Travail - précariat - lutte des classes Coronavirus Le Silure

Témoignage d’un homme en quarantaine dans sa voiture

Le Covid-19 et ses conséquences nous mettent face à des ruptures sans précédent pour toutes celles et ceux qui les vivent. Ruptures avec le quotidien, avec nos proches, avec nos liens sociaux, et pour beaucoup avec le travail. Rupture dans le fonctionnement même du système économique.

Des expériences inédites naissent de cette situation. Nous apprenons des gestes solidaires, nous soutenons les personnes qui s’épuisent à tenter de nous soigner, nous pensons à nos proches malades ou qui pourraient l’être. Mais nous découvrons aussi la petitesse de nos logements lorsqu’on ne peut les quitter, la précarité du chômage ou de l’absence totale de moyen de subsistance, la violence que représente le fait de continuer de payer un loyer. Une certaine conscience des responsabilités du système capitaliste et des gouvernements dans l’émergence puis la gestion de cette crise semble croître chez toujours plus d’entre nous. Alors même que nous sombrons dans une crise sanitaire, le maintien à tout prix des profits passe avant la santé des personnes obligées de se rendre au travail. Quand on ne sait même pas de quoi sera fait demain, se multiplient déjà les signes qui annoncent que pour sauver les profits, c’est nous qui paierons la note.

Voici des témoignages d’humains qui agissent au mieux face à la confusion, l’absurdité et l’aberration de certaines directives. Ces témoignages visent à partager des expériences. C’est à partir de ce partage du sensible et du vécu, que nous pouvons tenter de penser et construire ce qui pourrait être la suite. Si nous sommes à un moment charnière, il nous appartient de renforcer les formes d’agir solidaires qui survivront à cette crise. De cette rupture, va peut-être réapparaître enfin une capacité collective à penser le monde et son devenir. Si rien ne devait plus jamais être comme avant, réfléchissons dès maintenant, partageons, et battons-nous pour lui faire prendre une voie qui soit celle de l’émancipation.

Genève |

Dans le contexte de la pandémie de Covid-19, Le collectif du Silure recueille des témoignages qui sont publié sur son site internet. Vous pouvez retrouver l’ensemble des témoigages dans sa section Ressources.

Le premier témoignage ci-dessous a été recueilli au téléphone le lundi 23 mars 2020.

Je travaille dans un restaurant. Il y a deux semaines, lundi 9 mars, un de mes collègues était malade au boulot. Le lendemain, je l’ai appelé. Il m’a dit qu’il avait « la grippe ». A partir de ce moment-là, j’ai eu peur. Je me suis dit que je devais éviter tout contact avec des personnes avant de faire le test du coronavirus. J’ai dormi cette nuit-là, mardi, dans ma voiture.

Mercredi matin, je me suis rendu à l’hôpital pour me faire tester. J’ai expliqué au docteur que j’habitais chez un ami. Il m’a demandé de rester à la maison jusqu’à ce que je reçoive le résultat. Je lui explique que je n’avais pas de maison, que j’habitais chez quelqu’un. Je me suis dit : « Si je suis positif, je ne peux pas aller là-bas ! ». J’ai dit au médecin que j’allais dormir de ma voiture. Il m’a dit : « Ne vous inquiétez pas, je vais trouver une solution ». Mercredi soir, j’ai à nouveau dormi dans ma voiture.

Jeudi 12 mars, j’ai appelé mon assistante sociale de l’Hospice générale. J’ai un permis F. Comme je travaille, je ne reçois pas d’aide. Mais ce jour-là, comme je n’avais pas le choix, j’avais besoin d’aide, je l’ai appelé. Et je lui ai dit que j’avais peut-être le coronavirus, que comme j’habitais chez quelqu’un je n’osais pas y retourner et que je dormais en ce moment dans ma voiture. J’ai lui ai expliqué que si je me rendais quelque part, je pouvais transmettre le coronavirus. Mon assistante m’a dit : « Il faut que tu ailles en France, dans un hôtel. » Je lui ai répondu que si j’allais dans un hôtel, j’avertirais que j’avais peut-être le coronavirus. Elle voulait que je ne dise rien, que je ne l’annonce pas à l’hôtel ! Je ne voulais pas faire ça, ce n’est pas correct ! Elle m’a aussi dit d’aller en France parce que l’hôtel y est moins cher. C’est moi qui aurais payé la facture. Mais mes papiers ne me permettent pas de sortir de Suisse ! C’est mon assistante sociale qui m’a dit ça ! Après elle m’a dit qu’elle ne pouvait rien faire de plus pour moi. Du coup, je suis resté jusqu’au samedi 14 mars dans ma voiture. Durant cinq jours, j’ai dormi dans ma voiture. Finalement, dimanche, ce sont les pompiers qui m’ont trouvé un lieu : un abri de la protection civile.

