Répression - Enfermement Violences policières Racisme

Compte-rendu et analyse des interpellations du 7 et 21 juillet 2019

Pour la seconde fois en deux semaines, la police interpelle des personnes montrant leur solidarité à des individus visés par un contrôle raciste sur la place des Volontaires.

Genève |

Comment comprendre ces évènements ?

Ayant eu lieu dans le quartier de la Coulouvrenière, les objets de ces deux compte-rendus s’insèrent dans un contexte de répression du travail de rue, ayant cours depuis plusieurs années. Il est essentiel, pour appréhender cette thématique, de comprendre qui sont les sujets premiers de ce travail de sape effectué par la police : des hommes noirs, irrégularisés par le système d’asile et ainsi placés de force hors du marché du travail. La vente de drogue est un des rares débouchés économiques pour ces personnes. La criminalisation de fait de la présence de ces personnes sur le territoire suisse est la matrice de leur entrée dans l’économie illégale, et non l’inverse.

Ces derniers mois, une pétition a été lancée par quelques habitant.e.x.s du quartier de la Coulouvrenière pour dénoncer une situation à leurs yeux intolérable. S’en est suivi une campagne de pression médiatique envers l’Usine, sommée de prendre des mesures à propos de la question et légitimant une intensification de la pression policière dans les alentours.

Autre conséquence de cette situation : la généralisation du profilage racial (ou contrôle au faciès) à l’encontre des hommes noirs fréquentant les lieux. Souvent accompagnés de chiens, les agents de police effectuent des contrôles violents, autant verbalement que physiquement, parfois plusieurs fois dans la même journée, s’accompagnant souvent d’interpellations justifiées par une infraction à la LEtr (loi sur les étrangers). Cela signifie que même si aucune possession de drogue ou autre infraction à la loi n’est constatée, la personne ira quand même en prison, avec à la clé un renvoi potentiel dans son pays d’origine.

Il est aisé de concevoir que les questions de politique d’asile, d’accès au marché du travail, d’accès au logement et les contrôles humiliants répétés et systématiques travaillent de concert à une précarisation systémique de ces populations.

Les événements du 7 et du 21 juillet apportent des éléments nouveaux à cette situation : la répression menée par la police ne se tourne plus uniquement vers les sujets premiers du racisme d’état, mais aussi vers les personnes exprimant de la solidarité envers eux.

Nous assistons aujourd'hui à un durcissement des pratiques policières à l'encontre de n'importe quel témoin, n'importe quel individu souhaitant exprimer l'injustice de la situation à laquelle il assiste.

Il est difficile d’interpréter cette politique de pression autrement que comme une volonté de faire taire des voix pouvant se révéler gênantes. La police assume par là une fonction politique de renseignement et d’intimidation au service de l’ordre social bourgeois, ce qui est une de ses principales fonctions historiques.

Compte rendu du 7 juillet :

Le matin du dimanche 7 juillet 2019, à la fin de la fête de la Pride qui se tenait à l’Usine (Genève), un groupe de personnes sortant de soirée se retrouve vers l’entrée de l’Usine à l’abri de la pluie. Une patrouille de la police cantonale passe alors qu’une une femme cisgenre blanche danse en culotte sous la pluie. La police lui ordonne de se revêtir. Elle les contredit fortement et ne leur obéit pas. Les policiers n’insistent pas plus mais repassent de l’autre côté du bâtiment de l’Usine. Une personne noire traverse alors la rue devant eux. La voiture de police s’arrête et les deux officiers sortent pour le contrôler. Une personne noire s’asseoit à 20m d’eux et les observe. Une autre personne, blanche et d’apparence non-binaire, qui a vu la situation, se détache du groupe de fêtard.e.x.s et va s’abriter de la pluie sous un arbre à quelques mètres du contrôle de police. La police dit à la personne noire qu’ils viennent de fouiller en plein milieu de la rue et à laquelle ils ont pris ses papiers qu’il ne peut pas être en Suisse avec ces documents. Ils lui disent de retourner en Italie, que c’est là bas qu’il doit être et pas ici. Et ils lui répètent de quitter la Suisse et de retourner dans son pays, et ce, avec un ton très irrespectueux et menaçant qui attire l’attention de la personne qui s’est abritée sous l’arbre. 
L’autre personne noire, assise non loin de là entend les policiers se justifier en anglais à la personne contrôlée “you know, we are only doing our job”. La personne demande donc en anglais (aux policiers qui viennent de parler en anglais également) : "What’s your job ? What’s your job ?" Et le répète à plusieurs reprises. 

