Féminismes - Luttes Queer Transphobie

Casse toi Éric ! Retour sur l’action du 12.05 à Uni Bastions

Le département de français moderne avait choisi la date de la journée de lutte contre l’homophobie et la transphobie pour inviter un réactionnaire notoire, Éric Marty. Mauvais calcul, nous étions là et en nombre. Nous ferons ici un bref récit de l’action et retranscrirons le tract qui a été lu et distribué à l’occasion.

Genève | Université de Genève |

Ce qui s’est passé

Le 29 avril déjà, une conférence donnée à Uni-Bastions par les auteures d’un livre visant à remettre en question l’accès à la transition pour les personnes mineures était interrompue par des militant.x.e.s. Le recteur, tout en condamnant fermement l’interruption de la conférence, avait réaffirmé par voie de presse que l’Université de Genève prenait très au sérieux les droits des personnes trans en son sein. Ce mardi 17 mai il n’a pourtant pas jugé bon de questionner la venue dans ses locaux d’Éric Marty qui, lui, ne cache pas son hostilité vis à vis des personnes trans et, passez-nous l’expression, de la "théorie du genre".

Puisque l’Université n’a pas su traduire en actes le progressisme dont elle se targue, nous nous sommes vu.x.e.s dans l’obligation de réagir par nous-mêmes. C’est dans cet esprit que nous avons rejoint la salle B105 à Uni-Bastions. Une fois sur place nous avons pris le contrôle du micro, déployé une banderole sur laquelle on pouvait lire "réacs hors de nos unis/vies" et signifié au public (peu nombreux heureusement), aux organisateurs.trices et à monsieur Marty que la conférence n’aurait pas lieu.

Il a fallu un peu de temps à nos interlocuteurs.trices pour comprendre qu’il n’y avait qu’un dénouement possible : leur départ. En attendant qu’ils.elles percutent, nous avons entonné des slogans et des chants. Déterminé.x.e.s à ne pas laisser de place au discours transphobe de Marty, nous n’avons cependant pas initié d’altercation physique. On ne peut pas en dire autant de ceux qui nous faisaient face : non contents d’avoir organisé une conférence de merde sur un livre de merde, certains se sont montrés carrément agressifs. Nous avons dû repousser les assauts répétés de trois individus hors d’eux : monsieur Florian Streseman, assistant dans le département de français moderne, poète de bas étage et manifestement grand supporter d’Éric Marty, un homme non identifié pour l’instant, et monsieur Marty lui-même. Pendant que le premier fonçait sur un.x.e militant.x.e en beuglant, le second faisait mine de mettre feu au livre de Marty en s’agitant avec un air désespéré - sans doute s’était-il rendu compte qu’il avait jusque là fait fausse route. Marty s’est quant à lui illustré par son humilité : il a répété une bonne dizaine de fois que son bouquin était un chef d’oeuvre. Ultra gênant.

Enfin, après 45 minutes d’échange peu constructif, cette bande de champions a fini par quitter le bâtiment la queue entre les jambes et a rejoint les keufs appelés pour l’occasion sur le parvis de l’Université. Transphobes : 0 / Nous : 2.

Ce que nous avions à dire

Ce mardi 17 mai a eu lieu la journée internationale de lutte contre les discriminations envers les personnes LGBTIQ+. Une cause à laquelle l’Université de Genève a largement affiché son soutien à travers la mise en place d’une exposition dans le hall d’Uni Mail et l’organisation de diverses conférences. Cette même Université a pourtant une vision très superficielle et très conditionnelle de la lutte contre les discriminations homophobes et transphobes. C’est ainsi que, dans un article paru le 30 avril 2022 dans le journal 20 Minutes, elle reprochait leur « refus de dialogue » à des militant·es n’ayant pas souhaité laisser se tenir entre ses murs une conférence transphobe.

Les invitées de la conférence en question étaient Céline Eliacheff et Caroline Masson, deux psychanalystes lacaniennes sans expérience de travail avec des mineur·es trans, auteures du livre « la fabrique de l’enfant transgenre ». L’ouvrage remet en question l’accès des mineur·es à la transition au nom de « la protection de l’enfant ». Elles argumentent contre le droit à la transition en se basant sur des arguments pseudo-scientifiques ultra-minoritaires et des études largement dénoncées par la communauté scientifique pour leurs biais importants, tout en ignorant plus de quarante ans de recherche en matière de santé trans. Leurs positions s’appuient sur les thèses réfutées depuis 2018 par la World Professional Association for Transgender Health (WPATH), une ONG composée de nombreux·ses professionnel·les de la santé et active dans le domaine de la santé trans depuis plusieurs décennies. En Suisse, la fondation Agnodice, qui regroupe des professionnel·les travaillant avec des jeunes trans, et fait donc partie des seuls groupes interdisciplinaires ayant une réelle expertise de la question en Romandie, a également publié une prise de position soutenant l’accompagnement trans-affirmatif. Eliacheff et Masson
appellent donc, sans aucune base scientifique crédible, à des mesures qui auront des conséquences graves sur les conditions de vie de la population transgenre. Pour le vérifier, il suffit de se tourner vers les États-Unis, notamment le Texas, où l’interdiction des procédures transaffirmatives a eu des conséquences désastreuses.

Il semblerait donc que pour l’Université, tout opinion soit bonne à prendre, mérite le débat d’idée, peu importe à quel point elle est mortifère. Quant à la lutte contre les discriminations transphobes et homophobes, il est plus simple de s’en prévaloir que de la pratiquer de manière concrète.

On n’est donc guère surpris quand le département de français moderne de cette même université choisit précisément le 17 mai pour inviter le philosophe Éric Marty, lequel définit les trans comme « une minorité très active qui produit la violence ». Aux côtés de nombreux autres penseurs, il s’inscrit dans l’offensive réactionnaire actuelle, qui vise particulièrement les trans mais touche toutes les minorités, particulièrement les femmes. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si l’adoption de nombreuses lois anti-trans aux États-Unis a été suivie d’une remise en question de l’avortement. La situation des minorités les plus marginalisées (ici les trans) est indicateur d’une tendance, et une attaque réactionnaire ne s’arrête jamais à la cible qu’elle a choisi en premier. En Suisse, l’AMQG, une association formée de parents qui souhaitent empêcher leurs enfants, en réalité des adolescents ou jeunes adultes, de transitionner, fait depuis deux ans un lobbying très actif contre les transitions de genre.

À une époque où il n’est plus socialement acceptable d’être ouvertement transphobe, les réactionnaires se réinventent, et se posent en défenseurs des plus faibles : les femmes et les enfants. Mais leur but n’est pas de défendre les femmes : il est de protéger une certaine vision de la femme, que l’existence des trans menace. C’est exactement pour cette raison que leurs attaques ne se limiteront pas à empêcher les transitions. De même, le but final que porte ce projet réactionnaire n’est pas la protection des enfants : il est de façonner des enfants conformes, destinés à devenir des femmes et des hommes qui correspondent à une vision extrêmement restreinte des catégories de sexe. Ce que porte l’offensive réactionnaire, c’est un projet de société.

L’Université est en train de devenir l’antichambre d’une lutte active contre les minorités sexuelles et de genre. Nous, personnes trans, homosexuelles, membres d’une minorité de genre ou sexuelle et allié.es, ne resteront pas silencieux.ses.

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