Écologie - Antiindustriel

Frein à la Deutsche Bahn, jusqu’à ce que le « Train Maya » s’écroule !

Dans l’élan de la journée mondiale d’actions contre le (néo)colonialisme (12 octobre), les pneus de quatre voitures de fonction de la société « Deutsche Bahn (DB) » ont été crevés dans la nuit du 18 octobre. Cette entreprise est partie prenante dans le méga-projet destructeur du « Train Maya » au Mexique, présenté comme une innovation importante pour l’attractivité touristique et la modernisation du pays. Ce que ce « train de la mort » détruit sur son passage est incommensurable. Destruction rapide de la biodiversité, accaparement des terres, pénurie d’eau, renforcement de la militarisation de la région et des frontières, déplacements meurtriers de populations, et attaque directe sur l’autonomie et la résistance des communautés autochtones, n’en sont que quelques-unes de ses conséquences.

  • traduction d’un communiqué paru sur barrikade.info, le 19.10.2023 -

Le nouveau slogan de la Deutsche Bahn (DB) s’étale fièrement en lettres vertes sur leur train : « Le protecteur du climat le plus rapide d’Allemagne ». Un autoportrait un poil plus fidèle dirait plutôt « greenwashing » et « fossoyeur de droits humains ». En plus d’être une entreprise avec des intérêts capitalistes qui n’a jamais fait passer son souci écologique avant son profit, la participation de la DB à l’un des projets les plus dévastateurs pour l’environnement de ces dernières décennies fait de son slogan rien d’autre que du pur cynisme.

La filiale de la Deutsche Bahn « DB Consulting & Engineering » est l’un des acteurs responsables (avec d’autres cités plus loin) d’un désastre complet de l’autre côté de la planète : le méga-projet du train « Maya ». Un projet d’infrastructure qui prévoit la construction de nouvelles lignes de chemin de fer et d’autoroutes au sud-est du Mexique. Initié par le gouvernement mexicain, le nouveau réseau devrait déjà faire circuler 6 milliards d’euros provenant d’investisseur·eusexs privé·exs et public·xs. Avec ses 1’500km de long, le chemin de fer reliera cinq régions administratives, de Palenque à Cancun. Le gouvernement promet une modernisation du pays, une augmentation du tourisme, et par ricochet, de nouvelles places de travail. La gestion du méga-projet a été remise aux mains de l’armée mexicaine, et une grosse partie du profit ira directement à ses forces de combat, boostant au passage son développement et son pouvoir. L’armée est également impliquée dans le chantier de construction du tronçon, ce qui permet une défense directe du projet contre toute forme de résistance.

Depuis des centaines d’années, les gen·xs du Chiapas s’organisent contre la colonisation de leur vie imposée par les structures et les mentalités capitalistes. Les Zapatistes, par exemple, s’opposent au train « Maya » depuis le tout début de sa planification.

Le train « Maya » et la destruction de l’environnement

Le train « Maya » n’est pas qu’un train : ce projet est responsable de la destruction de la dernière forêt pluviale du sud du Mexique, du mépris des droits des populations autochtones, de l’accaparement des terres, de l’expulsion de leurs habitant·exs, et de la militarisation accrue de la région.

Malgré de nombreuses oppositions de toutes parts, le ministère de l’environnement et des ressources naturelles (SEMARNAT) a donné son accord en 2020 pour le démarrage des travaux de construction, qui devraient se terminer en décembre 2023.

Le nouveau chemin de fer implique la déforestation de 800 hectares de forêt. Il traversera 23 réserves naturelles protégées, dont 20 seront complètement détruites. Et le projet de construction du train « Maya » en entraîne d’autres : comme une autoroute qui traversera la forêt tropicale humide. Les travaux de construction touchent et perturbent des systèmes uniques de réseaux hydriques souterrains, à l’origine de sources d’eau douce vitales pour les populations vivant dans la région. L’impact inimaginable de ce projet sur ces écosystèmes complexes et sensibles lui fait porter un rôle crucial dans l’accélération des changements climatiques globaux.