Ces présences semblent déranger les policiers qui demandent à la personne blanche postée sous l’arbre de se déplacer. Iel se déplace de quelques pas tout en restant à l’abri de l’arbre à cause de la pluie. Ils lui demandent de se déplacer encore. Alors iel se met derrière l’arbre mais cela ne semble toujours pas leur convenir, ils lui disent de partir. La personne leur répond qu’iel allait partir dès que la pluie se serait arrêtée. Ils lui demandent de rejoindre les autres qui se trouvent toujours à l’abri du bâtiment à quelques mètres car iel les empêche de faire leur travail. La personne leur explique qu’iel ne les empêchait de rien, qu’iel s’est mis.e.x derrière l’arbre et déplacé.e.x comme exigé de leur part. Ils ajoutent que : "ça risque de lui coûter cher et qu’iel les empêche de faire leur travail."
Ils rendent finalement les documents à l’homme noir initialement contrôlé et lui disent de "se casser". 
Les policiers reviennent vers la personne blanche abritée sous l’arbre et lui disent alors : "Contrôle d’identité, vos papiers s’il vous plaît". Iel leur explique que ses papiers se trouvent dans son sac, vers les autres, et qu’iel va les chercher. Après les avoir cherché sans succès, la personne blanche leur explique qu’iel n’a pas ses papiers, ce à quoi les policiers répondent qu’ils vont l’emmener au poste.
Les personnes issues de la fête qui, jusque-là se tenaient à l’écart, approchent et commencent à former un cercle autour de leur amix pour empêcher que les policiers ne l’emmènent au poste et interpellent les policiers : "personne ne sera embarqué". À ce moment-là, un des policiers appelle du renfort. Entre temps, l’homme noir a réussi à partir. Le groupe continue à protéger leur amix ; l’un.e d’elleux propose de se réfugier à l’intérieur de l’Usine, mais celle-ci est fermée à clef. Les policiers insistent pour emmener la personne, l’un d’eux sort même sa gazeuse. Les renforts arrivent : on compte un fourgon, quatre voitures et une bonne dizaine de policiers en tout.

Les policiers insistent et le groupe cesse de résister par peur que la situation dégénère. Malgré tout, l’une des personnes noire du groupe, la même, qui a demandé "what’s your job ?", est violentée : elle est étouffée par un policier et voit son bras bloqué pas une clé de bras tandis que la personne qu’ils contrôlaient est embarquée. 
La personne qu’ils voulaient emmener se laisse faire, ils la menottent, face contre leur véhicule et lui tordent violemment les bras, et la font monter dans un véhicule. Iel aura gardé son calme tout du long.
L’une des membres du groupe demande les matricules des officiers présents. Certains lui refusent. Une policière l’informe qu’elle est membre de la brigade des Pâquis et que c’est là qu’ils emmènent son ami, pour vérification d’identité et obstruction à une opération de police. Il est environ 7h45 à ce moment.
On souligne qu’une seule personne est embarquée alors que tout le groupe a fait entrave au déroulement de cette opération policière.

Une fois au poste, les policiers insistent pour qu’iel s’excuse, ce qu’iel refuse de faire, et que c’est iel qui a provoqué tout ça. Ils l’emmènent en cellule, où iel subit une fouille anale et contrôle d’alcoolémie, le tout porte ouverte tout en lui demandant si "c’était bien la Pride ?".
Ils lui font croire que la vérification d’identité est compliquée, que son nom de correspond à rien d’existant. Après avoir insisté, ils finissent par l’identifier.

Aux alentours de 8h45, le groupe arrive au commissariat, accompagné d’un ami avocat, et demande si leur amix est là. Une policière leur répond que oui et qu’iel va rester 3 heures au poste. Le groupe dit que si l’identité est vérifiée, ils n’ont plus aucune raison de le garder. Dans le cas contraire, iels proposent de prendre ses clés pour aller chercher ses papiers à son logement. Le groupe dit que l’avocat de la personne gardée au poste est présent et qu’il faut lui transmettre l’information pour qu’iel le voit si iel pense en avoir besoin.

Quelques minutes plus tard, les deux policiers qui patrouillaient au tout début de cette affaire viennent voir le groupe dans le hall du commissariat, pour soi-disant discuter. Ils veulent nous faire comprendre pourquoi ils ont procédé ainsi, qu’il en allait de la sécurité de tout le monde, que c’est leur métier. Le groupe précise qu’il ne veut pas entrer en matière sur les raisons de cette garde à vue, puisque de toute façon ielles ne seront jamais d’accord sur ce point avec la police. Les policiers disent à certain.e.s qu’ielles sont impoli.e.x.s, qu’ielles ont de la chance de ne pas s’être fait.e embarqué aussi, font des menaces et demandent à nouveau des excuses.
Le groupe demande à nouveau qu’ils relâchent leur ami, qu’il n’y a plus aucune raison qu’ils le gardent au poste, et que son avocat est ici. Ce à quoi l’un des policiers répond que ça ne sert à rien de voir son avocat dans cette situation et qu’iel n’en a de toute façon pas le droit. L’avocat conteste cette information. Le policier ajoute que l’avocat est ivre de toute façon sur quoi ce dernier précise être sobre et demande de faire un test d’alcoolémie si besoin. Le policier finit par dire qu’ils pourraient très bien garder leur ami trois heures, mais qu’ils vont quand même le relâcher par bonté.

