Le récit policier raconte que le 3 septembre 2016 peu après 22 heures, trois agents de la police municipale, dont la plaignante, se rendent à la pointe de la Jonction suite à une plainte du voisinage pour du « bruit excessif de musique ». Sur place ils se dirigent vers la sono afin de demander aux propriétaires de baisser le volume. En dépit de plusieurs sollicitations, toujours selon la police, les personnes refusent de baisser la musique, c’est pourquoi l’un des agents débranche le câble de la sono. Les trois agents auraient ensuite été encerclés et bousculés violemment par une foule d’environ 100 personnes profèrant des insultes à leur encontre. La plaignante prétend avoir été saisie par le cou puis tirée en arrière par un individu non-identifié. Les agents appellent des renforts, alors que le groupe s’en va et se dirige vers la place des Volontaires.
On ne sait pas trop comment ni pourquoi, mais c’est un agent de la BRIC [1] qui rejoint les municipaux et reconnaît, devant l’Usine, la femme désignée par la plaignante comme celle l’ayant insultée. Pourquoi elle, alors qu’iels étaient une centaine à la pointe de la Jonction ? Le récit de la police stipule qu’il l’a reconnue car elle fréquenterait « la mouvance alternative locale ». On notera que pour une histoire de tapage nocturne, c’est assez surprenant qu’un agent de la police politique genevoise intervienne et que par miracle, il s’agisse en plus d’une personne qu’il connaît déjà.
Il semblerait que dans la pratique policière genevoise (et suisse en général), les détails des descriptions de personnes potentiellement condamnées ne sont importants que lorsqu’il s’agit de personnes blanches.
Quoiqu’il en soit, le 6 septembre, la plaignante a déposé plainte contre une personne l’ayant traitée de "conne", et lui ayant dit : "allez vous faire foutre" et "je vous emmerde". Alors qu’on a aucune information concernant une plainte contre la personne qui l’a supposément prise au cou et tirée en arrière, c’est la personne qui l’aurait insultée qu’elle désigne et décrit comme étant "assez fine et de couleur noire" ; une description pour le moins vague et largement insuffisante... Elle aurait finalement reconnu l’accusée sur des planches photo. Cette description reste néanmoins suffisante pour la police pour affirmer qu’il s’agit de la personne reconnue par la BRIC aux abords de l’Usine. Comment cette description permet-elle d’écarter toutes les autres personnes "de couleur noires et fines" de la ville ? C’est ce qu’on appelle du profilage racial [2]. Il semblerait que dans la pratique policière genevoise (et suisse en général), les détails des descriptions de personnes potentiellement condamnées ne sont importants que lorsqu’il s’agit de personnes blanches. En tout cas, il est suprenant de constater que ces pauvres éléments descriptifs suffisent à monter un dossier menant à une condamnation.
C’est ainsi que l’accusée, qui n’a aucun antécédent judiciaire, est reconnue on ne sait trop comment, puis convoquée par la police pour un interrogatoire. Elle s’y rend, maintient ne pas avoir été présente au moment de l’altercation et concède qu’il est possible qu’elle soit passée à l’Usine, comme elle en a certains soirs l’habitude.
Pendant l’interrogatoire, un des policiers présents avoue : « il ne m’est pas évident de reconnaitre une personne noire sur une planche photo, tant les traits des personnes noires sont similaires à mes yeux, tous comme les asiatiques ». Une honnêteté troublante de la part d’un policier qui a le mérite de mettre le doigt sur un aspect central de cette histoire : le racisme de la police et le contrôle au faciès, pratique quotidienne à Genève et ailleurs.
Pendant l’interrogatoire, un des policiers présents avoue : « il ne m’est pas évident de reconnaitre une personne noire sur une planche photo, tant les traits des personnes noires sont similaires à mes yeux, tous comme les asiatiques ».
En fait, pour la police, il est suffisant d’avoir quelques éléments vagues tels que "personne noire", "devant l’Usine" et "insulte une flic" pour désigner une personne présumée coupable. Il est important de noter, que les deux autres agents municipaux présents lors de l’intervention à la pointe de la Jonction, disent ne pas reconnaître particulièrement la personne désignée. C’est donc un dossier constitué par une plaignante et un agent de la BRIC, contre une personne uniquement reconnue par le critère de sa couleur de peau.
Reprenons l’histoire depuis le début, trois agents sont bousculés et insultés par une foule d’une centaine de personnes et le seul signalement qu’ils retiennent est « une femme assez fine et de couleur noire ». La plaignante retrouve un agent de la BRIC devant l’Usine et lui désigne une femme noire, il se trouve (par hasard ?) qu’il la connaît, alors même qu’elle n’a jamais eu d’ennuis avec la police ou la justice. Puis, c’est le même agent qui soumet la planche photo à la plaignante, qui convoque l’accusée et l’interroge.
La BRIC a une existence officielle assez floue, on ne sait pas vraiment sur quelles bases ses agents récoltent des informations. Suffit-il de fréquenter l’Usine pour mériter une fiche de la BRIC ? Comment un agent de la BRIC peut-il être celui qui reconnaît la personne et qui l’interroge ensuite pour une histoire qui ne devrait même pas concerner sa brigade ? Pourquoi lui avoir demandé ses liens avec la mouvance alternative alors que l’affaire concerne une flic municipale insultée lors d’une intervention pour tapage nocturne ? Pourquoi avoir désigné et poursuivi une seule personne, alors qu’il y avait environ cent personnes présentes lors de l’intervention de police ?
Ce que l’on sait par contre c’est que la BRIC a tendance à prendre quelques libertés dans les procédures. Pour rappel, le chef de cette même brigade a été condamné pour faux dans les titres l’année dernière...
La personne inculpée a donc probablement bien fait de faire opposition... !
Affaire à suivre, mardi... On se réjouit de savoir ce qu’en pense la Justice...