"Dagun, étudiant tchétchène de [Bachelor] en Faculté des Lettres (en français langue étrangère et russe) est en détention administrative à Frambois depuis 15 jours, suite au refus de sa demande d’asile déposée en 2010 par sa mère, son frère et lui. Un retour en Russie par vol spécial est prévu probablement pour cette semaine. Dagun s’étant exprimé publiquement pour défendre la langue et le peuple tchétchène, des inquiétudes quant à ce qui l’attend lorsqu’il sera remis aux autorités russes semblent fondées. Des efforts incessants ont été faits depuis deux semaines par l’Université pour tenter de trouver une solution, sans résultat pour le moment."
Durant plusieurs semaines, le rectorat de l’Université a en effet tenté vainement de suspendre le renvoi de Dagun en alertant directement le département de Pierre Maudet. Celui-ci, comme à son habitude, prétend qu’il a les mains liées par les directives du Secrétariat d’Etat à la migration (SEM), qui reste compétent pour ordonner un renvoi et dont la décision possède un "caractère contraignant pour les cantons (art. 46, al. 1, LAsi)" (directive du SEM sur l’exécution du renvoi).. 200 personnes étaient rassemblées ce mardi 20 décembre pour protester contre ce renvoi, et fêter tristement l’anniversaire de Dagun en son absence, alors qu’il croupit au centre de détention de Frambois dans l’attente de son vol.
Mais plus qu’une acceptation servile de directives fédérales immondes, on assiste à Genève à un zèle sans précédent, tant juridique que politique, dans l’alimentation de la machine à expulser et à broyer les vies des personnes en exil.
Un zèle qu’expriment les statistiques de la police cantonale genevoise. « En 2014, les processus de travail de la brigade de lutte contre la migration illicite ont été entièrement revus afin d’augmenter l’efficacité du traitement des dossiers de renvoi. Le nombre de renvois traités par cette brigade a ainsi augmenté de 40% entre 2013 et 2014, passant de 658 en 2013 à 1068 en 2014. »
Un zèle salué par Berne, qui se réjouit que les services de Pierre Maudet mettent les bouchées double pour renvoyer à tour de bras. Vous vouliez que Genève gagne un prix ? Réjouissez-vous, nous sommes l’une des tête de pont de la déportation helvétique : « Le SEM salue les résultats réalisés par le Canton de Genève en matière de renvoi depuis le mois d’octobre 2014 et l’invite à redoubler d’efforts en la matière », indique sa porte-parole, Céline Kohlprath. Le SEM souligne en effet que le Canton « se voit attribuer 5,8% des requérants d’asile arrivant en Suisse. En revanche, Genève héberge actuellement 7,3% des cas suisses en attente de renvoi. Cet effectif est de 26% supérieur à la moyenne de l’ensemble des cantons. »
Un zèle qui embarrasse jusqu’à ses collègues du Conseil d’État qui rompaient la collégialité d’usage et s’exprimaient dans ces termes, après un énième renvoi d’une famille dont les enfants étaient scolarisés à Genève. « Je n’ai pas de problème à dire que Genève devrait résister, comme l’a fait le canton de Vaud, mais résister en interpellant Berne, car in fine la responsabilité est là-bas » nous dit un des Conseiller d’État à la voix discordante. Une belle (quoique timide) envolée qui restera cependant un vœux pieu tant la politique d’asile mise en place, et à laquelle ils participent, se transforme en une gestion carcérale de l’asile. Sept bunkers ouverts en temps de paix, 400 personnes en exil enterrées sans espoir proche de revenir à la surface, une incapacité totale des autorités à mettre en place des conditions d’accueil dignes qui s’apparentent à une absence de volonté malgré un mouvement de plus de 2 ans, sont autant de stigmates de cette carcéralisation. La future construction du centre fédéral de renvoi au Tilleuls en lieu et place d’un des rares foyers d’accueil du canton en est une autre.
Un zèle que l’on retrouve du côté de ministère public, avec les fameuses directives Jornot, qui ont mis en pratique l’enfermement pénal des sans-papiers pour infraction à loi sur les étrangers (LEtr) et qui a largement contribué à la surpopulation à Champ-Dollon.
Et, bien souvent au milieu de toute cette horreur, Pierre Maudet. Un homme que nous subissons actuellement au Conseil d’État, mais dont les ambitions vont au-delà. Un homme qui s’imagine si bien à Berne, qu’il est prêt à tout pour s’attirer les bonnes grâces fédérales. Au point de promulguer la construction d’un centre fédéral de départ pour être sûr d’être le premier de la classe. Au point de nier une grève de la faim de plusieurs dizaines de jours menée par un membre du mouvement No Bunkers en 2015 pour se donner l’image de la fermeté. Au fond, la seule chose qui intéresse vraiment Pierre Maudet, c’est Pierre Maudet.
La machine à expulser est un énorme dispositif qui prend racine tant dans les lois européennes, avec les accords Dublin en tête de file, que dans les lois fédérales. Elle s’appuie sur un climat de haine entretenu par les médias et les politiques qui présentent la migration comme un problème à résoudre. Nous, nous voyons des êtres humains, des ami.e.s, dont on détruit les vies. Des ami.e.s qui ne sont pas tou.te.s des « bon.ne.s » migrant.e.s qui « méritent » de rester, selon les termes que prend trop souvent le débat. Mais nous refusons cependant de ne pas voir que, derrière ce « on », il y a des responsables et que, sous couvert d’œuvrer pour le bien commun, ils sont en réalité occupés à construire leur carrière sur l’anéantissement d’autres existences.
Collectif Sans Retour
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