Les policiers retournent dans la cellule pour dire à la personne retenue qu’iel a beaucoup de chance, que son avocat est là, et que c’est pour ça qu’iel est libre à présent.

Compte rendu du 21 juillet :

Dans la nuit du dimanche 21 au lundi 22 juillet, aux alentours de 21h30, une voiture de police banalisée arrive sur la place des Volontaires (Genève), manquant de rouler sur des personnes assises par terre. Deux flics en tenue d’intervention et un chien en sortent et partent en courant sur la passerelle du Bâtiment des Forces Motrices (BFM). On les entend dire qu’ils n’ont pas encore reçu le descriptif de la (des) personne(s) qu’ils cherchent tout en lâchant le chien et en commençant à courir. De la direction où sont partis les flics, on entend des cris et des aboiements. 

De nombreuses personnes se lèvent pour s’aviser de ce que fait la police, l’observation extérieure et la pression qu’elle peut engendrer s’étant montrée un outil efficace face aux violences policières.

De nouvelles voitures de police arrivent à toute vitesse en faisant crisser leurs roues, frôlant à nouveau une collision avec des passants. 

La police d’intervention revient de l’arrière du BFM après y avoir interpellé une personne noire, puis, avec leurs collègues arrivés entre temps, bloquent les camarades et ne veulent pas les laisser rejoindre la foule. C’est à ce moment que trois personnes venues en solidarité sont interpellées.

Une autre personne est ensuite interpellée au milieu de la foule. Trois agents courent vers lui et lui sautent dessus après avoir abondamment utilisé leur spray au poivre à 10 cm du visage. Il est alors plaqué au sol violemment et amené de l’autre côté du cordon de police, à l’écart des quatre autres personnes retenues. Les agents lui mettent les menottes en lui plaquant brutalement la tête contre le mur tout en l’attrapant par le cou alors qu’il n’opposait aucune résistance. C’est lors de cette intervention que la police a également gazé une grande partie de la foule présente sur la place des volontaires.

La soirée au zoo a été interrompue et des annonces ont informé les gens de la situation sur la place. Le public est sorti en solidarité. 

Le nombre de policiers présents sur place ne cesse d’augmenter pour arriver à plus de trente. 8 voitures de service, 1 voiture d’intervention, 1 fourgon et un bateau ont été mobilisés face à une foule d’environ 60 personnes qui filmaient et criaient des slogans ("tout le monde déteste la police", "libérez nos camarades"). 

Alors que les policiers atteints par leurs propres gaz s’aspergent abondamment d’eau, les camarades arrêtés demandent à plusieurs reprises que l’on donne de l’eau à la personne qui avait été gazée, qui finalement en reçoit une quantité ridicule.

Les policiers demandent aux trois personnes blanches du groupe de quatre de décliner leur identité en leur disant que si ielles la leur donnent, ils vont les laisser partir. Les trois demandent alors à la personne noire si cela lui convient. Ielles obtempèrent après son approbation. La personne isolée du groupe se voit également demander son identité ainsi que son numéro de téléphone avec également la promesse de sa libération à la clé. Quelques instants après s’être identifié.e.x.s, la police revient et commence à les embarquer sans prévenir. Malgré l’assurance de leur libération, les quatre personnes solidaires se font embarquer avec violence. Les policiers les plaquent brutalement contre le mur, leurs tordent les bras, leurs disent : "ça vous apprendra à empêcher la police de faire son travail et à nous détester". Une des personnes est plaquée au sol avec trois policiers à genou sur elle afin de lui mettre des menottes. Suite à cette intervention plusieurs personnes seront blessées.

45 minutes après leur arrivée, les policiers partent sous les cris de la foule solidaire. Dans la voiture, ils n’hésitent pas à utiliser des insultes putophobes envers les personnes du public en les traitant entre autres de "sale pute". 

A l’Usine, le concert reprend dans une ambiance consternée. Des informations sont données au micro durant la soirée, mais le lieu dans lequel les 5 personnes ont été enmené.e.x.s est inconnu.

