Féminismes - Luttes Queer Manifestation

Justice sexiste et mascarade juridique

Le collectif pour un 8 mars révolutionnaire porte l’organisation de la manifestation de la marche de nuit de façon collective. Cependant, à cause de la loi sur les manifestations, la responsabilité pèse sur la personne qui a donné son nom à la police pour demander l’autorisation de manifester. Le collectif porte la procédure, mais formellement une seule personne a été ciblée par la procédure en cours et s’est présentée à l’audience.

Chronologie de la procédure et interaction avec la police à la suite de la marche nocturne du 8 mars 2019.

· 5.04.2019 Quelques jours plus tôt l’organisatrice reçoit un coup de téléphone de la police qui souhaite l’inviter à une séance de débriefing de la marche. Puis, le 5 avril, elle reçoit un e-mail qui lui propose deux dates.

· 10.04.2019 l’organisatrice répond par e-mail :« … Malheureusement, aucune de ces dates ne me convient. Cela étant, je ne suis pas convaincue de la pertinence d’un débriefing. En effet, je n’ai pris ce rôle de personne responsable de la manifestation qu’à titre exceptionnel. Néanmoins, je reçois volontiers vos remarques par écrit. … »

· 18.04.2019 : La police répond par téléphone d’abord, puis par e-mail : « Nous prenons acte de vos considérations concernant la tenue d’un débriefing et de votre rôle de responsable de la manifestation. De ce fait, nous n’organiserons pas de séance à ce sujet. En revanche, nous vous notifions par le présent mail qu’au vu des éléments constatés par nos services de police lors de la manifestation du 8 mars 2019, vous serez déclarée en contravention. »

· 21.05.2019 : Ordonnance pénale : « Manifestation, non-respect des conditions fixées par le département. » : une amende de 300.- et de 100.- d’émoluments.

· 23.05.2019 : l’organisatrice formule une opposition.

· 13.06.2019 : L’organisatrice reçoit un courrier du service des contraventions lui disant que l’opposition est recevable et lui octroyant un délai au 12 juillet pour motiver l’opposition. Une copie du rapport de police est jointe au courrier. On lui y reproche :

  • Les trop nombreux tags (rues du Rhône et d’Italie notamment et sur des bus TPG dans les rues Basses).
  • « Des engins pyrotechniques (feux d’artifice et torches) ont été utilisés à la rue du Mont-Blanc, rue du Rhône, rue de Rive, rue de la Corraterie et rue de la Coulouvrenière »
  • Que le service d’ordre, que nous avions renommé « team bonne ambiance » et qu’iels ont appelé ici « team d’ambiance », n’était ni clairement identifiable, ni à la hauteur d’encadrer correctement la manifestation. De plus, celui-ci n’aurait pas reçu d’instruction précise de la part de la personne qui a donné son nom.
  • Non respect du parcours : « Parvenu à la place de Neuve, le cortège n’a pas emprunté le boulevard du Théâtre comme stipulé dans l’autorisation, mais a tenté de prendre la rue Jean-François Bartholoni. Les forces de l’ordre ont barré le passage aux manifestants avant que ceux-ci ne reprennent l’itinéraire autorisé quelques minutes plus tard. A la fin de la manifestation, les participants n’ont, à nouveau, pas respecté les termes de l’autorisation. En effet, le rassemblement de fin de cortège, prévu initialement à la place des Volontaires, s’est tenu sur la chaussée de la rue de la Coulouvrenière après ladite place. »
  • Les forces de l’ordre ont appelé de nombreuses fois l’organisatrice pour lui demander de prendre des mesures pour que la manifestation se conforme « aux ordres donnés par la police ». Notamment, lors de la prise de parole rue de Rive, ce qui n’a pas eu l’effet escompté : « Lors de la prise de parole en question, des propos totalement contraires ont été tenus. En particulier, l’oratrice a déclaré ; « que les organisatrices avaient déjà subi des pressions de la part des autorités avant la manifestation et qu’elles subissaient encore des pressions de la police durant la manifestation ». Ce qui a eu pour effet d’accroître la tension envers les forces de l’ordre qui ont été invectivées par les manifestants. »
  • Finalement, l’organisatrice n’aurait jamais dirigé le cortège.

