Luttes paysannes

La terre à celle et ceux qui la cultivent !

Aujourd’hui, en Suisse, de plus en plus de jeunes – néo-ruraux·ales ou issu·es de familles paysannes – souhaitent s’engager dans un projet de ferme à plusieurs. Cependant, l’accès à la terre en collectif est extrêmement compliqué dans notre pays. C’est pourquoi nous avons décidé de nous attaquer à cette question et de mettre en place quelques outils pour aider les jeunes à accéder à la terre, et mener à bien et en commun leurs projets d’agriculture durable et écologique ! Le premier de ces outils est une brochure qui s’intitule « La terre à celleux qui la cultivent ! Accès collectif à la terre en Suisse ».

Lausanne |

Nous, c’est un petit groupe de travail issu de la Commission jeunes d’Uniterre. Une poignée de personnes déterminées à mettre les mains dans la terre, que nous soyons déjà impliqué·es dans des fermes collectives, que nous l’ayons été ou que nous soyons en train de monter un projet. À nos yeux, pour le futur de l’être humain et du vivant en général, nous, paysann·exs, devons faire tout notre possible pour nous ressaisir de l’élément essentiel qu’est la terre. Nous y voyons le socle collectif d’une reprise en mains de nos existences : chaque pas en ce sens est vital. Et malgré le contexte paysan souvent conservateur, basé sur le modèle de la famille patriarcale au sein d’une société capitaliste, nous pensons qu’il existe des possibles pour d’autres formes de paysannerie collective, respectueuses du vivant et de la nature.

Que ce soit intenter des actions politiques (du lobbyisme à l’occupation de terres), que ce soit avancer par petits pas — par exemple en travaillant à une meilleure reconnaissance des projets à haute valeur écologique ajoutée — ou par de grands projets comme la fin de la propriété privée de la terre, nous pensons que tout doit être entrepris pour permettre à plus de collectifs d’accéder à la terre et de produire différemment. Et de ce fait, ancrer encore un peu plus ces projets et les valeurs qu’ils portent dans le paysage et la société qui nous entourent.

Une brochure sur l’accès à la terre

Pour commencer, nous avons donc élaboré une brochure, destinée à toutes les personnes qui, comme nous, souhaitent accéder collectivement à la terre. Afin de s’inspirer de pratiques et de vécus, nous avons d’abord réalisé des entretiens auprès de différents collectifs. En parallèle, nous avons effectué des recherches, participé à des cours, et questionné les institutions pour constituer la base théorique de plusieurs chapitres. Nous nous sommes donc inspiré·es de nos propres expériences et connaissances du sujet pour transmettre un maximum d’informations, sans nous priver de quelques commentaires politiques pour agrémenter la réflexion. Nous relevons les difficultés d’accéder à la terre de manière collective et esquissons des idées pour y faire face.

Au préalable, nous avons aussi dû mettre en commun nos analyses d’un contexte bien peu encourageant pour nous. Déjà, rappelons que la loi n’est pas de notre côté et que, de diverses manières, elle pénalise le partage de matériel et le morcellement, et donc la possibilité de cultiver de petites parcelles, favorisant ainsi la mécanisation et la spécialisation. Cette dynamique a mené à une baisse du nombre d’exploitations de 252’500 en 1905 à 48’864 en 2021 et ce malgré une population en forte hausse. Aujourd’hui encore, en Suisse, trois fermes disparaissent chaque jour.

Ensuite, il y a la question des normes UMOS (unité de main d’œuvre), ainsi que la définition d’une entreprise agricole. Héritières de la même dynamique productiviste, ces règles rendent difficiles la création de structures ou l’obtention d’aide, car le système demande une taille minimum et souvent, en conséquence, de grosses infrastructures. Les UMOS sont calculées en fonction des possibilités et des impératifs de production du marché. Comme nous l’explique l’OFAG « elles se fondent toujours sur des données représentatives de l’ensemble de la Suisse, elles s’appliquent aussi aux exploitations qui restent en marge de la progression de l’efficacité ».