« (…) entre 2004 et 2017, la Selva Maya, l’une des dernières grosses forêts tropicales du continent (la forêt s’étend entre le sud du Mexique, le Belize et le Guatemala) a déjà perdu 546’000 hectares (l’équivalent de 700’000 terrains de football). Aujourd’hui cette énorme déforestation menace de s’intensifier encore plus drastiquement à cause de projets comme le train Maya (...) »

Militarisation de la région et intérêts internationaux

Des méga-projets comme celui-là signifient aussi entrave à la liberté de mouvement. Ces restrictions s’accompagnent d’un élargissement de la surveillance, du contrôle social, et d’un durcissement des autorités. Placée sous le contrôle de l’armée, la construction du rail permet de surveiller plus facilement les déplacements de personnes dans la région, et par là même, simplifie leur illégalisation. Ce méga-projet sert ainsi les intérêts de celleux qui profitent de la fermeture des frontières (nationales), dès lors qu’il se situe en plein sur l’une des dites « routes de migration » les plus importantes entre Abya Yala et l’Amérique du Nord. Sans surprise, les décisions concernant son tracé et son emplacement géographique sont basées sur un accord entre les gouvernements mexicains et états-uniens. Le renforcement des frontières protège les intérêts nationaux, nourrit le système carcéral, et soutient l’exploitation systémique (en bref : plus les personnes sont illégalisées en franchissant les frontières, et éventuellement emprisonnées, plus il sera possible d’en tirer de la force de travail bon marché).

« Si vous placer les différents méga-projets et projets d’infrastructures sur une carte, vous remarquez qu’ils constituent le maillage d’une « barrière contre la migration » conçue pour servir les intérêts géopolitiques des Etats-Unis », dit Dr. Sergio Prieto Diaz, professeur au Colegio de la Frontera Sur de l’Université de Campeche

Dans le même temps, les forces de combats mexicaines, qui gèrent l’infrastructure du projet, sont des clientes régulières d’usines d’armement européennes. Leurs armes proviennent en grande partie de fabriques allemandes, comme Heckler und Koch ou SIG Sauer GmbH&Co. Comme par exemple les fusils d’assaut G36, qui ont servi à l’attaque brutale de l’université de Ayotzinapa en 2014.

Des groupes militaires et paramilitaires répriment depuis des décennies les mouvements de résistance, dans une « guerre de basse intensité ». Le stationnement de milliers de soldats de l’armée et de la garde nationale à la frontière sud du pays rend aussi possible un contrôle plus serré de la zone autonome zapatiste. A travers le projet de train, les troupes sont ravitaillées en tonnes d’armes, ce qui permet d’intensifier l’attaque contre ce mouvement anti-étatique grandissant. Combattre le train « Maya » signifie ainsi aussi défendre une zone autonome et sa lutte pour une vie libre et autodéterminée.

Extension coloniale...

Ce train et la violence nécessaire pour le mettre en place n’est rien d’autre que le prolongement d’un développement industriel et technologique, justifié par un « Progrès » soit-disant « inexorable ». Avec le train « Maya », il s’agit de pur colonialisme, dont l’appropriation culturelle n’est qu’une des dimensions. Pour qu’il roule, des personnes seront massacrées, expulsées, et leurs modes de vie effacés. Des cultures qui existent depuis 700 ans. Ce « tourisme » - quel que soit le degré de cynisme utilisé pour le qualifier – est raciste et profondément violent. Il faut y voir une pensée et une pratique coloniale qui envisage de transformer les sociétés qui y vivent aujourd’hui, leurs histoires et leurs formes d’organisation, en attraction touristique pour les riches. C’est une mentalité coloniale, qui veut faire de l’argent sur le dos de ces communautés et de leurs histoires. D’un côté, elles seront « mises en exposition », là où le train traversera délibérément les villages ; de l’autre, elles seront annihilées et n’existeront plus que sous forme de mythologies touristiques, ce qui convient parfaitement aux touristes occidentaux.

Et l’approvisionnement énergétique du projet met lui aussi au jour la question du fondement colonial du capitalisme vert : l’allemagne prône la protection du climat et la neutralité carbone, mais les trains de la Deutsche Bahn tirent une grosse partie de leur électricité de l’extractivisme, en particulier de l’industrie du charbon. « Le charbon couvert de sang est l’une des pièces d’une continuité coloniale et rend visible le mode de vie impérialiste du nord global. » (Kira Geadah)

… imbriquée dans une logique patriarcale

Selon nous, derrière les dynamiques de possession, de contrôle et de destruction de tout ce qui vit, il y a une mentalité patriarcale pleine de violence. Un ordre social basé sur la hiérarchie et la rivalité pour le pouvoir, qui rend possible l’édification de structures capitalistes. C’est une logique patriarcale de guerre qui se trouve dans la négation de ce que sont les besoins matériels et émotionnels nécessaires à la vie, et des dépendances mutuelles entre toutes les formes de vie (par exemple, humaines et végétales). Ce modèle de société est imposé par la force à l’ensemble des humain·exs à travers le monde. La division, le contrôle, et la possession par une poignée de personnes des moyens de subsistance du plus grand nombre, sont les conditions de structures de domination patriarcales capitalistes.

