Nous souhaitons revenir sur la vague médiatique et le scandale provoqués par la tentative d’entartage de Céline Amaudruz le 21 décembre 2022.
Résumons les faits : cette dernière, membre UDC au Conseil national, avait été invitée à l’UNIGE par deux associations étudiantes pour participer à un concours d’art oratoire, en tant que membre du jury. Avant le début du débat, une petite dizaine de personnes a tenté d’entrer dans la salle afin de distribuer des flyers, déverser du purin d’ortie et d’entarter Mme Amaudruz avec une assiette de crème fouettée . Les personnes, qui portaient des masques respiratoires et des capuches/casquettes/lunettes, ont été pour la plupart empêchées d’entrer . Elles auraient été (selon leur communiqué publié sur le site renverse.co) bousculées, frappées, plaquées au mur par des membres des associations étudiantes qui faisaient la “sécurité” à l’entrée. Deux de ces personnes ont réussit à passer, ont déversé du purin et ont crié quelques slogans mais n’ont pas pu descendre une seule marche de l’auditoire .
Dès le 25 décembre, les médias s’emparent de la question en donnant la parole à Amaudruz en long et en large. La façon dont cet épisode est traité dans les médias et le discours que les principaux concernés (Céline Amaudruz, Yves Flückiger) portent dessus nous pose quelques problèmes.
Instrumentalisation des violences faites aux femmes
Premier problème, l’instrumentalisation de la lutte contre les violences faites aux femmes. En effet, l’événement est décrit comme tel : des “hommes encagoulés fonc[ent] sur [Céline Amaudruz] en hurlant” , “deux types [lui] tombent dessus” , “neuf individus ont agressé une femme” . Amaudruz, avec les journalistes comme porte-voix, mobilise le lexique de la peur et de la menace et se met dans la position d’une victime d’agression sexiste pour susciter la compassion de l’opinion public. Cette stratégie de victimisation et l’argument des violences faites aux femmes lui permettent de décrédibiliser, voire criminaliser un discours de gauche qui dénonce les politiques discriminatoires de l’UDC, et d’éviter toute discussion sur ces politiques réactionnaires – politiques qui sont la cause de cette tentative d’entartage, une pratique de ridiculisation et non pas d’agression.
Cette instrumentalisation est similaire aux stratégies fémonationalistes mises en place par le parti d’Amaudruz, qui utilise l’argument les violences faites aux femmes pour promouvoir une politique d’asile raciste et discriminante envers les personnes d’origine étrangère et/ou pauvres, qu’il faudrait expulser ou incarcérer. Cette tendance contribue également à masquer les violences commises par des hommes suisses et/ou bourgeois. La place du discours fémonationaliste dans les médias est d’autant plus inquiétante qu’elle normalise le discours d’un “féminisme” d’extrême droite, blanc et bourgeois. Avec cet argumentaire opportuniste, Céline Amaudruz et son parti nuisent à la lutte contre les violences faites aux femmes menée quotidiennement par des féministes et leurs alliéxs.
En actionnant le levier de la lutte contre les violences faite aux femmes, Amaudruz réussit son coup en poussant tout le monde, de l’UDC au PS, en passant par le recteur de l’Université (qu’elle a accusé de minimiser son “agression” ), à se positionner. Chaque personne affichant ouvertement son soutien participe à la banalisation des idées immondes de l’UDC et à la légitimation de cette manipulation par un parti engagé dans la destruction des libertés de touxtes. Invitée à s’exprimer dans les médias, elle ramène toute l’attention sur elle et en profite pour faire des déclarations pathétiques sur la liberté d’expression (sujet préféré de l’extrême droite) : “L’ordre doit être rétabli et j’espère humblement pouvoir y contribuer, afin de permettre à tout un chacun de pouvoir s’exprimer dans n’importe quel lieu. Nous ne devons pas vivre avec la peur au ventre. Aujourd’hui, si je devais retourner à l’université, j’en informerais la police avant.”
Bravo pour votre plainte, Mme Amaudruz, et tant mieux pour vous si vous avez le privilège d’être protégée par la police. De notre côté nous ne cherchons pas de réponse aux violences faites aux femmes et aux minorités de genre du côté de la prison ni du système pénal mais du côté d’une transformation politique profonde, dans laquelle les assauts de l’UDC à l’encontre de l’émancipation de tout.x.e.s auront trépassés.
