Pourquoi les manifestant.e.x.s se sont-iels mobilisé.e.x.s ?
Les invitées de la conférence du 29 avril 2022 étaient Céline Eliacheff et Caroline Masson, deux psychanalystes lacaniennes sans expérience de travail avec des mineur.e.x.s trans, autrices du livre « la fabrique de l’enfant transgenre ». L’ouvrage attaque l’accès des mineur.e.x.s à la transition au nom de « la protection de l’enfant » alors même que la recherche en matière de santé transgenre démontre les impacts désastreux tant sur les plans physique, psychique et social de ce genre d’approches [1]. L’ouvrage compare également les personnes transgenres à un "scandale sanitaire". À travers leur organisation - l’Observatoire de la petite sirène - les deux autrices travaillent par ailleurs main dans la main avec des groupes d’extrême droite catholique français affiliés à La Manif Pour Tous.
Le 17 mai, Éric Marty, écrivain, professeur de littérature française contemporaine à l’Université Paris Diderot est venu présenter son nouveau livre, « Le Sexe des modernes », qui a la prétention de faire l’histoire du genre dans le champ de la philosophie. L’ouvrage "se donne pour projet d’abattre « l’icône » Judith Butler, de dénoncer l’hégémonie et l’entreprise idéologique du « gender » venu des États-Unis, et de faire barrage aux mouvements minoritaires, LGBT, trans et antiracistes [2]. Il s’agit là en réalité de réduire l’existence des personnes transgenres à la fois au statut de vague concept, et à la fois de les présenter comme étant un danger pour les femmes cisgenres.
Et pour vous, monsieur Flückiger, ça veut dire quoi liberté académique ?
Le rectorat, au travers des médias, n’a eu de cesse de mettre en avant le danger que représentent ce type de mobilisations pour la liberté académique : “il est crucial que nous puissions choisir nos thèmes de recherche librement [...] Nous avons besoin d’approches critiques, de dialogue. Pas d’autodafés.” Les étudiant.e.x.s et militant.e.x.s sont bien d’accord avec cela : il est toujours possible d’étudier un livre. Néanmoins, ces ouvrages diffusent des discours fallacieux, discriminatoires et dangereux pour la vie des personnes transgenres, et s’ils doivent être étudiés à des fins académiques, un cadre critique rigoureux doit être mis en place. L’université doit rester un lieu de pensée critique autour de la production de savoir et non pas une tribune de diffusion d’une idéologie mensongère et meurtrière, comme la transphobie.
Il est inacceptable que l’université utilise des notions telles que la “liberté d’expression” ou la “liberté académique” pour se soustraire à ses obligations envers ses étudiant.e.x.s et la société civile. Si ces deux libertés fondamentales doivent bien évidemment être garanties au sein de l’université, il est tout aussi primordial qu’elles n’obstruent pas la dimension émancipatrice du savoir et l’intégrité de tout.e.x un.e.x chacun.e.x.
Que viennent faire la police et le système pénal là-dedans ?
Nous condamnons fermement le tournant répressif que prend cette affaire. Rappelons peut-être que le rectorat indique dès qu’il le peut qu’il est ouvert au dialogue et que c’est même ce qu’il recherche. Quelle étrange manière d’amorcer un dialogue que de porter plainte pénale contre X, laissant par la même occasion, le soin à la police de mener une enquête contre ses étudiant.e.x.s. C’est une attitude qui est extrêmement grave dans tous les cas, mais qui l’est encore plus quand c’est pour des motifs politiques, c’est-à-dire pour avoir interrompu des discours incitant à la détérioration des conditions d’existence, remettant en question les vécus des personnes trans et incitant à la haine à leur encontre.
L’université s’apprête à déléguer la charge de cette affaire à la police et au pouvoir judiciaire alors qu’elle a des organes de répression qui lui sont propres. C’est une manière de faire qui ne se voyait pas ces dernières années et qui constitue un changement de paradigme dont nous dénonçons la gravité. Et nous craignons qu’il ne s’agisse que d’un précédent qui dicte la manière de réagir du rectorat devant l’expression de revendications étudiantes dans les prochaines années.
En tant que syndicat étudiant, nous demandons donc au rectorat de l’Université de Genève de :
- Renoncer à déposer plainte à l’encontre des étudiant.e.x.s et militant.x.es ayant pris part à l’action du 17 mai 2022.
- Arrêter, de manière plus générale, d’utiliser la répression administrative, policière et judiciaire comme moyen de réagir à la contestation au sein de l’Université.
- Reconnaître le caractère transphobe des ouvrages présentés par leurs auteur.ice.s dans le cadre des deux événements.
- Reconnaître le niveau structurel de la transphobie au sein de l’Université et de lutter contre ces manifestations, “aussi bien dans l’accomplissement des tâches d’enseignement et de recherche que dans les relations au sein même de la communauté académique”, au sens de l’article 4a de la Charte d’éthique et de déontologie des Hautes Écoles universitaires et spécialisées de Genève.
La CUAE se mobilise et continuera de se mobiliser pour les étudiant.e.x.s et contre la répression de l’Université tant qu’il le faudra !