Et qui souffre de la privatisation de la terre et de la destruction de tous les écosystèmes à travers le monde ? La planète est en train de devenir une suite de luxe pour quelques privilégié·exs, grâce à la ségrégation et au racisme écologique. Celleux qui sont le moins responsables du changement climatique sont celleux qui sont le plus touché·exs par lui.

Deutsche-Bahn Consulting & Engineering

Aux côtés de deux autres compagnies européennes, ‘DB C&E’ intervient officiellement dans le projet du train « Maya » comme un « opérateur de l’ombre » pour le fond national mexicain pour le développement touristique (FONATUR). La participation d’entreprises européennes offre au gouvernement mexicain une plus grande légitimité pour mener ce projet, qui sera davantage perçu comme un « symbole du progressisme ». Cela discrédite dans le même temps toutes les personnes qui s’y opposent pour différentes raisons.

D’un autre côté, en tant qu’« opérateurs de l’ombre », les entreprises peuvent dissimuler au sein de l’europe leur participation au carnage. Des sociétés comme la ‘DB C&E’ sont conscientes que leur implication dans des projets comme ceux-là ne s’accorde par bien avec leur nouvelle image « écologiste » et « fairtrade ». Mais les profits faramineux (‘DB C&E’ empoche au moins 8 millions d’euros avec ce contrat) et les relations commerciales profitables qu’elles tissent à cette occasion, semblent en valoir la peine.

Le train « Maya » n’est pas la seule grosse affaire que la ‘DB C&E’ a conclue ces dernières années. Pour n’en citer que quelques-unes, qui sans surprise ne se trouvent pas sur le continent européen : la participation à la construction d’un nouveau réseau ferroviaire pour la coupe du monde de football 2022 au Qatar, ou les contrats et les dépendances matérielles directes aux mines de charbon en Colombie.

« ...il ne faut pas oublier d’où la Deutsche Bahn « protectrice-du-climat » pompe l’électricité dont elle a besoin pour ses soi-disant trains verts : un quart de toute l’électricité du rail allemand est fourni par la centrale à charbon Datteln IV. »

Le projet néolibéral de l’état mexicain sera porté et financé par des entreprises du monde entier. Parmi elles, on compte SIEMENS et TÜV Rheinland.

Résistance

Il y a de grosses et différentes formes de résistance contre le train « Maya », organisées par des communautés autochtones et rurales en Abya Yala. Et toute résistance fait face à la répression : accaparements de terres ainsi que refoulements et meurtres d’opposant·exs deviennent la routine quotidienne pour l’état (mexicain). Après que les autorités ont empêché les habitant·exs de prendre part à l’élaboration du méga-projet (aucun accès à l’information, aucune concertation, etc.), elles consacrent aujourd’hui leur énergie à invisibiliser et détruire la résistance.

Par cette attaque contre la Deutsche Bahn, nous voulons nous solidariser avec les luttes en Abya Yala, et les soutenir. Des ravages et des oppressions sans fin sont produites depuis le continent sur lequel nous vivons. Nous voulons faire payer les responsables de ces atrocités coloniales cachées. Nous voulons nous relier aux personnes en lutte à travers le monde, et attaquer celleux qui répandent la mort et la dévastation. Même quand il semble parfois que peu de choses peuvent encore être sauvées, nous sommes de l’avis que les processus mortifères peuvent être sabotés et retardés. Celleux qui profitent avec complaisance pendant que la planète meurt doivent payer pour leurs dommages. La Deutsche Bahn n’est qu’une parmi de nombreuses autres cibles dans la lutte contre les pouvoirs coloniaux, l’exploitation de vies autochtones, et l’aggravation de la destruction de toutes les formes de vies à travers le monde. La liste est longue et les possibilités sont multiples.

A nos yeux, diffuser de l’information et rendre visibles les actes de résistance fait aussi partie de cette lutte. Une grande partie de l’information que nous reproduisons ici provient du travail de recherche approfondi « Tren „Maya“ Made in Germany - The ‘Deutsche Bahn’ and the train of destruction », publié à l’été 2021. Toutes nos citations viennent de là :

Tren Maya Made in Germany ⋆ Ya Basta Netz - Zapatista Reise Deutschland EZLN

Autres sources intéressantes relayant des actions en Abya Yala :

et quelques autres exemples d’actions depuis l’europe contre les entreprises responsables :

Nous sommes en pensées avec tous·tes celleux qui sont incarcéré·exs, persécuté·exs ou assassiné·exs pour leur résistance contre ce méga-projet et contre tous les autres. Ensemble contre les mécanismes de destruction qui les soutiennent.

Dans une perspective anti-patriarcale et anti-coloniale,
avec amour.

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