"Nous sommes réunis ici aujourd’hui pour commémorer les Şehid* internationalistes. Chaque époque historique, chaque lutte révolutionnaire, chaque lutte de libération développe ses propres formes et contenus concernant l’internationalisme. Nous en prenons conscience à travers Şehid Barbara Anna Kistler ainsi qu’avec de nombreux autres Şehid du Rojava.
Barbara Kistler, ainsi qu’Andrea Wolf, ont cherché “la voie de la montagne”** en rejoignant un parti révolutionnaire ou un mouvement de libération. Elles en ont adopté le contenu, les formes, les stratégies et les tactiques, se les sont appropriés dans le but de créer une société libérée. Les combattant.e.s internationalistes de la guerre civile espagnole ont rejoint un front international antifasciste limité à l’unité dans la lutte antifasciste. Ils/elles n’en ont pas forcément adopté son contenu. Tout comme les internationalistes qui ont soutenu et combattu dans les luttes révolutionnaires en Amérique latine mais qui n’ont pas nécessairement adopté leur idéologie.
La plupart des Şehid honorés ici ont suivi l’appel du mouvement kurde à se joindre à la révolution au Rojava. Ceci afin de participer à cette expérience révolutionnaire et de rapporter leurs expériences dans leur pays d’origine.
Au début de 1990, Barbara Anna Kistler a rejoint le parti révolutionnaire turc TKP-ML et son bras armé TIKKO. Au cours de sa période militante dans Revolutionäre Aufbau Schweiz, elle est parvenue à la conviction que la lutte armée en Turquie dans le cadre de la révolution prolétarienne au Proche-Orient a une importance stratégique. Elle a donc décidé de suivre l’appel des camarades là-bas. Elle est allée à la montagne.
Le coup d’Etat au Chili a marqué Barbara et l’a amené à se confronter à la question du communisme et de la violence révolutionnaire. Pour Barbara, comme pour beaucoup d’entre nous, le renversement du gouvernement de front populaire d’Allende a été dramatique. Il est devenu évident pour tous, au plus tard à ce moment là, que la voie pacifique vers le socialisme était une illusion. La bourgeoisie n’a peur d’aucun massacre, aussi grand soit-il, quand il s’agit d’empêcher la libération du prolétariat. Barbara s’exprimait alors à 15 ans, dans le magazine POP avec des mots concis :
"A travers des confrontations avec la police, j’ai été très tôt confrontée à la question de la violence. Je crois que l’on peut d’abord parler de la violence que la société utilise pour transformer les enfants en soi-disant citoyens. Ou la violence utilisée pour empêcher les jeunes et les travailleurs de défendre leurs intérêts. Pensez seulement au Chili. Là-bas, le mouvement ouvrier a essayé de réaliser une société juste par des moyens démocratiques. Une société dans laquelle plus seulement les riches peuvent manger à leur faim.
Les capitalistes et leurs généraux, qui voyaient leurs privilèges menacés, ne craignaient rien. Les travailleurs ont été placés dans des camps de concentration, torturés et tués par milliers. Mais les travailleurs chiliens ont commis une erreur : au lieu d’être massacrés, ils auraient dû se préparer à la lutte armée contre les sbires capitalistes."
Barbara Kistler a été arrêtée lors d’un raid majeur à Istanbul en mai 1991. Comme tous les prisonniers politiques en Turquie, elle a été déportée pendant 14 jours au centre de torture Gayrettepe. Là, elle a été torturée sans interruption pendant les 40 premières heures. Après 14 jours dans une prison de torture, Barbara a été transférée à la prison de Bayrambasa. Barbara a écrit :
“Tout révolutionnaire doit faire preuve d’abnégation de soi à tout moment et dans n’importe quelle condition. Tout en luttant contre ses qualités négatives, il doit aussi développer ses qualités positives. Tant que la lutte des classes existera, les classes dirigeantes enfermeront les révolutionnaires et le peuple en otages dans les prisons. La prison en tant que lieu est intégrée dans la lutte des classes. L’adage”la prison est une école“est tout à fait vrai. En prison, on récapitule le passé et on prépare l’avenir. En même temps, vous apprenez à poursuivre la lutte dans un environnement défavorable. Vous apprenez à participer en tant que prisonnier à la lutte à l’extérieur et à trouver des solutions. J’ai essayé de regarder de plus près l’ennemi et de tirer les leçons de ma situation ; en tout cas, j’ai été encore renforcé dans ma conviction de vivre pour la cause de la révolution prolétarienne.”
Lorsque Barbara est sortie de prison et a été ramenée en Suisse, il était clair pour elle qu’elle voulait retourner dans les montagnes de Dersim afin de rejoindre la guérilla du TKP/ML, le TIKKO. Malheureusement, le temps qu’elle a eu pour mener la lutte armée dans la région de Dersim a été très court. Leur unité a été prise en embuscade par l’armée turque et n’a pu battre en retraite qu’après trois jours de combats. Barbara a été grièvement blessée et est décédée peu après, en février 1993, des conséquences du froid et des blessures à Dersim.
Dans notre combat, elle continue à vivre !
Şehid namirin*** !"
* Terme utilisé au Kurdistan et en Turquie, en autre pour designer les révolutionnaires mort.e.s au combat.
** Au Kurdistan et en Turquie, “suivre la voie de la montagne” signifie rejoindre la guerilla.
*** Les Şehid ne meurent jamais !