Répression - Enfermement

Ils ont tué Umüt. Nous n’oublierons pas

Il y a 10 ans Umüt Kiran, 18 ans mourrait sous le balles de la police vaudoise. Le 17 mars de la même année Joseph Ndukaku Chiakwa, un requérant d’asile débouté est décédé sur le Tarmac à Zurich lors de son expulsion de force. Encore quelques jours plus tôt les maton·ne·s laissaient Skander Vogt mourrir dans sa cellule à la prison de Bochuz. La responsabilité de l’état ne fait aucun doute dans ces trois assassinats représentatifs du système répressif Suisse. D’un côté le système carcéral, d’un autre côté le système de “l’Asile” et pour finir la police et la violence qui va avec. Pour être complets, nous devrions aussi parler du système judiciaire. Dix ans après, les procédures judiciaires suivant ces trois affaires sont toutes closes, et elles ont le mérite d’avoir démontré que le travail de la justice, dans ce genre de cas, consiste principalement à blanchir l’état et ses sbires.

En 2010 ces affaires avaient fait pas mal de bruit, un rassemblement avait eu lieu à Lausanne puis une manifestation à Fribourg ou le frère d’Umüt était incarcéré. Rien n’a changé depuis, en 2016 c’est Hervé Mandundu qui mourrait entre les mains de la police, en 2017 Lamine Fatty et en 2018 Mike Ben Peter. Il y a aussi tous les cas dont nous n’avons pas connaissance car la violence raçiste de l’état, de sa police et de ses prisons se reproduit chaque jour.

Nous publions ici un tract écrit quelques jours après la mort d’Umüt.

Fribourg |

Un jeune de Vaulx-en-Velin se fait descendre par les flics à la frontière pour un vol de bagnole. L’histoire est simple, c’est celle de l’exécution d’Umüt. Après le vol de trois véhicules chez un concessionnaire, les policiers ont organisé une véritable chasse à l’homme. Des flics les tracent, d’autres les attendent en embuscade dans un tunnel. C’est pas compliqué pour les keufs de les pister sur ces autoroutes blindées de caméras, c’est pas compliqué de savoir où et à peu près quand ils vont passer dans ce tunnel. L’autoroute est bloquée, il y a deux voies, d’un côté une caisse de keufs, de l’autre une herse pour crever les pneus. Tout est réglé, le piège se resserre. Une voiture de touristes manque de faire rater l’embuscade, les keufs braquent ces braves citoyens, les insultent et leur ordonnent de dégager. La caisse où se trouvent Yunus et Umüt arrive sur la herse et se fait crever les pneus. Un des flics tire 7 balles au fusil mitrailleur, coup par coup. Umüt prend une balle dans le front. Les keufs ont réussi leur coup. Yunus assiste à la mort de son pote et se fait enfermer à Lausanne. Les gens dans les deux autres voitures ont réussi à s’en tirer. L’enquête se poursuit. Deux jours après, c’est Erdal, le frère jumeau d’Umüt, qui est arrêté à la frontière suisse alors qu’il vient avec sa famille chercher le corps. Les flics l’embarquent, il ne pourra pas assister à l’enterrement de son frère : il est incarcéré en Suisse, à Fribourg.

Ce n’est pas une bavure, ce n’est pas un accident.

Cette histoire n’est pas un hasard parce que la police, en Suisse, en France, partout, a pour but de maintenir l’Ordre. La Démocratie, ça veut dire une police prête à tuer pour écraser ceux qui refusent de jouer le jeu des gagnants, ceux qui refusent de marcher droit. Ils ont tué pour l’exemple, pour défendre leur monde, leur paradis de riches. C’est pas la première fois que la police tue, ni la dernière. Et quand la police ne tue pas, elle mutile, à coups de flash-ball et de tonfa. Toujours pour nous faire baisser la tête. Ils nous crèvent un œil avec leurs balles en plastique, parce qu’on refuse de baisser le regard. Et quand elle ne broie pas les corps, la police tue à petit feu, par l’occupation du territoire, les contrôles systématiques, les vigiles, les caméras... Quand c’est pas nos morts qu’on enterre, c’est nos frères qu’ils emmurent vivants dans leurs prisons, vieilles ou modernes.