Finalement, se pose la question de la reconnaissance du collectif au sein d’un pays qui a favorisé la famille nucléaire en ce qui concerne les questions agricoles. Ainsi, s’il est déjà compliqué d’acquérir des terres en tant que personne n’étant pas issue d’une famille paysanne, il est encore plus difficile d’en acquérir en tant que personne morale. C’est d’autant plus le cas pour des structures qui cherchent à abolir la dichotomie producteur·rices /consommateur·rices en incluant ces dernier·es dans l’entité juridique.

De manière générale, nous avons constaté que toutes les pratiques qui renforcent l’autonomie paysanne et la souveraineté alimentaire, et qui sont largement défendues par les petites fermes collectives diversifiées, vont à l’encontre des intérêts de l’agro-industrie, car elles sont moins dépendantes en intrants : machines, pétrole, engrais, produits phytosanitaires, etc.

L’accès à la terre en cinq chapitres

Vous trouverez ci-dessous quelques extraits de ce travail qui nous aura occupé plusieurs années, et qu’il nous tarde de partager avec vous ! Notre brochure, qui fera une soixantaine de pages, sera disponible tout bientôt. Par ailleurs, nous sommes présentement à la recherche de fonds pour la faire traduire et imprimer en allemand également. Une soirée de lancement est agendée le 3 février, à l’espace Dickens de Lausanne. Plusieurs membres de collectifs paysans partageront leurs expériences, et des personnes ayant des compétences et connaissances particulières sur le sujet, par exemple au niveau juridique ou financier, seront également présentes.

Constituer un collectif

Démarrer un projet agricole collectif est complexe, car il s’agit d’être dans le bon timing, au bon endroit et avec les bonnes personnes pour se lancer. Il faut donc faire quelques concessions sur le « projet idéal » et prendre quelques risques. Cela implique alors que l’on sache déjà quel pourrait être ce « projet idéal » et quels (niveaux de) risques nous sommes prêt·es à prendre. Pour cela il s’agit en premier lieu de définir nos valeurs. Un intérêt commun pour une certaine vision de l’agriculture est ce qui rassemble les membres d’un projet agricole. Bien définir cette vision peut aider le collectif à garder le cap, malgré les aléas et les tensions survenant au fil des années. Il s’agit ensuite de définir la forme juridique du projet. Chaque forme juridique actuelle a ses avantages et ses inconvénients, aucune ne satisfait totalement les souhaits des collectifs. On se trouve plutôt dans un choix du « moins pire » que de l’idéal.

Accéder à la terre

Le droit de propriété privée du sol demeure à la base du système capitaliste et façonne l’organisation économique, politique et sociale du monde d’aujourd’hui. C’est dans ce contexte d’accès à la terre privatisée que l’agriculture contemporaine suisse s’est développée, tout comme les lois qui l’encadrent. Le deuxième chapitre de notre brochure cherche à en vulgariser les termes juridiques, en allant explorer les règles qui concernent les questions d’achat, de propriété et de location, mais aussi d’autres formes alternatives qui pourraient exister. En avoir une bonne connaissance est nécessaire à la compréhension des fonctionnements légaux et évite des erreurs et des blocages. L’écueil principal vient du fait que, juridiquement, le côté « individuel » est central dans la reconnaissance d’exploitant·e, ce qui complique l’accès collectif à la terre, et qu’il faut donc avoir une personne qui « porte » le projet de ce point de vue.
Une reprise de ferme peut se faire soit dans le contexte familial, soit hors de celui-ci. Dans le premier cas, une exploitation aura la particularité de pouvoir être vendue à sa valeur de rendement, tandis qu’en dehors elle le sera à la valeur du marché – aussi appelée valeur vénale – qui peut être jusqu’à cinq fois plus élevée que la valeur de rendement. De plus, en dessous d’une certaine taille, les remises de fermes ou de terres se font aussi à la valeur du marché, car celles-ci ne sont pas considérées comme des entreprises agricoles si elles font moins de un UMOS. Si le droit de location s’avère un peu moins restrictif, un bail agricole à 6 ans, même renouvelable, ne correspond pas forcément à la volonté de durer des collectifs.
Si, en agriculture, les locataires de terres sont assez bien défendu·es pour garantir l’usage agricole d’un bien, les propriétair·es restent seul·es à pouvoir décider de ce qu’il adviendra de leur terre ou exploitation. Néanmoins, il existe des exceptions notoires qui font primer les « droits d’usage ». Il s’agit notamment des droits coutumiers sur les alpages, forêts et pâturages, qui appartiennent aux sociétés d’allmende (biens communs en suisse allemand), aux corporations ou consortages d’alpages, de forêts et aux autres collectivités semblables. S’il n’existe pas de propriété collective de la terre au sens où nous l’entendons, il existe des exceptions à la loi sur le droit foncier rural, qui permettent notamment à des fondations d’acquérir des terres et de les mettre en fermage.

