Le lundi 11 avril, un journal régional se faisait l’écho, avec la distance critique qui le caractérise, de l’enthousiasme de la responsable de l’unité Actions intégration de l’Hospice général, Katia Zenger « Il existe à Genève un énorme mouvement de solidarité avec les migrants. C’est extraordinaire. » Presque autant que la mauvaise foi à l’oeuvre dans l’article, où l’on sent le besoin de l’institution de ravaler sa façade, largement salie par les dénonciations successives de ses pratiques révoltantes.
Une politique faite de racisme et de ségrégation : mensonge et omission pour redorer le blason terni de l’institution
On apprend dans l’article que l’Hospice, incapable de répondre, durant des mois, aux propositions d’aide bénévole et d’accueil de migrant-e-s émanant de personnes solidaires, a réalisé « le trait d’union entre migrants et société civile ». La vaste opération de communication lancée en mars avec la présence du Festival du film et forum international sur les droits humains (FIFDH) dans les foyers prend un nouvel élan. Après s’être félicité de permettre à cette fameuse société civile de passer de brefs moments avec les requérants d’asile, en étant tout de même le plus souvent cantonnés dans la cour du foyer, l’Hospice prétend maintenant être à la pointe de l’intégration.
Soudainement, on lit dans la bouche d’une responsable de l’Hospice que « les professionnels sont très utiles, mais [qu’]on ne s’intègre pas auprès d’eux. Pour les migrants, sortir du foyer de l’anonymat, c’est énorme », et on se doit alors de rappeler quelques faits. Par exemple, qu’il est toujours interdit pour toute personne n’appartenant ni à l’institution, ni à la police, ni aux quelques rares élu-e-s d’associations caritatives d’entrer dans un abri PCi ou dans les foyers. Qu’une des principales missions de l’Hospice général reste la gestion de l’ordre et de la répression des migrant-e-s au travers d’une collaboration étroite avec la tristement nommée « Cellule requérant d’asile » de la police cantonale. Que les travailleurs de l’institution qui s’indignent de leur rôle au quotidien sont muselés par un secret professionnel pour éviter toute fuite. Que plusieurs plaintes sont encore pendantes pour violation de domicile, parce que des personnes non-migrantes ont été contrôlées par la police dans les environs du foyer.
Comme si la « société civile » avait attendu le réveil du monstre
Le collectif Stop Bunkers, rassemblant des migrant-e-s habitant à Genève dans des abris PCi gérés par l’Hospice, n’a pas attendu la bénédiction de l’Hospice général pour partir à la rencontre des habitant-e-s vivant à la lumière du jour. Les milliers de personnes qui défilaient dans la rue en soutien au collectif No Bunkers, qui occupait le Grütli en juin 2015 pour s’opposer à un transfert massif de requérants déboutés de foyers vers les bunkers, n’ont pas eu besoin d’un quelconque « trait d’union » institutionnel. Eux qui amenaient quotidiennement leur énergie, leurs dons, leur solidarité, n’ont pas attendu pour lutter aux côtés de personnes refusant d’être enterrées pour des mois dans des conditions jugées inhumaines par des organismes aussi peu partisans que la Commission nationale de prévention de la torture. Ils n’ont pas attendus non plus pour se rendre dans les foyers, notamment aux Tattes, où des centaines de personnes avaient partagé un repas au printemps 2015, ni pour rencontrer les habitants de bunkers, comme au tout premier thé de Noël à l’abri d’Annevelle, fin 2014.
L’Hopice général est avant tout et surtout une institution de gestion de la misère. Et la misère, dans notre beau canton comme partout en Europe, on la cache, on l’éloigne, on la réprime quand elle déborde. D’où l’envoi quotidien des forces de l’ordre au bunker de Gabelle, à Carouge, alors qu’éclatait tout récemment une grève des infâmes plateaux repas. Comme ces intendants d’abris, employés de l’Hospice, qui entretiennent la terreur au sein des personnes hébergées pour éviter qu’elles ne se plaignent de leur sort. Ou ces humiliations répétées de migrants transférés dans des bunkers après des années passées dans des foyers à qui l’on empêche de récupérer leurs affaires. Ce ne sont là que quelques exemples de la politique migratoire raciste à l’oeuvre en Suisse et à Genève et dont l’Hospice général est un maillon non négligeable.
