. C’est bien l’industrie et les lieux de travail qui consomment et polluent. Et c’est précisément ceux-ci qui sont représentés et défendus à la COP21. Le développement durable, solution miraculeuse aux soucis écologiques, n’est que le nouveau marché où se refugent États et entreprises. Des investissements, des financements privés et publiques, des nouvelles législations qui ouvrent le chemin là où c’était pas encore possible d’aller, voilà de quoi sont faits les projets d’énergie renouvelable. Des projets qui ne répondent aucunement aux besoins en énergie tels que crées par le marché même.
Déléguer à des dirigeants la bonne marche de nos vies et nous responsabiliser en louant un nouveau marché est le triste résultat de l’individualisation de toute question sociale. Prendre nos vies en main n’est pas réduire notre consommation d’électricité ni négocier pour plus d’énergie renouvelable industrielle. C’est s’organiser ensemble pour réinventer nos vies de manière collective, ce qui sera bien plus marrant que marcher 2h pour des pruneaux.
Que cesse cette foi en des dirigeants !