Antiracisme - Luttes décoloniales

[Lausanne] #balhec : quand l’étalement du luxe se fait au prix de l’exotisation d’une catégorie de personnes qui n’en bénéficiera jamais

En raison des événements qui ont fait suite à la dénonciation du Bal HEC (faculté des Hautes Études Commerciales) 2017, il nous a semblé nécessaire de revenir sur quelques points, non pas pour nous justifier, mais pour montrer à tous·tes l’étendue et la gravité de la situation. Nous voulons également revenir sur des notions essentielles comme l’appropriation culturelle et le racisme systémique, tout en éclairant les mécanismes qui ont amené à de telles manifestations de haine sur notre page. En effet, alors que toute l’histoire aurait pu être réglée rapidement si les modifications nécessaires avaient été entreprises par le comité HEC, les milliers de réactions haineuses qui ont fait suite à l’interpellation initiale sur la page facebook de l’AFU ont changé la donne. Une rencontre est prévue avec le comité HEC afin que nous puissions leur soumettre nos revendications, en ayant pris connaissance de leur communiqué (03.05.2017).

Lausanne |

Nous exigeons :

  • Que le comité HEC annule le Bal HEC 2017 ou au minimum change rapidement le thème du bal (y compris l’annulation immédiate du concours de costume),
  • que le comité HEC reverse l’équivalent d’une partie conséquente de la valeur des lots les plus chers de la Tombola à une association d’aide au développement des communauté Maasai (nous faisons volontiers bénéficier les donnateur·ice·s de nos contacts sur place, mais toutes les personnes intéressées à soutenir les Maasai peuvent se rendre sur http://www.maasai-association.org/),
  • des excuses publiques du comité HEC concernant le maintien du choix de ce thème raciste pour le bal ainsi pour la suppression des photos du concours d’affiches,
  • la reconnaissance de la responsabilité du comité HEC pour ne pas avoir réagi lors du cyber-harcèlement massif dont a été victime l’AFU, ses membres et toutes les personnes qui se sont mobilisées,
  • la prise en compte des enjeux d’appropriation culturelle lors des prochains événements organisés par le comité HEC,
  • que des mesures concrètes soient prises par la direction de l’Université de Lausanne. Notamment concernant le cyber-harcèlement sur la plate-forme Jodel.

Pour celleux [1] qui n’auraient pas suivi l’affaire, le comité HEC organise chaque année un bal pour ses étudiant·e·s de la faculté dans un palace de la région. On pourrait critiquer le fait d’organiser une tombola avec des partenaires comme Chopard, Maurice Lacroix ou Citroën pour une somme totale de plus de 45’000.- (quarante-cinq mille francs) sans compter les cadeaux inclus dans le ticket d’entrée et un prix d’entrée rédhibitoire. Mais ce n’est pas l’objet de ce communiqué. Ce qui est inacceptable, c’est quand cet étalement de luxe se fait au prix de l’exotisation d’une catégorie de personnes qui n’en bénéficiera jamais. En effet, sans thématisation des difficultés que rencontrent les Maasai, ce choix de thème pour une soirée relève d’une forme de racisme tristement banale.

Le 23 février, le comité HEC a dévoilé le thème de la soirée : “Masaï Mara”. Dès lors divers personnes et collectifs ont tenté d’attirer l’attention du comité HEC sur les problèmes que leur démarche soulève, sans succès. En effet, dès le 17 avril le Collectif Afro-Swiss a publié un communiqué. Nous profitons de réaffirmer notre soutien à la position du collectif Afro-Swiss. De plus, L’Auditoire a publié une note qui appelle au boycott de cette soirée dans son dernier numéro. Plusieurs personnes ont également posté des messages sur la page de l’événement facebook (messages qui ont été systématiquement effacés par le comité), et finalement, des critiques ont été formulées lors de l’Assemblée des délégué.e.s de la FAE. Portés à l’attention du comité, ces propos n’ont pas été pris en considération. Devant une telle irresponsabilité, davantage de personnes se sont mobilisées pour faire entendre une autre voix que celle du racisme ordinaire, et ont décidé de dénoncer ce bal sur les réseaux sociaux à l’aide de slogans sur fonds colorés.