Premiers touchés, premiers debouts : des migrants en lutte depuis plus d’une année
Le 19 mars 2016, le collectif Stop Bunkers dressait un constat de la situation dans une lettre, un an après avoir une première fois interpellé les autorités et dont nous reproduisons plusieurs extraits ci-dessous [et en pièce-jointe]. « Un an après, non seulement la situation ne s’est pas améliorée mais elle a même empiré : de deux abris initialement ouverts en 2015 nous en comptons bientôt onze. Nous, personnes en exil logées par le service d’hébergement de l’AMIG, nous unissons pour dénoncer une nouvelle fois des conditions de vies indignes et inhumaines que nous avons connues, que nous connaissons ou que nous risquons à tout moment de connaître. »
Des conditions de vie imposées à des personnes sous la responsabilité de l’Hospice, qui ne sont pas que le fruit de la politique inhumaine décidée par les autorités cantonales et fédérales. Rien n’a été fait pour améliorer les « problèmes d’hygiène, de nourriture et de sommeil, qui altèrent gravement [la] santé tant physique que psychique » des migrants en bunkers. Ni cette « nourriture préparée depuis des jours, qui stagne dans les frigos, et qui est régulièrement avariée. » Pas plus que cette « lumière, allumée 24 heures sur 24. » Une réalité dénoncée depuis plus d’un an et qui n’a jamais été prise en compte par l’Hospice général et qui désintègre lentement mais sûrement des personnes déjà profondément traumatisées par leurs parcours migratoires.
Un constat qui s’étendait également à la réponse des autorités au mouvement de l’été 2015. « La réponse de la police et de l’Hospice général face à ce mouvement de solidarité a été essentiellement répressive (interdictions de se rendre dans certains foyers, nombreuses arrestations, parfois même dans les locaux de l’OCPM à Bandol). Cela signifie-t-il qu’en prenant la parole publiquement pour dénoncer les conditions de vie qui nous sont imposées nous prenons le risque de nous exposer à la répression ? Nous refuse-t-on le droit de chercher collectivement à faire évoluer une situation dont nous souffrons ? » Les « efforts d’intégration » iront-ils plus loin qu’un accusé de réception à cette lettre ?
Certainement, puisque l’Hospice s’occupe « aussi du logement chez les privés ». Ce même hébergement qui avait été refusé durant l’été 2015 par Pierre Maudet et Mauro Poggia, conseillers d’État, comme par Christophe Girod, directeur de l’Hospice général, précisément parce que celui-ci risquait de favoriser l’intégration de migrant-e-s débouté-e-s destiné-e-s à être renvoyé-e-s dans leur pays, entravés commes des animaux en cas de refus. L’Hospice joue à temps plein le jeu du bon et du mauvais migrant, de l’intégration et de la non intégration. Il permet au mieux à certain-e-s au bénéfice d’un permis de séjour de se faire exploiter pour 300 CHF par mois pour un mi-temps, sûr de disposer d’une armée de réserve de démuni-e-s si l’un-e d’eux viendrait à se plaindre. Il coupe l’aide d’urgence des débouté-e-s, les forçant à manger de la nourriture périmée et à dépérir lentement dans des bunkers insalubres, avec l’interdiction de travailler et plus rien pour survivre.
« Aujourd’hui, nous sommes en Suisse, « terre d’asile » et nous sommes reconnaissants à ce pays et à ses habitants de nous accueillir. Pourtant ici aussi, on nous empêche de mener une vie digne. » Cette description que font les migrant-e-s eux-mêmes du sort qu’on leur réserve est le fruit d’une politique ségrégationniste et raciste dans laquelle l’Hospice général porte une lourde responsabilité. Bien loin de la légèreté affichée dans les journaux.
Collectif Sans Retour