Un lundi après-midi, sous un soleil qui tape, j’erre entre les galeries d’art vides de la Jonction. Des branchouillards fument devant des graffitis sur toile pendant que des étudiants fument devant leur école de commerce. Le prochain bus qui peut m’extraire de cet enfer propre-sur-lui ne passe que dans 15 minutes ; je décide de marcher un peu. Mes pieds me mènent devant le MAMCO où des gens s’affairent à démonter les restes de la bétaillère festive du week-end. Et là, en lettres grasses et majuscules, je lis “Exposition INTERFOTO”. Attiré, je me faufile dans cet espace sans âme, et entame la visite, seul.
Quiconque s’est déjà penché sur les archives militantes de Genève a probablement en mémoire de belles photographies en noir et blanc qui documentaient les luttes d’alors. Et généralement, c’était le collectif Interfoto qui était derrière ces images. Fondée en 1976, proche du mouvement d’alors, l’agence Interfoto a mené - et mène toujours - un grand travail collectif de reportage photo sur Genève et la Suisse. C’est un échantillon de son catalogue - des bribes des 9 livres publiés en 30 ans - qui est exposé jusqu’au 30 mai au Centre de la photographie de Genève.
Les images noir-blanc, fortement contrastées, capturent des moments de luttes, le quotidien du réduit suisse, des travailleurs saisonniers, de la vie de tous les jours dans ce doux goulag helvétique. En partant des luttes dans le quartier des Grottes, le champ s’élargit pour parler du travail en général, puis de celui des étrangers en particulier.
Dans cette exposition, c’est l’histoire locale qui se reflète. Du joyeux bordel des années 1970, on glisse sur le travail encore industriel des années 1980, puis sur l’angoisse de la Suisse qui fête ses 700 ans le fusil au poing. Le dernier opus d’Interfoto - “Mémoire éphémère” - avec ses affiches militantes décrépies, ses robocops et ses rues vides me rappelle que, aussi odieux que ce slogan sonne, Genève était certainement mieux avant.
L’exposition visitée, je me relance sous le soleil. Je passe devant l’énorme boîte de nuit / centre autogéré qu’est l’Usine. Sa façade ne fait que confirmer mes craintes : Le bâtiment vient d’être fraichement nettoyé de tous ses tags. À ces murs gris, je préfère le noir et blanc rigolard des débuts d’Interfoto. Et les couvertures des revues de gauche des années 1980 illustrées par la bande à Interfoto sont des bouffées d’air frais à l’époque du graphisme “Images Google” et de la phobie de l’objectif.