· 11.07.2019 : L’organisatrice demande un délai supplémentaire pour motiver l’opposition

· 23.07.2019 : Le service des contraventions accorde un délai au 23 août

· 22.08.2019 : L’organisatrice envoie la motivation de son opposition contestant donc avoir la moindre responsabilité dans les tags qui ont été commis, l’usage d’engins pyrotechniques ou les (très brèves) hésitations de parcours.

· 15.10.2019 : L’organisatrice reçoit une ordonnance de maintien du service des contraventions (Amende + émoluments, 400.-). En d’autres termes, si elle retire l’opposition, la plainte sera retirée auprès du Tribunal de Police tandis que l’amende est maintenue.

· 22.10.2019 : Ordonnance pénale, le Tribunal est saisi de la procédure. L’organisatrice a deux semaines pour retirer l’opposition. Elle ne retire pas l’opposition.

· 29.04.2020 : Mandat de comparution, l’audience aura lieu le 18.05.20 à 8h45. L’organisatrice doit transmettre la liste de témoins pour le 5.05.20.

· 13.05.2020 : la liste de témoins est rejetée.

· 18.05.2020 : l’audience a lieu au tribunal de police.
L’organisatrice a été auditionnée par le juge (Patrick Monnet), c’est-à-dire qu’il lui a posé des questions sur le déroulement de la manifestation. Il revient notamment sur l’implication du service d’ordre, nommé « team bonne ambiance », sur ses interactions avec ce groupe pour assurer le bon déroulement de la manifestation.
Le Juge et le policier entendu en tant que témoin ont été particulièrement paternalistes dans leurs interventions, notamment en qualifiant l’organisatrice de « jeune idéaliste » et en rappelant au pv que les organisatrices sont des jeunes filles. Ce dernier terme est chargé de sens et l’attitude du juge tendait à sous-estimer l’implication et le sérieux de l’organisatrice, comparant son comportement durant la manifestation à celui d’une festivalière lors d’une fête.

Le jugement détermine que le chef d’inculpation suivant n’a pas été retenu : l’usage d’engins pyrotechniques.
Par contre les chefs d’inculpations suivants ont été retenus :
1. L’apposition de tags.
2. Les mesures prises pour prévenir les débordements et pour les faire cesser (c’est-à-dire le service d’ordre appelé « team bonne ambiance ») étaient insuffisantes.
3. Le cortège a été dévié de sa trajectoire puis le rassemblement final a eu lieu à un endroit non autorisé.
4. L’organisatrice de la manifestation n’a pas suffisamment instruit le service d’ordre avant et pendant la manifestation et elle n’a pas fait appel à des personnes plus aguerries à la gestion de manifestations. On lui a également reproché d’avoir une attitude trop « festive ».

Finalement, pour motiver le maintien de l’amende, le juge a estimé que l’organisatrice n’était pas précaire puisqu’elle vit chez ses parents.

L’amende est fixée à 300.- et les frais de justice s’élèvent à 223.- pour un total de 523.-

La loi sur les manifestations, votée en 2008, restreignait déjà le droit de manifester en obligeant à fournir le nom d’une personne pour la demande d’autorisation, personne devant se porter responsable de tout dégât causé lors de l’évènement ou en marge de celui-ci. Depuis l’arrivée de Mauro Poggia à la tête du département de la sécurité, les procédures d’autorisations de manifester ne cessent d’être rendues plus difficiles ; l’application du règlement est devenue plus stricte. Il faut notamment faire les demandes d’autorisation un mois à l’avance, sous peine de payer un émolument de 500.- au maximum, tenir un service d’ordre de plus en plus professionnel, payer pour réserver des places de parcs pour les TPG. Ces nouvelles pratiques visent à décourager les gens de donner leur nom à la police pour organiser une manifestation, puisque des plaintes sont déposées quasi-systématiquement et que les jours-amendes sont nominatifs. De plus, les nouveaux frais rendent extrêmement difficile d’organiser une manifestation avec peu de moyens (si on n’est pas un parti, par exemple).

