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L’implication de l’industrie textile suisse dans l’esclavage

“La Suisse n’avait pas ses propres colonies et n’a donc aucune responsabilité pour les atrocités commises pendant cette période ni pour leurs conséquences.” Nous nous heurtons sans cesse à de telles assertions. Elles sont utilisées pour soustraire la Suisse à tout reproche et pour perpétuer le conte de fées d’un essor économique auto-créé, basé sur un travail acharné. En fait, la puissance économique de la Suisse est largement basée sur l’exploitation des personnes et des pays du sud pendant l’esclavage et le colonialisme.

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De nombreuses structures et institutions importantes pour l’économie actuelle ont été créées à cette époque et n’auraient jamais pu voir le jour sans les profits de la traite des esclaves. L’histoire des Indiennes (les premiers tissus de coton colorés ramenés en Europe pas les colons), par exemple, en témoigne, : le commerce des Indiennes a apporté à la Suisse une grande prospérité. Les tissus étaient utilisés comme monnaie d’échange en Afrique contre des esclaves - qui étaient ensuite expédiés en Amérique.

Les suisses ont joué un rôle décisif dans la production et le commerce des Indiennes. Sur le navire “Necker”, par exemple, qui a navigué vers l’Angola en 1789, les tissus suisses représentaient les trois quarts de la valeur des marchandises échangées contre des esclaves. L’industrie du coton, qui reposait en grande partie sur l’exploitation de personnes réduites en esclavage, a été extrêmement importante pour le développement industriel de la Suisse. Au cours du XVIIIe siècle, la Suisse a même importé proportionnellement plus de coton que l’Angleterre. Outre le fait que le produit final (les Indiennes) était utilisé pour le commerce en échange d’esclaves, le produit brut importé était également le résultat du travail d’esclaves. Les entreprises textiles suisses ont investi leurs actifs directement dans le commerce avec les personnes réduites en esclavage. Les archives montrent que l’entreprise textile bâloise Christoph Burckardt & Cie a participé à 21 expéditions par bateau avec des esclaves entre 1783 et 1792, transportant quelque 7 350 personnes d’Afrique en Amérique. Une grande partie de la prospérité des centres textiles suisses était liée au commerce avec les personnes réduites en esclavage. Outre la production et le commerce avec les Indiennes, les suisses participaient à l’esclavage en vendant des biens matériels sur ce marché, en produisant et en vendant des biens issus du travail des esclaves et en étant propriétaires de plantations.

Les suisses ont également été très impliqué·e·s dans les transactions financières, par exemple par le biais d’investissements, d’assurances ou d’actions. Les suisses ont toujours joué un rôle central, surtout dans la spéculation financière. Un exemple est la “Compagnie de la Louisiane ou d’Occident”, dite “Compagnie du Mississippi” : elle faisait le commerce de personnes asservies et de produits de l’esclavage. Le quatrième actionnaire était Louis Guiguer, de Bürglen, ainsi que de nombreux autres Suisses. L’Etat de Berne a également participé à des transactions financières à grande échelle : La “South Sea Company” fondée en 1711 a repris les dettes nationales anglaises et a reçu 4 navires et le droit exclusif d’approvisionner les colonies espagnoles en esclaves. Selon le contrat, 4 800 personnes asservies étaient échangées chaque année.

Entre 1719 et 1734, l’État de Berne possède des actions de la South Sea Company. Pendant cette période, environ 20 000 personnes ont été expédiées, 2 000 sont mortes. Parfois, l’État bernois était même le plus grand actionnaire avant la Banque d’Angleterre et même avant le roi George Ier. Un autre exemple est celui de David de Pury (1709-1786), à qui une statue à Neuchâtel est encore dédiée aujourd’hui. Il était entre autres actionnaire de la société de fret portugaise “Pernambuco e Paraìba”, qui a expédié 42 000 personnes asservies au Brésil. Il a ainsi accumulé une fortune, dont il a légué une grande partie (600 millions de francs) à la ville de Neuchâtel.

Tous ces enchevêtrements ont eu un impact énorme sur la place économique suisse, qui est à son tour largement responsable de la prospérité actuelle de la Suisse. Par ses profits, les connaissances et techniques acquises dans le cadre du commerce triangulaire (organisation des plantations, banque, assurance) et la stimulation des industries en amont et en aval (construction navale, industrie du coton, raffinerie de sucre, industrie métallurgique), le commerce sur le dos de personnes asservies a eu un impact majeur sur le développement matériel et économique de l’Europe aux 18e et 19e siècles et a rendu possible la révolution industrielle. En tant que membre de l’espace économique européen, la Suisse a généralement pu participer et bénéficier de l’essor de la production et du commerce, qui reposait en grande partie sur l’économie esclavagiste atlantique (d’après Hans Fässler, Reise in Schwarz-Weiss).

Pour justifier l’ampleur de l’exploitation commise par la Suisse, il a fallu entreprendre toute une campagne de légitimation morale de la colonisation et de l’esclavage. Cela a été fait, entre autres, par Louis Agassiz à l’Université de Neuchâtel avec ses théories raciales, qui promouvait une hiérarchie biologique “naturelle” entre les personnes ayant des couleurs de peau différentes. Ogette le décrit comme suit dans son livre “Exit Racism” : “Les Européens [...] sont devenus racistes afin de pouvoir asservir les gens pour leur propre profit. Ils avaient besoin d’un fondement idéologique, d’une légitimation morale de leur industrie mondiale du pillage. [...] Il fallait que l’idée de la théorie raciale naisse. [...] Et dès le début, ces soi-disant”races" ont été valorisées inégalement. Une hiérarchie a été établie, dans laquelle la race blanche est toujours passée en premier. Une autre conséquence de l’esclavage sont donc les idéologies racistes qui existent encore aujourd’hui, profondément ancrées dans les esprits et les structures des gens, qui à leur tour ont créé la légitimation morale de l’exploitation actuelle du Sud global et des BIPoC (Black, Indigenous and People of Color).


Lectures recommandées sur ce sujet :

P.S.

Traduction de la revue de presse antiraciste suisse-allemande “Antira-Wochenschau” du 7 juillet. Elle se trouve sur le site antira.org

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