À cette liste de coupables, il ne manquait finalement que la justice. C’est chose faite. Avec la décision de classement de l’affaire - que nous avons apprise dans la presse le lundi 11 décembre - par la procureure du ministère public vaudois [1].
Revenons aux faits : le 22 octobre 2017, Lamin Fatty a été victime d’une arrestation arbitraire et illégale en gare de Lausanne par des agents du Corps des gardes-frontière. Alors que Lamin Fatty s’identifie avec un document vaudois d’octroi d’aide d’urgence et qu’il a sur lui son badge de l’EVAM (Canton de Vaud), ceux-ci ne contrôlent ni son numéro d’identification unique attribué par le SEM dans le cadre d’une procédure d’asile fédérale, ni ses empreintes digitales. Ils le confondent avec un autre Lamin Fatty, enregistré dans le canton de Lucerne et probablement recherché en raison de son statut de séjour en Suisse.
Imaginons un instant qu’un citoyen blanc et suisse, disons Nicolas Dupont, soit arrêté et incarcéré à la place d’un homonyme, l’erreur sera-t-elle considérée comme compréhensible ?
Les deux agents des douanes responsables de son arrestation et de la confusion de personne ont été reconnus coupables de négligence et condamnés par un tribunal militaire à une amende anecdotique de 800.- CHF. Toutefois, aucun lien de causalité n’a été établi entre leur "négligence" et la mort de Lamin Fatty. Relevons au passage, que dans notre soi-disant « État de Droit », des agents de l’Etat, en l’occurrence des douaniers, ne sont pas judiciables des tribunaux ordinaires, avec ce que cela implique en termes d’équité et de transparence du processus judiciaire.
Le soir de son arrestation, Lamin Fatty a été pris de vomissements et de maux de têtes et a été conduit au CHUV, hôpital Vaudois. Alors que son diagnostic d’épilepsie et son traitement journalier figurent dans son dossier, aucun médicament pour stopper les signes avant-coureurs de cette crise ne lui est donné. Le médecin de la zone carcérale du centre de la Gendarmerie de la Blécherette n’est pas informé de sa situation médicale et des risques potentiellement encouru lors d’une garde à vue prolongée. Le CHUV se targue d’être à la pointe en terme de sensibilité aux questions migratoires et culturelles ; toutefois à aucun moment un.e interprète n’a été proposé à Lamin qui ne parlait pas français et maîtrisait mal l’anglais.
...seuls l’origine et le statut de Lamin peuvent expliquer ce manque d’empathie, d'engagement, de professionnalisme et cette indifférence.
Après une longue nuit qui aurait permis une prise en charge ordinaire, Lamin est diagnostiqué d’une sinusite et renvoyé du CHUV le matin, entre les mains de la police, sans réserve de médicament anti-épileptique.
Cette succession de fautes lors de la prise en charge de Lamin Fatty témoignent du racisme institutionnel dans le milieu médical : seuls l’origine et le statut de Lamin peuvent expliquer ce manque d’empathie, d’engagement, de professionnalisme et cette indifférence. C’est fréquemment le cas pour les personnes non-blanches dans le milieu médical [2], et cela résulte souvent à des conséquences dramatiques. [3]
En agissant de la sorte, le personnel médical s’est rendu pénalement et moralement coupable d’omission de prêter secours. Invoquer les directives internes sur le secret médical peut, au mieux, servir de circonstance atténuante pour le personnel de garde mais ne réduit pas la responsabilité de la hiérarchie. Cette attitude souligne une préférence manifeste pour la protection des procédures administratives, au détriment de la vie d’un individu, renforçant ainsi les inégalités dans l’accès aux soins de santé.
Cette attitude souligne une préférence manifeste pour la protection des procédures administratives, au détriment de la vie d'un individu, renforçant ainsi les inégalités dans l'accès aux soins de santé.
Une fois transféré dans une cellule de la zone carcérale de la Gendarmerie de la Blécherette en vue d’un transfert dans le canton de Lucerne, les agents de la gendarmerie cantonale n’ont pas cherché à confirmer l’identité de Lamin Fatty, étant toujours en possession de ses papiers du Service de la Population.