Rapidement, des dizaines, des centaines, des milliers de messages et de mails de haine à caractères raciste, sexiste, antisémite, psychophobe, transphobe etc. ont été postés sur la page de l’AFU et envoyés en inbox. Voici quelques extraits choisis. Attention, certains propos sont d’une violence extrême.

Dans ces quelques exemples, la rhétorique anti-féministe, telle que “les féministes ne servent pas leur cause” a été très largement utilisée. Il faut savoir que ce sont des stratégies de discréditation courantes contre les luttes sociales pour l’égalité. Accuser les féministes et les militant·e·s anti-racistes de se “tromper de combat” est une pratique récurrente utilisée pour invalider tout discours qui remettrait en cause l’ordre établi. En réduisant les dénonciations d’actes racistes à des élucubrations de « femmes hystériques », on fait jouer ici le double levier de la misogynie et du déni du racisme systémique, concept sur lequel nous reviendrons. Une stratégie de défense automatique et bien commode pour ne pas remettre en question ses privilèges. Par ailleurs, l’usage du nazisme comme point de comparaison aux féminismes dénote d’un profond mépris pour les victimes du nazisme et une banalisation des crimes antisémites : faut-il rappeler qu’encore le mois dernier des inscriptions néo-nazies ont été taguées sur les murs de l’Université ?

Mais ça ne s’arrête pas là…

Les messages ci-dessus reflètent le racisme décomplexé et assumé de notre société. Il s’agit pour ces personnes de faire des “blagues”. Or, ce n’est pas de l’humour. Nous lisons l’expression d’un racisme et d’un antisémitisme tellement intégrés qu’ils sont encouragés, validés et célébrés. Par ailleurs, les références à l’extrême droite sont parfaitement maîtrisées (appel à Henry De Lesquen, Donald Trump, Marine Le Pen et à la réemigration des membres de l’AFU).

Finalement, nous avons été les cibles de très nombreux commentaires insultants, violents, d’appel au harcèlement, au viol et menace de mort. En voici quelques-uns :

Nous avons tenu à reproduire ces commentaires violents ici, en dehors du contexte des réseaux sociaux, pour qu’ils soient vus tels qu’ils sont : des manifestations de systèmes oppressifs normalisés et banalisés. Nous appelons l’ensemble de la communauté universitaire, la direction et les diverses institutions à la condamnation ferme de ces propos. Les réseaux sociaux ne doivent pas servir de cachette pour les violences qui ne sont pas acceptées sur le campus.

De l’appropriation culturelle

À celleux qui envisagent l’appropriation culturelle comme un échange culturel ou qui mettent sur un pied d’égalité le fait de manger des pâtes italiennes ou des nouilles chinoises et celui de d’organiser des événements publics sur un thème de colons blancs pour “honorer” la communauté Maasai, il est temps de se remettre en question. Les slogans qui ont fait se lever une armée de boucliers réactionnaires et identitaires ont aussi pour but de rappeler que la richesse et l’hégémonie économique, politique et culturelle de l’Occident (y compris de la Suisse) n’a pu être réalisée et perpétuée qu’au prix de la subordination et de la destruction systématique des sociétés humaines nonoccidentales, de leurs sciences et de leurs cultures. Il s’agit d’une réalité historique qu’il est nécessaire de reconnaître.

Or, le Bal HEC 2017 témoigne d’une indifférence tragique envers l’histoire du peuple auquel il prétend rendre hommage. En réalité, les organisateur·ice·s du bal extirpent de façon unilatérale des éléments de la culture Maasai, dans un monologue débordant de complaisance. Il nous est difficile de considérer cette démarche sous l’argument de l’échange culturel ou d’une « démarche altruiste » comme le comité HEC le mentionne dans son communiqué de ce jour.

