Urbanisme - luttes de territoire

CFF - bien plus qu’un service de transport

Si le lien entre néo-libéralisme et politique ultra-sécuritaire n’est plus à faire ou ne pourrait être ré-articulé ici, les CFF en sont toutefois un exemple criant. La création de services de sécurité et de centres de détention dans ses gares, l’échange et la valorisation de parcelles par la constructions de tours, l’expulsion de quartiers entiers pour y imposer des projets immobiliers aux loyers toujours exorbitants et en dernier lieu l’instrumentalisation de l’art pour faire passer la pilule ; tout ça participe bel et bien d’un seul unique mouvement écrasant d’une entreprise too big to fail.

Suisse |

Le Collectif Droit de Rester a fait paraître il y a quelque temps une lettre ouverte pour s’opposer à des cellules de rétention qui devraient voir le jour sous les rails de la gare à Lausanne. Relent amer après un article d’un thème du mois qui nous disait comment les CFF utilisaient des projets artistiques pour, entre autres, faire un nappage doré à leur pratiques dégueulasses. Voici des choses parmi d’autres qu’on découvre sur les CFF quand on gratte un peu.

« La Confédération assigne aux entreprises liées à la Confédération des objectifs relatifs à l’offre de prestations. Elle leur accorde en même temps une grande liberté de gestion afin qu’elles puissent faire face à la concurrence. Les entreprises sont organisés en sociétés anonymes dont la Confédération doit détenir la majorité des actions (actuellement : Poste et CFF 100 %, Swisscom 51,2 %, Skyguide 99,9 %) ».
 [1]

Autrement dit, au-delà des services que ces entreprises « liées à la Confédération » comme les CFF sont sensées garantir, elles ont comme mot d’ordre de ramener de la tune à leur principal voir unique actionnaire dans le cas des CFF. Difficile d’imaginer dans ce même cas d’où viendrait la concurrence.

Nos chemins de fers sont une régie immobilière sans scrupule

Sur le marché du logement, l’ex-régie fédérale agit comme n’importe quel promoteur/spéculateur. Pour la majorité de la population, les CFF sont une entreprise d’État qui œuvre pour l’intérêt collectif dans le domaine des transports. Mais depuis le 1er janvier 1999, date de la transformation de la régie fédérale des Chemins de fer fédéraux en société anonyme, le profil des CFF a bien changé. En effet, au-delà de développer et de gérer le réseau ferré et de moderniser les rames de chemins de fer et de les faire circuler, les CFF sont devenus – et la population l’ignore – le deuxième acteur immobilier de Suisse derrière Swiss Life alors qu’il se retrouve également en deuxième position des propriétaires terriens, derrière cette fois….. le Département de la Défense. Olé. Le podium des copains.

« [[…] Il faut se rappeler que, lors de la transformation des CFF en Société Anonyme, les CFF ont reçu gratuitement de la Confédération tous les terrains affectés au rail. Plus même, les CFF ont négocié avec de nombreuses communes et certains cantons pour obtenir – le plus souvent gratuitement – les terrains propriété publique affectés au rail qui leur échappaient. Progressivement les grandes surfaces aux mains des CFF n’ont plus été nécessaires à l’exploitation ferroviaire. Les CFF n’ont jamais pensé à restituer à la Confédération, aux cantons ou aux communes les terrains devenus inutiles à leur activité afin que ces entités publiques les utilisent pour leurs politiques de logement. Bien au contraire, les CFF ont exploité au maximum les capacités constructives de ces espaces avec un pur objectif de rentabilité. C’est ainsi que les CFF sont devenus en catimini un énorme promoteur et gérant immobilier, essentiellement dans la région lémanique, à Bâle et à Zurich.
Aujourd’hui, les CFF gèrent 3500 bâtiments, dont 800 gares. En dix ans, les revenus immobiliers ont augmenté de 50% en raison des nouvelles constructions en des lieux très prisés. En 2017 seulement, les revenus du parc d’immeubles a atteint la somme de 480 millions de francs. Et les CFF ne s’arrêteront pas en si bon chemin vu les projets en cours et à venir et leur politique quant au niveau des loyers. Actuellement déjà, les 1,02 millions de mètres carrés de surfaces locatives sont valorisés à 449 fr. le mètre carré par an, soit 50% de plus que le rendement de 298 fr. le mètre carré par an réalisé sur ses biens immobiliers par SPS (Swiss Prime Site), le plus important fonds immobilier coté en Bourse.
Quelques exemples illustrent l’approche spéculative des CFF. À Zurich, le long de la gare actuelle, un nouveau quartier rutilant sort de terre et est mis en location ou en vente. C’est la promotion de l’Europaallee. Les CFF y louent des 3,5 pièces à 4,5 pièces, selon les secteurs de la promotion entre 4940 fr. et 5885 fr. par mois et 3350 fr. et 5630 fr. Il est loin le temps où les CFF et la Confédération promouvaient les coopératives d’habitation pour les cheminots !
 »
Carlo Sommaruga, Président de l’ASLOCA Suisse, 2018 [version raccourcie]