Le rapport de la gendarmerie reprend les déclarations de l’arrestation de Lamin par les gardes-frontière et indique explicitement qu’il est au bénéfice de l’aide d’urgence dans le Canton de Vaud. Sans aucune vérification de son identité ni recherches, cette grave négligence aurait pu conduire à un renvoi par erreur, si cette arrestation n’avait pas conduit à sa mort.
Lors de sa rencontre avec Lamin Fatty, l’infirmier de la zone carcérale, bien qu’ayant accès au dossier informatisé du CHUV, néglige de le consulter malgré la présence évidente de la cicatrice de Lamin, et l’information que le patient sortait des urgences avec une prescription d’antibiotiques. S’il avait pris la peine d’examiner le dossier, il aurait rapidement constaté la récente opération subie par Lamin et la nécessité du traitement essentiel pour son épilepsie qui lui avait été prescrit. Cependant, l’infirmier choisit de mener un bref entretien en anglais pauvre, ignorant délibérément le dossier médical de Lamin, lui fournissant aveuglément le traitement pour la sinusite prescrit sur l’ordonnance. Là aussi, pas de recours à un.e interprète. Comme si être noir, sans papiers, en transit, ne requérait pas d’égards, ni de responsabilité médicale ou simplement humaine.
Le lendemain matin, mardi, Lamin, (après avoir déjà manqué 3 prises de médicaments) est victime d’une crise d’épilepsie pendant plus d’une heure et demie devant la caméra de surveillance. Rien n’a été entrepris pour lui prêter secours. Le rapport des légistes confirme que le seuil trop bas d’anti-épileptique a favorisé sa crise fatale. Le centraliste chargé de surveiller les images des caméras de vidéosurveillance reste étrangement aveugle aux signes de détresse évidents de la longue agonie de Lamin. Le manque de moyens techniques, d’effectifs et de formation à disposition des employés civils en charge de la surveillance peut, là-aussi, potentiellement constituer des circonstances atténuantes pour le personnel de garde. Cela ne dédouane en aucun cas la hiérarchie policière qui a une responsabilité légale de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour garantir la santé et la sécurité des personnes détenues.
...la justice démontre, une fois de plus, son manque total de volonté à traiter la question des violences carcérales et policières racistes dans le canton de Vaud. Il est inadmissible qu’une personne, indifféremment de son origine et de son statut, se fasse broyer par la machine étatique dans l’indifférence et l’impunité la plus complète.
La mort de Lamin Fatty est le résultat d’un enchainement de graves erreurs et de négligences, et il en va de la responsabilité de multiples institutions. L’erreur de la Procureure est de considérer que personne n’est responsable, alors qu’au contraire : toutes les personnes impliquées le sont. C’est l’addition de toutes les décisions racistes de ces entités étatiques et publiques qui ont amené à sa mort.
Alors que retentissent encore les affaires d’Hervé Bondembe Mandundu, Mike Ben Peter et Roger Nzoy Wilhelm, la justice démontre, une fois de plus, son manque total de volonté à traiter la question des violences carcérales et policières racistes dans le canton de Vaud. Il est inadmissible qu’une personne, indifféremment de son origine et de son statut, se fasse broyer par la machine étatique dans l’indifférence et l’impunité la plus complète. Si on voulait que pareil drame ne se reproduise plus, il serait crucial que la justice puisse analyser publiquement et en détail l’ensemble des dysfonctionnements racistes et systémiques ayant conduit à la mort de Lamin Fatty.
Le classement de l’affaire de Lamin Fatty n’est cependant pas définitif : un recours a été déposé au nom de la famille pour demander l’annulation de ce classement. Le Tribunal cantonal va devoir encore se prononcer sur cette affaire.
Car classer sans suite l’affaire de Lamin Fatty,
Ce serait un pas de plus en direction du déni.
Ce serait une porte ouverte à encore plus de maltraitances pouvant conduire à d’autres morts.
Ce serait une porte ouverte de plus à l’impunité policière.
Nous soutenons la famille dans son recours contre la décision de classement de l’affaire.
No Justice, No peace
Destroy Fortress Europe
Collectifs signataires :
KIBOKO, OUTRAGE, COORDINATION ROMANDE JUSTCE4NZOY, DROIT DE RESTER, COLLECTIF SUD GLOBAL, DYNAMIC WISDOM