Tout au long de la procédure, nous avons été confronté.e.x.s uniquement à des hommes-cis qui détenaient une position de pouvoir. Ceux-ci étaient très paternalistes, que ce soit lors de la demande d’autorisation ou du procès. Comme nous l’avons vu, cette procédure individualise une personne face au pouvoir judiciaire et policier. Notre amie désignée comme “organisatrice” a été la cible principale de ce mécanisme. De plus, de part son identité de genre, elle subit le sexisme et le patriarcat, et les autorités judiciaires ont utilisé ces outils de domination pour mettre en doute ses propos et sa capacité à organiser une manifestation. Le fait que le juge parle d’un collectif de jeunes filles, alors que nos identités de genre ainsi que nos âges sont multiples, montre son mépris envers qui nous sommes. Qu’on nous qualifie de trop “festiv.e.x.s” alors que nous subissons tous les jours les oppressions de l’hétéro-cis-blantriarcat, que nous dénoncerons bien de la manière qui nous plaira et nous fera du bien, relève de la délégitimisation de nos luttes.
Au final, ce jugement ne portait pas sur les quelques tags et petites hésitations quant au parcours mais relevait d’une tentative d’invalider nos luttes et nos identités.

La tenue de cette procédure est une atteinte à notre droit fondamental de manifester, mais pas seulement. C’est une atteinte à une pratique qui nous est chère. Une manifestation est un moment où l’on se retrouve, où l’on se sent fort.e.x.s ensembles dans la rue, où on prend l’espace public pour y exprimer nos rages et rendre les luttes visibles.
C’est depuis toujours l’un des seuls outils qui permette à ceux qui n’ont pas de pouvoir de se l’approprier.

Les autorités veulent nous bâillonner et policer nos manifestations, les rendre invisibles et inoffensives, espérant nous empêcher de perturber la marche normale du capitalisme-heterocis-normatif et raciste. Porter plainte contre une manifestation ayant eu lieu le 8 mars, date hautement symbolique, et nous imposer la mascarade juridique qui s’en est suivie relève de la réprimande politique.

Nous ne lâcherons rien, nous nous battrons pour pouvoir continuer de manifester et nous avons besoin de votre soutien.

P.S.

Cette année, le collectif avait fait dans les délais impartis par la loi injuste une demande de manifester pour le 7 mars 2020. La demande a été formulée pour 800 personnes. Alors que les restrictions Covid-19 en vigueur à ce moment portaient sur les manifestations de plus de 1000 personnes, notre demande d’autorisation a été rejetée. Ceci met en lumière la volonté de réprimer et invisibiliser nos luttes et actions qui remettent en question le système de domination du capitalisme-heterocis-normatif et raciste. Dans les semaines précédentes, nous avions d’ailleurs reçu des pressions quant à la nature de notre stratégie commerciale qualifiée d’incitation à la haine alors que c’est bien l’amour (et la colère) qui motive notre volonté de détruire toutes les oppressions et les institutions qui en sont les outils.

Le collectif continue de se réunir deux fois par mois pour construire collectivement un turfu radieux pour tou.t.x.e.s, n’hésitez pas à nous rejoindre (espace en mixité choisie, sans mec cis). Par ailleurs, vous nous retrouvez un jeudi sur deux sur les ondes de radio 40 avec notre émission “du love révolutionnaire sur vous”.

Lien vers les deux premières émissions :
#1 : https://www.mixcloud.com/radio40/du-love-r%C3%A9volutionnaire-sur-vous-oops-we-burnt-it-again-20200423/

#2 : https://www.mixcloud.com/radio40/du-love-r%C3%A9volutionnaire-sur-vous-we-want-to-break-free-20200507/

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