En 2018, la revue TRACÉS a publié un hors série intitulé Sites CFF : de l’infrastructure à la ville. En page 9, une carte légendée ainsi : « Les CFF planifient actuellement la transformation de différents sites dans toute la Suisse. » Des points rouges répertorient 21 opérations à travers le pays. Sans surprise, c’est autour de Zurich que se situent le plus grand nombre (6). Cependant, la ville qui vient ensuite n’est pas Genève (3) ou Bâle (1) mais Lausanne avec 5. Acritique et complaisant, l’éditorial signé Tina Cieslik, rédactrice architecture/architecture d’intérieur TEC21, décrit ainsi l’importance du processus en cours : « Des terrains bénéficiant d’une mise en valeur remarquable et d’une situation privilégiée en plein cœur de ville ? Les Chemins de Fer Fédéraux (CFF) possèdent quelques-uns de ces joyaux. En raison de l’évolution structurelle, les CFF libéreront d’ici quelques années environ 150 de ces sites, qui seront reconquis pour un nouvel usage. C’est une véritable opportunité pour les villes, qui peuvent ainsi se développer en leur centre. » Or les CFF n’ont visiblement pas l’intention de « libérer » quelque site que ce soit. Leur objectif est bien de les transformer en machine à cash, sans la moindre considération pour les enjeux sociaux d’une telle politique. Qui sait que la constructions du nouveau Musée cantonal de Beaux-Arts de Lausanne a été l’occasion pour les CFF de trouver avec cette ville un arrangement par lequel elle recevait un terrain à Malley lui permettant de construire un complexe de logements haut de gamme en échange de celui sur lequel le bâtiment a été réalisé qui offrait très peu de potentiel pour une opération telle que celle prévue dans l’ouest lausannois ? Ancien quartier industriel et populaire, Malley va bientôt voir croître en son coeur une série de tours disant bien le public qu’elles visent. Alors que tous les regards étaient tournés vers Plateforme 10, ce quartier qui devrait faire de Lausanne une capitale culturelle (quelle culture ? pour qui ?) se mettaient en place les lignes directrice de la transformations d’une partie considérable de la ville et de ses alentours sans débat public à la hauteur de l’enjeu.

Au-delà des tours à venir, c’est toute l’orientation de la manière de bâtir la ville que les autorités politiques ont simplement soumise à la vision mercantile des CFF et on se rend assez vite compte que ces autorités sont elles-mêmes soumises à celle-ci et que le rapport de force est pour ainsi dire inexistant.

Vitrine de la europaalle à Zurich brisée lors d’une manifestation contre la gentrification en 2016.

Comme le montre le quartier de l’Europaallee, l’action des CFF est une machine à embourgeoiser, à gentrifier des quartiers entiers, à assurer le contrôle de lieux, les alentours de gares, historiquement liées à des populations subversives. Ce détournement d’un service censément public au profit d’une logique purement financière accompagnée d’une volonté d’ordre dit la ligne directrice de cette entreprise : le capitalisme autoritaire. Et ce n’est pas un hasard si bientôt les chantiers des CFF serviront à l’extension des activités de surveillance née avec Securitrans. Depuis 2001, la sécurité dans les trains ainsi que le transport de détenu∙e∙s – jusqu’alors assuré par Sécuritas – est aux mains de cette filiale des CFF (51%) et Securitas (49%) qui s’est vu confier la charge de police ferroviaire. Depuis début 2021, Securitrans est une filiale détenue à 100% par les CFF et elle va sous peu prendre le nom de Transsicura. Le site des CFF nous annonce que : « À partir de 2022, Protection des chantiers sera intégrée à CFF Infrastructure et Surveillance spéciale deviendra une filiale de CFF Immobilier. La nouvelle société est baptisée Transsicura ». Securitrans, comme Securitas, a fait maintes fois l’objet de plaintes – relayées à plusieurs reprises dans les rapports d’Amnesty International – pour profilage racial et abus d’autorité. Securitrans est également responsable du transport des prisonnier.e.s et représente une partie importante de la machine à expulser.

Il ne s’agit donc pas de s’étonner que les CFF n’installent de tels centres de sécurité dans leur bâtiments mais bien d’identifier les politiques ultra-libérales et sécuritaires comme les composantes inséparables d’un même visage du capitalisme autoritaire.

Notes

[1extrait du site de la confédération

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