Urbanisme - luttes de territoire Racisme Droit à la Ville

Pourquoi nous ne signerons pas les revendications du mouvement pour le droit à la ville

Nous (re)publions ici le texte du Collectif Outrage, initialement publié sur leur blog) ce lundi.

Genève |

Nous rappelons qu’Outrage Collectif est un collectif antiraciste qui privilégie l’auto-organisation des personnes racisées. Cette auto-organisation n’a nul autre but que de nous permettre de décider collectivement – entre personnes subissant directement les effets du racisme – de nos objectifs, de nos priorités et de notre agenda. Dans ce sens, nous insistons sur le besoin de créer une base politique commune par nous et pour nous. Il est temps que nous ayons nos propres discours et que ceux-ci ne se perdent pas dans des stratégies qui ne servent principalement que celles et ceux qui bénéficient déjà de divers avantages et accès dans la société pendant que certain.e.x.s d’entre nous stagnent dans des conditions indignes.

Il nous semble important de partager les raisons pour lesquelles nous ne signerons pas les revendications du « Droit à la Ville », mais aussi d’exprimer pourquoi certain.e.x.s d’entre nous viendront marcher. L’appel au boycott n’est pas notre objectif, car bien sûr nous savons reconnaître un mouvement qui mérite d’exister.
Ce mouvement a notamment réussi à mobiliser une partie de la population genevoise sur des problématiques importantes telles que l’accès au logement et a permis d’alimenter des réflexions intéressantes autour, par exemple, du rejet de la ville en tant qu’espace exclusivement marchand ou de l’utilisation de l’espace publique.

Cependant, le mouvement pour le droit à la ville devrait être anti-raciste et il ne l’est pas. Il est composé d’une majorité de signataires et militant.e.x.s blanc.he.x.s et se développe autour des luttes de personnes privilégiées, dont certain.e.x.s que nous avons par ailleurs dénoncé.e.x.s pour leurs pratiques racistes, en tant que collectif et/ou individu. Il va donc de soi que nous ne signerons pas aux cotés de celles et de ceux qui reproduisent le racisme systémique au sein de leur milieu social, de leur parti, de leur organisation, de leur collectif ou de leur maison.
Ces pratiques, qui ne font malheureusement pas figure d’exception dans l’ensemble du mouvement, ne peuvent donc que se refléter dans la façon de militer, de prendre des décisions, de donner l’accès à la prise de décision à certain.e.x.s plutôt qu’à d’autres, ou alors selon des modalités différentes. Elles impliquent que les personnes racisées aient les ressources nécessaires pour s’en protéger. Pendant qu’une tendance générale laisse à penser que l’anti-racisme va de soi chez nos camarades blan.c.he.x.s, l’expérience nous apprend qu’il ne repose au final que sur les épaules des personnes racisées. Ce constat est l’un des fondements même de notre collectif.

L’un de nos objectifs est de porter et valoriser un discours anti-raciste au sein des forces militantes de notre région afin de créer les conditions adéquates pour l’intersectionalité dans nos luttes. Et pour ce faire nous ne ferons aucune concession.
Nous voulons que les mouvements à majorité blanche et de classe moyenne/supérieure se questionnent sur leur manière d’occuper les espaces politiques, de les monopoliser et finalement de les gentrifier.

Dans ce cadre et uniquement sous le prisme de l’accès à la ville et au logement, les revendications proposées nous paraissent peu abouties en termes de classe, de race, de validisme et de genre. Elles ne collent pas à notre vision d’une lutte pour le droit à la ville des personnes racisées, par conséquent non plus à un droit à la ville pour tou.te.x.s. En l’état, nous n’y trouvons pas notre compte.

Nous ne nions pas le besoin et l’importance de cette lutte… mais elle semble parfois ne pas nous concerner.
Nul.le.x ne peut ignorer le climat raciste ambiant à Genève. Des raids organisés à la brutalité de la police envers les personnes racisées et particulièrement des noir.e.x.s, en passant par la discrimination à l’embauche, à l’activité économique, au logement ou encore de l’accès aux espaces de fêtes et de loisirs, tout ceci provoque une réelle discrimination spatiale.
Des questions vitales, voire mortelles pour certain.e.x.s membres de notre collectif, sont reléguées au second plan de ces revendications. Nous peinons à saisir ce choix de minimiser les problématiques des contrôles au faciès, du harcèlement policier et administratif, des conséquences terribles du contrôle et de la fermeture des frontières, de la violence quotidienne subie par les migrant.e.x.s, alors même que les pratiques de la police maltraitent et tuent des personnes racisées.
De plus, comme dit précédemment, certain.e.x.s signataires sont pour nous de véritables ennemis politiques dans une perspective anti-raciste révolutionnaire.

Voilà quelques raisons pour lesquelles nous ne signons pas ces revendications en tant que collectif. Nous nous sentons proche de cette lutte qui nous touche tou.te.s.x et à laquelle participent entre autres des personnes en exil, car nous aussi voulons le droit à la ville, nous aussi prenons la ville.
Nous refusons néanmoins de faire office de caution antiraciste pour un mouvement qui, s’il n’est pas raciste, n’est pas non plus l’inverse. Mais c’est parce que nous sommes solidaires des gen.te.x.s qui luttent que certain.e.x.s d’entre nous marcheront le 17 mars 2018 et continuerons à travailler ces liens indispensables aux devenirs révolutionnaires.

Nous ne serons pas vos allié.e.x.s mais vous pouvez être les nôtres !

P.S.

1 : Lorsque nous évoquons la notion d’antiracisme nous nous détachons d’une posture d’antiracisme moral (pour plus de précisions sur celle-ci : cf. https://outragecollectif.noblogs.org/lexique/)
2 : Pour un rappel des revendications du mouvement ’Droit à la Ville’ : https://renverse.co/Un-front-large-pour-les-luttes-urbaines-ouloulou-1393

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