A la veille des votations nationales, le 20 novembre passé, ESPOL – la section sciences politiques de l’AESSP – nous invitait à sa table ronde intitulée « Directive européenne sur les armes et référendum UDC » à l’Université de Lausanne. La présentation de l’événement faite par ESPOL dans un post Facebook annonce : « Ce sera l’occasion d’échanger sur le port d’armes, le référendum UDC contre la directive européenne sur les armes, dans un contexte d’auto-détermination ! » [2] . Un premier choix – à portée politique – a été pris ici par les organisateurs·trices : celui de proposer un débat sur le référendum UDC au sujet des armes (lancé le 5 octobre passé) dans le cadre des votations du 25 novembre comprenant l’initiative « le droit suisse au lieu des juges étrangers » portée par l’UDC. La décision a donc été prise par ESPOL de traiter de « l’autodétermination » depuis la question du port d’armes, plutôt que de soulever d’autres questionnements liés à l’initiative, par exemple ceux qui touchaient aux Droits Humains. Soit, parlons donc d’armes. Mais avec qui ?
Trois intervenant·e·s sont proposé·e·s par ESPOL : Jean-Luc Addor, Conseiller national UDC, Bernard Wicht, Privat-docent à l’IEPHI et Müriel Waeger, JSV et ancienne membre du comité directeur JS Suisse. Un deuxième choix – lui aussi à portée politique – pour le moins questionnable. En effet, nous tenons d’abord à rappeler quelques points de la biographie de Monsieur Addor : il est avocat, mais aussi vice-président de Pro Tell (« société pour un droit libéral sur les armes », aussi considérée comme « le lobby suisse des armes » [3]), membre du MOSCI (mouvement Suisse contre l’islamisation) [4] , co-initiateur de l’initiative valaisanne contre le voile dans les écoles (initiative jugée irrecevable par le Grand Conseil valaisan, puis, suite à un recours mené par Jean-Luc Addor au Tribunal fédéral, jugée inconstitutionnelle par le TF en août 2018 [5].) C’est aussi lui qui a été jugé pour discrimination raciale en été 2017 par le Tribunal du district de Sion, suite à son tweet « On en redemande ! » après qu’ait eu lieu une fusillade qui a fait un mort dans la mosquée de Saint-Gall en 2014. [6]
Ainsi, à la découverte de la venue de Jean-Luc Addor à l’Université de Lausanne, un groupe d’étudiant·e·s s’est mobilisé pour qu’une telle intervention de l’extrême droite islamophobe et raciste ne passe pas inaperçue dans nos bâtiments. En une journée, nous nous sommes rencontré·e·s et avons décidé·e·s de réagir. Nous avons d’abord imprimé une affichette où l’on pouvait lire : « Quand une asso représentative (ESPOL) invite LA figure islamophobe et raciste de l’extrême droite Suisse à l’Unil pour parler du port d’armes... » que nous avons collée auprès des affiches annonçant la table ronde d’ESPOL, et ce afin de dénoncer publiquement leurs choix aux yeux des membres de l’Université. Pourquoi ?
Parce que dans sa charte, l ’Université, en tant qu’institution publique, se donne comme but de contribuer « à la formation de citoyennes et de citoyens humanistes, critiques et responsables, autonomes et solidaires, désireux de développer constamment leurs compétences et animés par la volonté du dépassement des acquis, tout au long de la vie. ». Or, nous ne pensons pas que la venue de Jean-Luc Addor comme intervenant à l’Université de Lausanne reflète les idées humanistes d’un tel énoncé. Mais en plus, nous répétons qu’une personne ouvertement raciste et islamophobe n’a pas sa place dans nos bâtiments puisque « l’Unil garantit à ses membres le respect des droits fondamentaux de la personne humaine ; elle leur donne toute liberté de conscience et de croyance, dans le respect des règles de la vie communautaire. » [7]. En acceptant la venue d’un tel intervenant, nous ne nous plaçons pas dans une optique de « liberté d’expression », mais au contraire, nous tolérons l’intolérance : la même qui s’affaire dans notre société suisse et occidentale à déshumaniser et discriminer des populations ciblées par l’extrême droite : les personnes musulmanes et/ou discriminé·e·s en raison de leurs origines (réelles ou supposées). A quel moment devient-il plus important de donner la parole à une personne à la posture et aux propos islamophobes (qui en passant a un accès direct à l’espace politique et médiatique pour s’exprimer) plutôt que de se solidariser avec celles et ceux de la population universitaire qui subissent ces discriminations au quotidien ?