Le vendredi 13 mars, l’hôpital m’a appelé pour me dire que j’étais positif. J’ai appelé chaque jour l’hôpital : « Est-ce que vous pouvez me trouver un endroit où dormir ? Je ne peux pas sortir, je suis positif au coronavirus. » On me répondait : « On ne peut rien faire. » Mon assistante sociale disait : « On ne peut rien faire. » Personne ne pouvait rien faire. J’appelais tous les jours à l’hôpital. Dimanche, les médecins m’ont finalement envoyé vers les pompiers. J’ai appelé les pompiers qui m’ont dit : « On va s’occuper de votre situation. »

Dimanche 15 mars au soir, ils m’ont donné l’adresse d’un abri de la protection civile. Ils l’ont ouvert ce lieu qui était vide pour moi. Je m’y suis rendu et j’y dors depuis dimanche dernier, depuis plus d’une semaine. Les pompiers m’ont juste dit de dormir à l’intérieur et m’ont amené à manger. Un autre homme, comme moi atteint du coronavirus, a aussi dormi là-bas avec moi. Ils fermaient derrière nous. On ne pouvait pas sortir. Nous on ne voulait pas sortir. Ils nous ont amené de la nourriture trois fois par jour. Durant une semaine, on n’est pas sorti.

J’ai passé une semaine dans ma voiture et une semaine dans cet abri de la protection civile. Normalement je dois quitter ce lieu aujourd’hui. Le docteur m’a donné un arrêt maladie jusqu’au 22 mars. J’ai encore appelé mon assistante sociale aujourd’hui. Je lui ai expliqué que l’ami qui me laisse habiter chez lui ne veut pas que j’y retourne encore parce qu’il n’est pas sûr que je ne sois plus contagieux. L’assistante sociale m’a redit qu’elle ne peut rien faire. La seule chose qu’elle m’a proposée c’est d’aller dormir dans un autre abri de protection civile avec 40 ou 50 personnes. Je n’ai pas refait de test pour savoir si je ne suis plus porteur du coronavirus. J’ai appelé le docteur mais il m’a dit qu’ils ne faisaient pas de deuxième test. Il m’a dit que je pouvais sortir. Mais il m’a quand même dit que je devais faire attention de ne pas être proche de gens pendant 20 jours. Et l’assistante sociale voulait m’envoyer dans un endroit où autant de personnes vivent ! Je suis resté une semaine dans ma voiture, exprès pour ne pas approcher des gens. Ce soir, je vais rester encore dans cet abri de protection civile vide. J’ai dit que je toussais. Je ne veux pas aller dans l’autre abri rempli de personnes. Les pompiers n’ont rien dit pour l’instant.

L’hospice et l’hôpital n’ont rien organisé pour moi. Je n’ai pas compris. Ils m’ont laissé dehors. Ils savaient que j’étais positif et que je n’avais pas d’endroit où aller. Ils m’ont laissé comme ça. Ils m’ont juste dit : « Restez chez vous et restez seul ». Si je ne faisais pas attention, imaginez ! Pendant les jours passés dans ma voiture, je n’ai pas mangé. Je n’avais même pas reçu de masque. Je ne voulais pas aller à la Migros, je savais que j’étais positif. Je n’ai rien mangé. Si j’avais approché d’une personne âgée ou d’une personne malade, j’aurais pu tuer quelqu’un.

Mercredi 25 mars, au téléphone, il raconte encore :

Mon assistante m’a appelé aujourd’hui pour me dire à nouveau que je devais aller dormir dans l’abri de la protection civile où dorment une quarantaine d’autres personnes. Alors que je ne sais pas si je suis toujours contagieux ? Je me sens mieux mais je ne sais pas. Elle veut m’envoyer dans un endroit où il y a 40 personnes !
De toute façon, l’abri collectif que mon assistante me propose, c’est une solution uniquement pour la nuit. La journée, ils s’en fichent ! Qu’est-ce que je vais faire toute la journée ? Je vais rester dehors ? Pour fuir le froid, je n’aurai pas d’autre choix que de me réfugier dans ma voiture. Tout est fermé.

Cette nuit encore, je peux dormir dans l’abri de la protection civile vide où je dors depuis plus d’une semaine. Mais demain je dois aller me présenter à 19h dans l’autre abri où dorment beaucoup d’autres personnes. Je ne veux pas y aller. Je ne veux pas encore être au contact d’autres gens. Je ne suis pas encore sûr que je ne peux pas transmettre le virus !

Je n’ai jamais demandé d’argent à l’Hospice. Je travaille et je paye mes assurances et mon loyer moi-même. La seule chose que je demande en ce moment c’est de m’aider dans cette situation du coronavirus. L’unique chose que je demande à l’Hospice c’est un endroit pour cette période difficile à passer ! Et eux, ils ne veulent pas m’aider ! Leur seule proposition, c’est un abri de la protection civile rempli de gens.

Jeudi 26 mars, au téléphone, il raconte encore :

N’ayant toujours pas trouvé de solution, je vais dormir à nouveau dans ma voiture cette nuit….

P.S.

Texte initialement publié sur le site du Silure

Notes

DANS LA MÊME THÉMATIQUE

À L'ACTUALITÉ

Publiez !

Comment publier sur Renversé?

Renversé est ouvert à la publication. La proposition d'article se fait à travers l’interface privée du site. Si vous rencontrez le moindre problème ou que vous avez des questions, n’hésitez pas à nous le faire savoir
par e-mail: contact@renverse.co