À celleux qui nous accusent de défendre une cause qui n’est pas la nôtre. Vous avez raison, nous ne sommes pas Maasai. Mais il n’y a pas besoin d’être Maasai pour comprendre que des phrases du site du bal HEC telles que : “laissez-vous envoûter par la brume fumante d’une savane sereine” et “Le Montreux Palace sera l’hôte d’une Afrique aux couleurs de braise” relèvent de la fétichisation d’un peuple au travers d’une rhétorique romantique et de représentations essentialistes, réifiantes et déconnectées des réalités vécues par des peuples anciennement colonisés. Et ça, c’est une forme de racisme.

Nous n’avons pas la prétention de parler au nom du peuple Maasai. Nous sommes des étudiant·e·s qui luttons pour le droit d’évoluer dans un espace libre de discriminations en tout genre, y compris racistes. Un droit qui est, comme nous le montrent les nombreux commentaires que nous avons reçus, loin d’être acquis.

Du racisme systémique

« le racisme c’est le fait de détester une couleur »

« vous cherchez des problèmes là où il n’y en a pas »

Ces remarques, représentatives d’un grand nombre de commentaires reçus, reflètent le déni de reconnaître l’évolution du racisme dans le monde globalisé et intégré du XXIe siècle. De prime abord, la notion de racisme renvoie à une idéologie “vieux-jeu” et dépassée qui régirait les relations interpersonnelles uniquement. Il s’agirait au mieux d’un sentiment, d’un penchant, d’une passion, d’une préférence et au pire, d’un défaut. Or, il s’agit là d’une représentation apolitique du racisme, qui fait l’impasse sur le rapport social, politique et matériel de domination qu’il représente. On ne peut ainsi le réduire à une « tare morale” plus ou moins volontaire révélant un cumul d’opinions personnelles ou de préjugés sur des « races biologiques ».

Le racisme est systémique, c’est à dire qu’il est un système socio-économique, construit historiquement et ancré dans les institutions. Au niveau institutionnel, il se manifeste par le fait de se voir refuser des contrats de bails, de ne décrocher que rarement le job pour lequel on postule, ne pas être orienté.e à la hauteur de ses capacités scolaires et être systématiquement dévalué à l’école, ou encore subir des violences policières.

Le racisme systémique se manifeste également au quotidien, dans les relations interpersonnelles, comme les actes de violence. Mais cela ne s’arrête pas là. Il y a aussi les micro-agressions et leur répétition, telles que les imitations d’accents, le fait de toucher les cheveux, faire des commentaires déshumanisants sur le physique, poser des questions intrusives, les déguisements ou encore le blackface (c’est à dire le fait de se grimer le visage et/ou le corps en noir pour imiter la peau des personnes racisées).

D’ailleurs, à ce propos, alors que dans la presse, le comité HEC assurait que les déguisements seraient interdits, le bal invite les étudiant.e.s à revêtir leurs “plus belles parures” et prévoit (jusqu’au moment où nous écrivons ces lignes) d’élire un roi et une reine “qui auront ébloui l’assemblée par leur originalité et leur fidélité au thème” (comme on le voit sur les captures d’écran ci-dessous).

Du harcèlement

Les commentaires que nous avons rapportés ici ne sont qu’un aperçu. Les personnes qui refusent d’accepter le thème de ce bal et l’AFU ont été victimes de propos extrêmement violents, et ceci, sans interruption, jusqu’à aujourd’hui. La polémique autour de notre post facebook a pris une ampleur démesurée. Nous avons ainsi reçu, outre les milliers de commentaires insultants à notre égard, des messages privés (sur notre page facebook), des mails adressés à l’association et une des membres de l’association a reçu un mail islamophobe à son adresse personnelle. De tels propos sont inacceptables et ne relève en aucun cas de la liberté d’expression, mais bel et bien du cyber-harcèlement.

Le comité HEC porte clairement une partie de responsabilité. Bien qu’il aurait été certes préférable de leur part d’entendre les remarques dès le début, il est essentiel, lorsque les étudiant·e·s HEC et participant·e·s au bal renforcent les clichés racistes, que le comité HEC prenne une position claire pour se distancier et condamner les propos. Car jusqu’à aujourd’hui il y a une contradiction totale entre la position que le comité HEC a prise dans la presse (voir article du 24Heures) par rapport à ce bal, la façon dont le bal est présenté sur le site et la façon dont les participant·e·s le perçoivent.