Financer un projet agricole

Fondations, aides initiales et à l’investissement, crédits, héritages, fonds cantonaux, crowdfunding, etc. Dans ce chapitre, qui s’est beaucoup inspiré du site internet reprisedeferme.ch, nous parcourons les diverses possibilités de financement. Les paiements directs représentent pas loin de 60 % des revenus de l’ensemble des exploitations agricoles helvétiques et continuent à favoriser leur agrandissement, sans être pour autant disponible pour les petites fermes.
Nous nous penchons ensuite sur les frais de fonctionnement et investissements courants, les outils, les infrastructures et les machines. Rappelons que pour construire sur une zone agricole il faut, entre autres, que l’agriculture soit pratiquée en tant qu’activité́ lucrative et non à titre de loisir, et que la frontière est parfois floue et souvent injustement posée.

Distribuer sa production

Dans ce chapitre, nous nous penchons sur le cadre légal de la vente de produits agricoles, ainsi que sur les différents canaux de ventes. Rapidement se pose la question des labels. Ceux-ci permettent à la fois de valoriser certaines productions, et parfois de toucher en quelque sorte des aides financières privées. Mais avoir un label n’est non plus pas anodin en termes de coûts, de travail administratif (carnets de cultures pour les contrôles, recensements des parcelles, etc.) notamment pour les personnes ne possédant pas de ferme ni de terrain. Il est aussi nécessaire en amont de posséder un numéro d’exploitation, et donc de faire une première étape de reconnaissance. Nous analysons ensuite les moyens de faire de la vente directe et donc de s’affranchir de la grande distribution.

Fonctionner au quotidien

Il n’existe pas de modèle parfait d’organisation, ni de structuration collective infaillible. Ce dernier chapitre repose essentiellement sur la matière recueillie lors des entretiens et sur nos propres expériences collectives. Il propose un aperçu de pratiques d’organisation collectives testées qui nous ont parues malignes, utiles et pertinentes à partager. Elles sont en attente d’être utilisées, malmenées, améliorées, rejetées, enrichies… et partagées à nouveau ! Ici, nous passons en revue de nombreux outils d’autogestion, qu’ils soient utiles pour les réunions, le travail quotidien, la répartition des rôles et responsabilités, ou encore pour la gestion des tensions, des arrivées ou des départs.

flyers à imprimer

P.S.

Cet article est paru initialement dans le journal d’Uniterre de décembre 2022.

Nous vous invitons à venir nombreu.x.ses au vernissage de la brochure qui aura lieu le vendredi 3 frévrier 2023 de 18h30 à 22h à l’espace Dickens (av. Dickens 4, à côté de la gare) de Lausanne.

Pour en savoir plus sur la commission jeunes ou nous rejoindre : https://uniterre.ch/fr/defendre-les-droits-paysans/#jeunes-et-acces-a-la-terre

Agenda

La terre à celle et ceux qui la cultivent !

 vendredi 3 février 2023  18h30 - 22h00
 vendredi 3 février 2023
18h30 - 22h00
 Espace Dickens,

 

4 avenue Dickens, Lausanne

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