Anticapitalisme Critical Mass

Répression et critical mass

La critical mass de Genève aura 20 ans en mai 2018. De longues années de parades qui n’auront parfois rassemblées que quelques intrépides, et des fois certainement plus de mille personnes. Pourtant, et malgré ce vécu, elle subit encore et toujours les assauts de la répression.

C’est au début de mois de septembre que nous avons vu, sur ce même site, un appel à doubler la fréquence de la critical mass. Deux fois par mois, car la ville nous appartient aussi, comme un geste revendicateur, pour se réapproprier un petit peu plus de cet espace que l’histoire capitaliste, avec ses véhicules motorisés individuels, nous a volé. Un astucieux stratagème à l’heure où la lutte cherche à se réapproprier la ville....

Genève |

Pas d’hésitations, répression !

Le premier épisode de cet événement a eu lieu le 15 septembre. Environ 30 personnes se retrouvent sur la rive gauche du pont des Bergues, car un fourgon de police est posté au milieu de l’île Rousseau. Ce dernier n’est pas seul. Un autre fourgon et une voiture banalisée, dans laquelle se trouve le chef de la BRIC(1), se trouvent au même endroit que les cyclistes.
Le départ est lancé et la parade se voit rejoint par une autre trentaine de personnes. Plus petite que d’habitude, on sent une critical enthousiaste et solidaire, et ce malgré les coups de pression de la flicaille. C’est aux alentours de la Jonction que ces derniers semblent vouloir définitivement mettre à mal la balade, semant confusion parmi les participant.es dont une vingtaine se feront contrôler, à auteur du boulevard Saint-Georges. Que nous vaut donc cette répression si forte ?

Comme à son habitude, la rencontre du dernier vendredi du mois ne subit pas le même sort, restant fréquentée et festive.

La deuxième épopée de cette nouvelle version a lieu le 13 octobre. Il semble y avoir moins de gens, peut-être à cause des contrôles au faciès que les flics font à chaque extrémité du pont des Bergues, par manque de propagande autogérée, ou à cause de la répression du mois d’avant. Mais c’est sans compter sur une quinzaine d’intrépides qui arrivent néanmoins à se retrouver au centre de ce même pont. Quelques minutes d’attente et c’est l’arrivée de 16 robocops et de deux fourgons. I.elles filment tout et procèdent à un contrôle d’identité généralisé. Apparemment une sorte de principe de précaution, car nous sommes sommés de ne pas partir groupé, auquel cas nous serions en infraction, notamment au vu de la controversée loi sur les manifestations de 2008, récemment dénoncée dans un rapport du Comité des droits de l’homme(2). Face à cet assaut démesuré et délibéré, le petit groupe décide tout de même de partir collectivement boire un verre dans le quartier des Grottes. Nous sommes toujours suivit de près, notamment par une moto de flics qui cherche à tout filmer, et au moins un des deux fourgons qui sera toujours présent à l’orée du parc des Cropettes, au moins jusqu’à 21h30.
Nous sommes donc suivi.es, filmé.es, observé.es, contrôlé.es, menacé.es alors que notre seul tort et celui de vouloir perpétuer et augmenter la cadence de nos sympathiques balades cyclistes de fin de journée.

Les rituels de la société capitaliste ne sont pas les nôtres

Les interrogations sont sur toutes les lèvres des particpant.es : pourquoi nous faisons nous réprimer alors qu’à deux coups de pédales, se trouve un gigantesque défilé de voitures, toutes plus polluantes, encombrantes et dangereuses les unes des autres ? Que nous vaut donc cette soi-disant interdiction de déambuler, alors que notre seul tort est celui d’être à vélo, rassemblé pour une balade et non en véhicule motorisé rassemblé pour aller au supermarché ? Peut-être serait-ce le fait de ne pas participer aux mêmes rituels que nos concitoyen.es motorisé.es ?

La rencontre de ces véhicules, à la suite du travail, pour une petite excursion shopping ou encore pour aller voir un match de hockey, ne semble pas déranger la police du canton .... alors même qu’ils causent bien plus de problèmes que les cyclistes (bruit, pollution, encombrement, accidents). Ce que l’on pourrait appeler un rituel de la société marchande suit lui aussi un rythme - “auto-boulot-conso-dodo” - uniforme et conforme au fonctionnement de la société moderne dans laquelle nous sommes engouffrés. Ces rassemblements, crées par une société plus individualisée et mécanisée que jamais, ne cessent d’engorger la ville à notre plus grand désespoir. Mais pourtant il semblerait qu’il vaille mieux décider de se rassembler en marge d’un événement sportif pour se distraire, être en voiture pour aller boire un verre, ou globalement se rendre à des événements ou le frics tient une place importante....pour ne être réprimés et perçu comme déviant par les autorités. Mais rentrer dans le moule de cette société individualiste et mortifère ne nous intéresse pas. Nos rituels et pratiques ont leur légitimité et nous les défendrons !