Et quand les commentaires racistes et sexistes ont commencé à pleuvoir, le comité HEC aurait dû, encore une fois, se responsabiliser et prendre position publiquement pour appeler à l’arrêt immédiat du cyber harcèlement de masse contre l’AFU et ses membres. Une telle attitude passive est non seulement irresponsable mais dangereuse.

De l’injonction à la pédagogie

« Vous auriez dû mieux vous exprimer »

« vous nuisez à la cause »

Soyons honnêtes, même si le texte des slogans avait été « cet événement est raciste », ça n’aurait rien changé et la réaction des gens aurait été la même : déni et agressivité. Les nombreux commentaires racistes que nous avons reçus témoignent de la nécessité de la lutte anti-raciste et appuient le fait que notre démarche est appropriée. Le racisme ordinaire, moral et systémique n’ont pas disparu du campus et encore moins de nos vies.

Il n’est plus possible de dire : « vous avez raison sur le fond, mais vous auriez dû le formuler autrement ». En effet, cela sous-entend que la responsabilité de l’insulte, de la menace et du harcèlement pèse sur les victimes, en l’occurrence les membres de l’AFU et les autres personnes qui se sont mobilisées. Il n’est pas acceptable de blâmer les victimes de la violences dont elles font l’objet. Ceci est valable dans ce cas-ci comme dans tous les autres cas de violences systémiques.

En conclusion

A celleux qui pensent que nous avons lancé cette action dans le but de “faire le buzz” et de nous faire connaître, se faire insulter et menacer n’a rien d’amusant. A celleux qui ne comprennent pas pourquoi une association féministe dénonce le racisme, notre association a pour but de lutter contre toutes les oppressions systémiques sur le campus. Notre objectif n’est pas de gagner un combat théorique sur tel ou tel courant du féminisme. Nous voulons rendre notre lieu de formation (et par extension nos lieux de vies, de travail et les espaces publics dans lesquels nous évoluons tous·tes) plus éveillés, plus sécurisants et plus justes. Alors, au lieu d’attaquer celleux qui montrent du doigt ce qui peut être changé, n’est-il pas temps de nous remettre tous·tes en question en tant que communauté universitaire ?

Notre rôle est de rendre l’espace dans lequel nous évoluons moins oppressif et il est donc logique que nous nous positionnions par rapport à des événements organisés sur le campus et/ou par des membres de la communauté universitaire, comme le Bal HEC 2017. L’AFU a d’ailleurs proposé plusieurs événements et actions ce semestre dans l’optique de sensibiliser aux oppressions systémiques. Le dernier événement en date était un atelier sur le thème de “la race, le racisme et la racialisation”. En tant qu’association, nous faisons notre part en organisant le plus d’événements publics possible sur ces thématiques. Nous invitons toutes les personnes qui le souhaitent à se renseigner sur les liens entre l’anti-racisme et le féminisme. Nous luttons sur plusieurs plans en continu, tant d’un point de vue théorique que pratique. Nous n’avons pas à choisir entre les luttes, comme nous ne choisissons pas les oppressions que nous subissons et qui, parfois, se combinent. Nous sommes ainsi, nécessairement féministes et anti-racistes.

Nos slogans ne s’adressent pas à tous·tes les étudiant·e·s HEC, mais au BalHEC en tant qu’événement. Le #BalHEC et la mention du bal, directement ou indirectement, dans chacune des phrases sont très claire. Prétendre que l’usage du “vous” renvoie nécessairement à tous·tes les étudiant·e·s HEC est une preuve de mauvaise foi. Cela dit, si les gens qui organisent ou cautionnent ce bal se sentent visé·e·s lorsqu’on affiche “VOUS ÊTES RACISTES”, c’est peut-être que nous avons touché juste, là où ça fait mal, dans l’angle mort de notre société raciste.

P.S.

Communiqué publié sur le site internet de l’Association Féministe Universitaire.
L’AFU (Association féministe universitaire) est une association féministe intersectionnelle non-mixte basée à l’Université de Lausanne (UNIL).

Notes

[1Écriture inclusive du déterminant « ceux, celles ».

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