Dans une prise de position à la Commission des affaires sociales du Grand Conseil genevois que nous avons pu nous procurer, 21 éducateurs et éducatrices détaillent sur 4 pages les impasses auxquelles ils ont été et sont encore confrontés dans l’accomplissement de leur mission. Ils rappellent leurs précédentes tentatives de faire remonter leurs inquiétudes et propositions à la direction de l’Hospice général. Ils montrent aussi que tout au long de ces années, la hiérarchie ne leur a répondu que par le silence. Leur souffrance au travail, due à une inadéquation entre les valeurs qu’ils sont censés porter et la politique institutionnelle actuelle, est totalement ignorée et méprisée par la direction. Pour eux, “le suicide d’un jeune est l’événement redouté, mais pas incompréhensible, qui suit quatre années d’épuisement et d’instabilité”. On comprend de leurs témoignages et exemples que sans “changement décisif” dans la politique actuelle de l’Hospice - qui pour l’heure ne paraît pas remettre en question la ligne qu’elle a suivi jusqu’ici, à savoir une “logique gestionnaire” - un tel drame pourrait se reproduire.
Fresque en mémoire d’Ali Reza, jeune de 18 ans qui a mis fin à ses jours le 29 mars 2019 au Foyer de l’Étoile.
Causes structurelles évidentes
Dès l’ouverture du foyer de l’Etoile en 2016, expliquent les collaborateurs de l’Étoile, c’est une “logique d’hébergement d’urgence et non d’analyse des besoins, en particulier d’accompagnement en terme d’accompagnement humain “qui prévaut dans la gestion de 200 jeunes RMNA. Le “manque cruel de moyens” est formellement signifié à la hiérarchie dès 2017. Silence de la direction lorsqu’ils proposent un nouveau projet institutionnel inscrit dans une vision pédagogique basée sur les besoins des jeunes RMNA et ex-RMNA ; absence de politique institutionnelle claire et “absence de protection de cette même direction face aux critiques des médias et de la société civile” suite au suicide du jeune Ali. Les éducateurs soulignent combien ils ont été ébranlés face à ce drame et abandonnés par leurs dirigeants, ”face aux insinuations diffamatoires quant à leur responsabilité et leur manque d’engagement”.
Omerta et mensonges
On perçoit également un désarroi face à une volonté de contrôle total de la communication par la direction de l’Hospice au moment du drame, traduite dans leur lettre par une “impossibilité de l’équipe de pouvoir faire valoir son droit de réponse dans la presse”, et par une critique claire à l’égard des arrangements avec la vérité de la part de la direction : “Suite aux attaques ciblant le personnel de l’étoile, les réponses ont été, entre autres, des travestissements de chiffres concernant l’encadrement”.
“Il n’a pas été tenu compte des causes structurelles évidentes telles que la taille inhumaine du foyer et la vision institutionnelle inadéquate conçue dans une logique restreinte d’hébergement collectif. Tout en sous-estimant gravement les tâches d’un accompagnement éducatif que nécessite l’encadrement d’adolescents ayant subi déchirures et traumatismes, dans un quotidien chargé de surcroît d’incertitudes angoissantes”.
Changements décisifs nécessaires
La prise de position de l’équipe de l’Etoile est un signal d’alarme clair au monde politique de l’urgence à prendre ses responsabilités et à véritablement s’inquiéter de la politique menée par la direction de l’Hospice général, entourée d’une sorte d’omerta, et où le vernis d’une institution plaçant l’humain et le vivre ensemble au centre de ses préoccupations en prend un sacré coup.
Résumé des changements décisifs demandés par les éducateurs, et qui rejoignent les revendications des jeunes concernés, mais aussi différents rapports faits par le passé sur cet encadrement, pour ne citer que le 3e rapport de la Task Force et le rapport de la Cour des Comptes :
1. Le remplacement de la structure de l’étoile par des foyers plus restreints à taille humaine de 30 places maximum
2. La prise en compte dans le projet éducatif des jeunes adultes (de 18 à 25 ans)
3. La reconnaissance du travail des professionnels en tenant compte de leur expérience dans les prises de décision
4. Mise en place d’un processus de discussions décisionnaires portant sur le fonctionnement du service sur la base d’un cahier des charges revu et clairement défini
5. Un engagement des cadres issus du terrain socio-éducatif genevois
7. L’accès au rapport de la HETS sur les besoins des RMNA et des ex-RMNA
Pour rappel, suite au rapport très critique de la Cour des comptes, relevant notamment l’absence de politique institutionnelle en matière de prise en charge des RMNA, les autorités genevoises en charge du dossier avaient brandi le rapport demandé à la Haute école de travail social (HETS). Celui-ci a été rendu aux autorités genevoises fin juin. Il n’a pas encore été rendu public…