L’UDC, anti-féministe par excellence
Deuxième problème : l’utilisation d’un argumentaire féministe de la part d’une membre de l’UDC, parti anti-féministe par excellence. Petit rappel :
• L’UDC a ardemment défendu le “oui” à l’augmentation de l’âge de la retraite des femmes .
• L’UDC lance régulièrement des intiatives s’attaquant frontalement au droit à l’avortement et ce en utilisant des techniques de manipulations pour récolter des signatures . Même si Amaudruz est pour l’avortement, ce n’est pas la ligne tenue par son parti et c’est en tant que représentante de ce parti qu’elle a été visée par cette tarte à la crème.
• L’UDC milite activement contre l’ouverture de plus de structure pour la garde des enfants, en prônant ouvertement un modèle de famille sexiste : femme à la maison, homme au travail .
• L’UDC se positionne contre l’augmentation du congé paternité .
• Enfin, l’UDC s’inscrit dans le discours “anti-wokiste” en vogue porté par les partis de droite et d’extrême droite, affirmant par exemple que la dénonciation des agressions et des violences de genre et de race au sein des institutions amène à des “carrières de profs brisées” ; que la mixité choisie est une “ségrégation des étudiants masculins” ; en créant une vague réactionnaire contre l’écriture inclusive, et on en passe...
Ainsi, les politiques menées par l’UDC n’empêchent pas les violences de genre mais au contraire les alimentent, en réduisant le droit des femmes à l’autodétermination, en détruisant de nombreux droits gagnés de haute lutte par les féministes, ou en répendant des discours sexistes et réactionnaires vis à vis des personnes trans. Céline Amaudruz, nous ne sommes pas dupes !
Menace à la démocratie ?
Troisième problème : la description erronnée des faits et l’appel à un imaginaire de violence terroriste pour délégitimer l’action et le discours politique porté par ses auteur·icexs. D’un capuchon et un masque de protection respiratoire on passe à "des individus cagoulés" dont l’action d’entartrage est comparée à une menace à la "démocratie". Rappelons en passant qu’au vu de la réaction du rectorat de l’UNIGE et des menaces d’expulsion des étudiantexs qui étaient venu protester contre la tenue de conférences transphobes au sein de l’Université en avril et mai dernier, le fait de masquer son visage sert probablement ici à éviter la répression. Dans le courrier des lecteurs de la TdG du 13 janvier 2023 , une personne rappelle qu’en terme de menace à la démocratie, la remise en question du salaire minimum à Genève, pour lequel Amaudruz a voté il y a quelques semaines, fait plus de dommages qu’un peu de crème fouettée. On est d’accord. D’ailleurs, jamais une situation similaire n’avait à ce point fait scandale. On se rappelle de l’entartage, réussit cette fois, de Marc Bonnant en 2017 qui avait simplement affirmé : « Esthétiquement, la crème de Gruyère me va très bien [...]. Cela m’a valu un hommage, des affections. Chacun voulait me lécher. C’était très agréable. » .
Avec ce texte, nous invitons les collectifs féministes et alliés à s’organiser contre l’UDC et à systématiquement dénoncer les politiques antiféministes menées par ce parti. En tant que féministes, nous affirmons haut et fort notre oppositions aux discours d’Amaudruz, de son parti et l’extrême droite, nous refusons en bloc de la soutenir et de laisser passer sa posture opportuniste. Amaudruz est une ennemie de notre féminisme, elle prône une société aux antipodes de celle pour laquelle nous luttons et nous refusons de prendre sa défense !
Non, Madame Amaudruz, vous n’êtes pas féministe, nous ne vous accorderons pas cela.
Vos orientations et vos choix politiques sont sexistes, racistes et transphobes, vous défendez les positions d’un parti bourgeois, réactionnaire et engagé dans la destruction des libertés des personnes les plus vulnérables. Et il est temps que l’on ose enfin vous le dire.
Signatures :
8 mars Genève
Association Achillée
Association Viol secours
CRAQ
Grève féministe Genève
Rafale
Les féministes du Silure
SSP - Syndicat des Services Publics
Think Out