Cette histoire n’est pas un hasard parce que la police ne tue pas n’importe qui. Les keufs s’attaquent aux vies qui débordent, aux gens qui refusent de se laisser marcher sur la gueule et de marcher sur leurs voisins pour réussir. Des gens qui refusent de regarder passer les voitures de riches en bavant. Donc ça prend l’argent là où il est, tout simplement. Et ça se laisse pas enfemer dans une vie de con, individualiste, travailler pour consommer, sans être lié à un quartier, sans être pris par ces amitiés qui nous tiennent. A vie. Ils tirent sur des existences qui sont en elles-mêmes un crime. Nos vies les menacent, parce qu’on préfère notre quartier à la France, on préfère notre famille à leurs flics, on préfère notre bande à leur justice. On partage ce qu’on a, on n’écrase pas nos voisins, on laisse pas tomber nos proches, et on balance pas nos potes. Ils nous tuent parce qu’on refuse leur taff, parce qu’on n’a pas besoin de leurs flics, parce qu’on préfère se débrouiller sans eux et contre eux. Umüt est mort parce qu’il était beaucoup trop vivant pour ce monde et sa police. Ils nous tuent parce qu’on a de la force.

D’un côté, ils ont une stratégie militaire et sociale pour nous dompter ; de l’autre, nous on a notre propre force, nos propres liens et moyens de survie. Quand ces deux logiques totalement opposées se rencontrent dans un tunnel, il y a la mort au bout - pas de hasard.
Cette mort, c’est nos vies.

“La plus belle vengeance, c’est partir de ce réflexe solidaire pour nous organiser, pour lier nos vies contre ce qui nous écrase.”

Alors, maintenant c’est à nous de nous organiser ensemble pour être toujours plus forts, pour passer leurs barrages, supporter le taff, traverser les taules, vivre. Quand Umüt est mort, nous avons eu le besoin de nous retrouver. On était 500 à l’enterrement à Vaulx. Certains connaissaient très bien Umüt, d’autres l’avaient juste croisé, mais on sentait tous que c’était vital pour nous d’être ensemble face à la mort. Une énergie nous traverse, un refus de laisser passer ça, un besoin de vengeance. La plus belle vengeance, c’est partir de ce réflexe solidaire pour nous organiser, pour lier nos vies contre ce qui nous écrase. Le frère jumeau de Umüt et Yunus, le conducteur de la voiture, sont en taule. Pas question de les laisser tomber ou d’avoir peur. On trouvera l’argent et les avocats pour les faire sortir. Et on fera du bruit dehors, pour leur montrer qu’on est pas morts.

Car on est déjà ensemble, face à la même police. Quand Zyed et Bouna sont morts dans un transfo en banlieue parisienne, en 2005, pour la première fois dans l’histoire, les quartiers ont brûlé la France. Quand Lakami et Mushin sont morts en 2007 sur une mini-moto, shootés par les keufs, Villiers-le-Bel s’est soulevée, et pour la première fois, l’organisation et la solidarité pour défendre le quartier ont débouché sur plus de cent policiers blessés au plomb, sans aucune arrestation sur le fait.

Notre histoire a fait moins de bruit médiatique parce que ça s’est passé en Suisse. Mais elle fait du bruit sous terre, en nous, entre nous, entre les quartiers, sur Lyon, en Suisse. Umüt ne sera pas juste un mort de plus sur une longue liste. C’est le moment de se capter ici et maintenant. On attendra pas encore un assassinat pour nous trouver.

Umüt vivra, dans nos cœurs, et dans nos gestes.

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