Y a-t-il vraiment une justification crédible au fait d’inviter une personne qui tient des discours violents au sujet de toute une partie de la communauté universitaire ?
Nous ne le pensons pas. Surtout quand les arguments répétés par l’AESSP sont une « liberté d’expression » vide de sens et un « on peut débattre de tout » dépolitisé. Nous osons espérer d’étudiant·e·s ayant suivi un cursus de sciences politiques, mais aussi membres de l’association qui représente la faculté de SSP, une analyse plus fine et réflexive de ses prises de position, de ses propositions d’évènements et de ses intervenant·e·s.
Dans le but de confronter les organisateurs·trices de cette table ronde, nous avons donc décidé de nous y rendre en tant qu’étudiant·e·s et doctorant·e·s consterné·e·s. Nous avons été surpris·e·s de voir que déjà nous nous y faisions attendre : le service de sécurité de l’Unil était déjà là, protégeant Jean-Luc Addor et surveillant les portes de la salle de conférence. Un étudiant a d’ailleurs dû donner son identité. Nous avons heureusement pu entrer et participer à la discussion. Intervenant dès la présentation de la table ronde par le médiateur du débat, nous avons émis notre critique par des prises de parole. Or, sous prétexte d’éviter tout « débordement » et de cadrer le débat, le médiateur d’ESPOL a menacé de faire recours au service de sécurité afin de faire sortir des potentiel·le·s perturbateurs·trices. Ce genre de rapport de force sont-ils les plus propices au débat démocratique, dont l’AESSP se targue d’être les défenseurs·euses ?
A ce sujet d’ailleurs, nous dénonçons fermement l’inéquité du débat proposé, car si nous avons plus tôt pris le temps de présenter la « tête d’affiche » de cette table ronde, notons que le choix de l’expert scientifique proposé, à savoir Bernard Wicht, est tout aussi contestable. En effet, par son statut de Privat Docent, Monsieur Wicht n’est pas contraint de la même manière que les autres professeur·e·s de l’Unil [8]. Or, si l’on s’intéresse de plus près à ses écrits ou interviews, nous découvrons qu’on y parle entre autre du « citoyen-soldat » comme reflet de la souveraineté populaire et de la « diffusion du port d’arme dans la société » comme solution aux enjeux actuels et futurs [9]. Tous ces éléments posent problème du moment que Bernard Wicht devait jouer le garant d’un débat équitable.
Nous découvrons qu’on y parle entre autre du « citoyen-soldat » comme reflet de la souveraineté populaire et de la « diffusion du port d’arme dans la société » comme solution aux enjeux actuels et futurs.
Si l’intervenant devant représenter l’Université lors de la table ronde fait pencher la balance du côté de l’extrême droite, retrouve-t-on réellement les conditions favorables à ce que chaque participant·e puisse se forger une opinion critique ? Finalement, face à l’expert scientifique et au Conseiller national, nous retrouvons Müriel Waeger, une Jeune Socialiste, la seule femme, la plus jeune des trois, et la seule de gauche. Le rapport de force est-il vraiment propice au débat ? Quel type de liberté d’expression défend-t-on ici ? De quelle « pertinence » des intervenant·e·s parle ESPOL dans son communiqué du 21 novembre ? Quelle sorte de pertinence auraient Monsieur Addor et Monsieur Wicht à parler du cadre légal autour des armes en Suisse alors que le premier, dans le cas d’une fusillade, encourage à la récidive et que le deuxième défend le retour du « citoyen-soldat » ?
Par ce communiqué, nous voulons réaffirmer qu’en tant que membres de la communauté universitaire de Lausanne, nous n’accepterons pas que notre lieu d’étude serve à la promulgation de discours d’extrême droite, d’appels à la haine et à l’armement. Nous n’accepterons pas que sous couvert de liberté d’expression, une part de notre communauté voie sa dignité être mise de côté par une association pourtant censée représenter au mieux les intérêts des étudiant·e·s et des membres qui forment sa faculté. Pour cette raison, nous demandons à l’AESSP et à sa section ESPOL de reconnaître son erreur, de formuler ses excuses et de s’engager à ne plus réitérer ce genre de choix d’événement et d’intervenant·e·s.
Des étudiant·e·s et doctorant·e·s de l’Unil.
NB : Toutes personnes, associations ou collectifs ou autres désirant soutenir cette lettre ouverte est priée de nous le signaler par mail à l’adresse suivante : maa.unil.epfl@gmail.com