Aux environs d’une heure du matin, ému.e.x.s et enragé.e.x.s par la violence de laquelle ielles ont été témoins, une trentaine d’individus décident d’aller chercher les cinq personnes embarquées par la police. Ne sachant pas dans quel commissariat ielles ont été amené.e.x.s, la foule se rend à celui de Carl Vogt.
Sur place, les policiers réaffirment qu’ils ne peuvent (veulent) pas donner d’informations.

La décision est alors prise d’aller voir si ielles sont dans un autre commissariat. C’est alors que démarre une petite manif sauvage au travers de la ville au son des slogans : "avenir féministe, avenir décolonial, avenir queer queer, avenir génial", " oooh ooooh oooh ooooh, sheiss polizei, sheiss polizei", "tout le monde déteste la police".

Un peu avant trois heure du matin, la police ne voulant pas transmettre le lieu où ielles étaient enfermé.e.x.s, les personnes présentes sont rentrées chez elles après avoir été rassuré.e.x.s sur la santé des personnes enfermées. Par la suite, nous avons appris que l’affirmation qu’aucune des personnes interpellées n’avait demandé la visite d’un médecin était mensonge. En effet, la personne qui avait été gazée demande une prise en charge médicale dès son transport au poste aux environs de 22 heure. De plus, au commissariat, alors qu’elle continue à demander à voir un médecin ainsi que de l’eau pour se rincer des gaz, les policiers qui avaient vomi et s’étaient rincé abondamment à cause des gaz lacrymogènes viennent derrière sa porte et disent "ça fait rien les lacrymos, pleurnichard, tapette !". Finalement aux alentours de 2h30 alors que les personnes solidaires mettaient la pression, la police a accepté de faire venir un médecin pour la personne emprisonnée en lui disant que "ça prendra 2 heures” ; il arrivera à 4h du matin. Juste avant que le médecin n’arrive, les agents permettent finalement à notre camarade de se rincer.

Lors de l’incarcération, les personnes sont enfermées dans des cellules individuelles et reçoivent des insultes dégradantes à plusieurs reprises, entre autres sur des questions liées à leur genre. Par exemple, lorsque des agents ouvrent la fenêtre de la cellule d’une première personne pour dire "homme ou femme on sait pas" avant de repartir ou encore lorsque la police demande à une autre "t’as un minou ou une saucisse entre les jambes" alors que la personne trans* demandait expressément à être fouillée par une femme.

Ils ont également fait preuve de comportements abusifs et injustifiés. Notamment en ouvrant la fenêtre pour fixer d’un air satisfait et provocateur les personnes enfermées, en tirant régulièrement la chasse d’eau dans les cellules sans que ça ait été demandé et en claquant le loquet de la porte à chaque fois qu’ils passaient. Certain.e.x.s sont tenu.e.x.s dans des cellules sans lit et sans toilette avec la lumière allumée toute la nuit. Les policiers ont mis environ deux heures avant de donner à boire alors que c’était demandé fréquemment. Et au moment où ils ont daigné amener de l’eau, ce n’était pas sans dire : « comme ça on pourra rien nous reprocher... ».

Le temps au poste a duré environ 20h pour les quatre personnes solidaires. Nous n’avons toujours pas de nouvelles quant à la situation de la cinquième personne.
EDIT du 26/07 : Le ministère public a communiqué que la cinquième personne, celle qui était visée par le contrôle raciste, aurait été libérée le même jour que les autres. Nous cherchons à être mises en contact avec cette dernière.

Décalage entre la version de la police et ce qui a été vu et ce qui ressort sur les ordonnances pénales :

Nous avons été étonné.es d’apprendre dans les journaux que « six personnes ont été arrêtées pour avoir entravé l’action des forces de l’ordre », (Jean-Philippe Brandt, porte-parole de la police cantonale, Le Courrier du 22.07.2019). En effet, à notre connaissance et selon l’ordonnance pénale cinq personnes ont été interpelées, une suite à un contrôle raciste et quatre pour s’y être prétendument opposées. 

Nous apprenons également que « une patrouille partie de Rive poursuivait deux personnes en infraction sur un scooter. Elles refusaient de s’arrêter et se sont réfugiées sur la place des Volontaires » (J.P. Brandt, Le Courrier du 22.07.2019). Alors que sur la place nous n’avons vu aucun scooter. 

Que penser de ces versions différentes entre les ordonnances pénales et le récit du porte-parole de la police ? Les agents sont-ils arrivés sur place à la recherche de ce scooter ? Pourquoi alors interpellent-ils une personne noire à pied, seule ? Les policiers se seraient-ils repliés sur leurs habitudes racistes afin de ne pas perdre la face devant une foule et devant leur hiérarchie ?

P.S.

PS : si vous avez des informations ou des témoignages concernant ces événements ou le même genre de situation, contactez le Groupe Anti-répression : antirep-ge@riseup.net

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