La réponse collective qu’a donné lieu ces deux critical, celle de poursuivre notre chemin malgré la répression, semble être une réponse claire à ces questions. C’est l’affirmation de notre volonté de s’écarter de ce vieux monde, de sa conformité et de ses vieux rituels. Nous affirmons notre droit à réfléchir et vivre nos lieux, nos rythmes, nos moyens et nos activités d’une autre manière. Nous ne souhaitons pas avoir le travail comme guide, mais plutôt le plaisir de se retrouver ensemble. Nous voulons favoriser une mobilité écologique et pratique plutôt qu’encombrante et destructrice. Nous cherchons à voir la rue comme un lieu de vie et de partage auquel on a droit, plutôt qu’un agrégat de machines sans âmes que seules les riches peuvent posséder. La grave et certainement irrévocables crise écologique de notre époque ne devrait-elle pas d’autant plus légitimer ces rituels qui vont à contre-courant d’une société destructrice ?(3)

La stupidité de cette répression est d’autant plus grande au vu de ces observations lorsque l’on considère l’attitude des flics vis-à-vis de nos pratiques. L’affirmation répétée lors des interpellations, “une fois par mois c’est légal, pas deux”, ne fait aucun sens pour nous. Ce droit, nous le volons de manière continue, jour et nuit. A l’inverse, nous pensons qu’il serait grand temps de mettre des bâtons dans d’autres roues ....

Une répression délirante

Et le pouvoir en place semble être prêt à mettre les moyens pour empêcher la tenue de ces rituels alternatifs. C’est que le coût de telles opérations semblent être gigantesque pour le contribuable : c’est plus de morts, moins de vitesse(4) et plus de pollution grâce à la société automobiliste. Mais c’est aussi une énorme facture pour l’état à cause de cette société de répression. Nous vous laissons imaginer le coût de 20 flics grandement équipées, certainement aux aguets de 17h30 à 22h, accompagné de deux fourgons, de motos, d’une voiture banalisée (dispositif qui a pu être observé). Sans compter toute la paperasse administrative qui s’en suit, effectué par ces mêmes fonctionnaires : contraventions, analyses des vidéos, rapports, auditions, procès, ... . A coup sûr plusieurs dizaines de milliers de francs pour quelques intrépides cyclistes qui souhaitent simplement vivre autrement.

C’est lorsque l’on analyse cette implication policière au vu de la grandeur du phénomène que l’on comprend que la répression est bien une manoeuvre politique. Un total qui avoisine certainement plusieurs centaines de francs par cycliste présent à ces deux critical. Mais de quoi aurait donc peur le pouvoir en place ?

Face à cette manoeuvre politique : persévérance et opposition

Face à ce constat, une lutte est nécessaire. Celle de revendiquer notre action, tant pratiquement et politiquement que juridiquement. La réponse collective qui a été donnée le 13 octobre semble être assez claire et aller dans ce sens : nous sommes prêt.des à défendre nos propres rituels et nous devons continuer à le faire, pratiquement parlant. A cet égard, il faut continuer de se retrouver, au moins deux fois par mois, sur l’île Rousseau pour notre petite parade conviviale.

A cela s’ajoute la nécessité de s’opposer en cas d’amande (!!!), pour ne pas les payer, mais aussi pour réaffirmer la légitimité de nos pratiques - notre DROIT A LA VILLE -, et décrédibiliser les manoeuvres politiques de l’état. I.elles vont essayer de nous punir individuellement, ce à quoi nous devons réagir collectivement. Signalons en ce sens l’existence du groupe antirep de Genève(5) auquel il faut se référer en cas d’amande.

Et si par mégarde politique la répression devait continuer, nous devrions envisager de multiplier encore plus nos rendez-vous afin que la mise en place de l’appareil policier, aussi démesurée qu’elle soit, se ridiculise par elle-même.

Parce que la critical mass est légitime dans une société qui ne l’est plus, allons tous.tes en nombre aux prochaines éditions de ces dernières, deux fois par mois, et faisons grandir la ferveur populaire pour que la fête des vingt ans soit digne de sa résistance et de sa convivialité, monstrueuse car la lutte que nous menons actuellement le mérite.

P.S.

1.Brigade d’Ilotage Communautaire, police politique genevoise.
2.Rapport du Comité des Droits de l’Homme de l’ONU du 24 juillet 2017.
3.Comment tout peut s’effondrer, petit manuel de collapsologie à l’usage des générations présentes, Pablo Servigne, Raphaël Stevens, Editions du Seuil, Paris, 2015
4.Voir le concept de “vitesse généralisée” tel que définit par Ivan Illich
5. Groupe antirep Genève, antirep-ge@riseup.net

Prochains rendez-vous 2017 : ve 10.11.17, ve 24.11.17, ve 15.12.17, ve 29.12.17 à 18h30 sur l’île Rousseau

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